Après le Gabon en 1999, la République démocratique du Congo en 2000, c’est la Côte d’Ivoire qui s’est mobilisée en 2001 pour organiser une grande rencontre autour de la bande dessinée africaine, Coco Bulles. Une bien belle fête des bulles, pleine de promesses.
Grand-Bassam : sa mer démontée, ses plages de sable blanc, ses immenses cocotiers et, pendant quatre jours, ses bulles, ses cases et ses miquets. Le premier festival international du dessin de presse et de la bande dessinée de Côte d’Ivoire a choisi l’ancienne capitale du pays pour poser planches et cartons à dessins. Du 2 au 5 novembre 2001, Coco Bulles a investi la cité balnéaire pour le plus grand plaisir des amateurs de dessin ivoiriens. Accueillant plusieurs milliers de visiteurs sur le site de l’ancien palais du gouverneur, un splendide bâtiment de style colonial, la Côte d’Ivoire a prouvé qu’elle était l’un des lieux qui compte dans le paysage de la bande dessinée africaine.
Après l’incontournable cérémonie d’ouverture où personnages officiels et chefs traditionnels se sont succédés, le festival n’a pas cessé de s’agiter pendant quatre jours. En premier lieu, de riches expositions permettaient de découvrir la diversité des styles graphiques des auteurs ivoiriens. Les dessinateurs du journal Gbich ! (voir encadré) se taillaient naturellement la part du lion, mais de jeunes créateurs en quête de publication ont également pu faire montre de leur talent. Tout spécialement affrétée pour l’occasion par l’ONG Equilibre et population et l’Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF), un jeu de l’exposition « A l’ombre du baobab » donnait à voir les réalisations de bédéastes confirmés de différents pays africains. Chacun d’entre eux a en effet traité un thème de l’enfance africaine (les enfants soldats, le mariage forcé
) dans un ouvrage collectif de sensibilisation plus particulièrement à destination des jeunes des pays du Nord. Les planches réalisées pour l’occasion ont été agrandies pour des expositions qui traverseront dans l’année un grand nombre de pays africains.
La marque des hôtes de marque
Les visiteurs ont également pu profiter de la vingtaine d’exposants venus tout spécialement sur le festival. Libraires, éditeurs, médias présentaient leurs productions dans un bâtiment où la circulation se fit plusieurs fois difficile tant l’affluence était importante aux heures de pointe ! Au hasard des couloirs, on pouvait croiser Willem, le dessinateur hollandais désormais pilier de l’hebdomadaire français Charlie-Hebdo et dessinateur vedette du quotidien Libération. Souvent attablé à l’un des maquis installés sur le site, le caricaturiste a inlassablement réalisé des portraits des visiteurs, quand il ne partait pas dans d’interminables discussions avec les auteurs locaux. Déambulait également dans le festival le bédéaste québécois Tristan Demers, jeune auteur bien connu en Amérique du Nord francophone.
Autre invité de marque, Philippe Neyroud, directeur du festival de BD de Sierre, en Suisse. Les organisateurs de Coco Bulles se sont rendus au dernier festival alpin, et s’en sont largement inspirés pour leur propre manifestation. Ils ont ainsi préféré donner à Coco Bulles une ambiance festive comme à Sierre, plutôt que de le transformer en une énorme grand-messe professionnelle, comme peut apparaître le festival d’Angoulême en France. Philippe Neyroud est donc venu leur rendre la pareille, promettant que le festival de Sierre soutiendrait de plus en plus la bande dessinée africaine, afin de conforter le caractère réellement international de la manifestation helvète. Une reconnaissance importante pour les arts graphiques du continent noir qui commencent à gagner une réelle visibilité sur la scène mondiale.
et des absences remarquées
Durant les quatre jours, l’animation musicale n’a pas faibli, chansons la journée, concerts endiablés jusqu’au milieu de la nuit ivoirienne, un fond sonore parfois gênant pour les débats qui ont pourtant réuni une assistance nombreuse. Lors de la table ronde de « A l’ombre du baobab », on a ainsi pu discuter de la bande dessinée comme outil de développement ou du marketing de la dessinée. Tout spécialement venu pour l’occasion, Dominique Mondoloni, rédacteur en chef de Notre Librairie, a officiellement lancé le numéro 145 de la revue, entièrement consacré à la bande dessinée africaine et de l’Océan Indien.
Un festival très riche, donc, qui pour sa première édition a fait preuve d’une bonne organisation hormis quelques détails comme les séances de dédicace avec les auteurs de Gbich ! et les bédéastes invités. On peut aussi s’interroger sur le choix d’un site unique à Grand Bassam qui, pour être très agréable, n’est pas l’endroit le plus simple d’accès pour les nombreux abidjanais fans de BD en général et de Gbich ! en particulier. Installé à Abidjan, le festival aurait certainement pu attirer dix fois plus de visiteurs ! Dans un autre registre, on peut également regretter le soutien trop discret du Centre culturel français à cette manifestation de premier ordre. M. Fratani, directeur du CCF, se prononce néanmoins pour un appui plus marqué à la deuxième édition, prévue en 2003 : « Nous allons accentuer notre apport à la manifestation, notamment en partenariat avec l’association de dessinateurs « Tâche d’encre ». Nous désirons apporter une aide plus importante en termes financiers, et surtout plus structurante, en particulier en matière d’organisation. »
Ce qui manquait le plus à ce premier Coco Bulles était le manque de bédéastes des autres pays africains, si ce n’est le Béninois Hector Sonon et le Camerounais (vivant en France) Christophe Ngalle Edimo. Le Congolais Barly Baruti, véritable parrain de la BD africaine, a dû annuler sa venue la veille du festival. Ni Kinshasa, ni Libreville, villes-phares de la BD africaine, n’avaient dépêché de bédéastes. Problème d’organisation ivoirien ou manque de réel intérêt de la part des invités potentiels, peu importe : cet état de fait pourrait être inquiétant s’il se confirmait à l’avenir. Alors qu’elle commence tout juste à prendre son essor, la bande dessinée africaine ne peut s’offrir des querelles de clochers. Les potentialités sont énormes, tant du point de vue artistique qu’économique, mais seule l’union (qui comme chacun sait fait la force) permettra d’atteindre les objectifs légitimement élevés que se fixe la BD africaine.
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