« La culture hip-hop a quadrillé le territoire par toutes ses activités »

Entretien d'Anne Bocandé avec Rouda

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Des ateliers d’écriture, aux albums conçus de A à Z, en passant par les créations de spectacles et les représentations à l’international, le collectif 129H ne chôme pas. Retour, avec Rouda, sur un parcours de 10 ans parcouru par l’ébullition des débuts du slam, sa démocratisation autour de l’explosion de Grand Corps Malade, et l’état actuel du paysage en France et au-delà.

Pouvez-vous, Rouda, nous présenter le collectif 129H ?
Nous sommes trois rappeurs-slameurs : Néobled, Lyor et moi-même. Deux ingénieurs son également : Nico et Fred. Et on travaille régulièrement avec d’autres slameurs.
À la base je suis travailleur social. J’ai surtout travaillé à l’étranger : en Guinée, en Éthiopie, à Gaza. J’ai toujours écrit. En rentrant en France en 2000 je découvre le slam. Ça ne me plaît pas du tout. J’étais dans un groupe de rap à l’époque. Je suis reparti en Guinée. Je suis revenu un an après et je suis retourné sur cette même scène slam à Ménilmontant (Paris 20e). Il y avait une vraie émulation. C’est là où j’ai rencontré tous les gars de 129H. On avait déjà un home studio à l’époque pour produire.
Vous vous décrivez comme rappeurs-slameurs. Qu’est-ce que cela signifie ?
Je n’ai jamais fait la distinction entre rap et slam. Cela ne veut rien dire. Ce sont les gens qui mettent des cases. Je me rappelle que lors de nos premiers ateliers d’écriture, en 2002, certains nous ont accueillis en sortant des tatamis. Ils croyaient qu’on allait faire un truc de danse.
Et ensuite il y a eu le succès de Grand corps malade. Les gens ont commencé à comprendre ce qu’est le slam mais ils le réduisent actuellement à Grand Corps malade et Abd’El Malik. Leur succès médiatique, populaire, commercial a un peu dilué la perception sur le slam. Mais ce n’est pas grave. Au contraire. L’agenda de n’importe quel slameur a explosé entre 2005 et 2007. Tout le monde a bénéficié de ce succès.
Mais pour nous les tournois slams sont davantage une tribune d’expression pour le reste de nos activités. On est rappeur, musicien, chanteur. Nous faisons du hip-hop mais ça ne nous empêche pas de mettre du piano voix, de l’accordéon voix… En fait pour nous le texte est une matière brute qu’on peut rapper, chanter, scander. On dit qu’on est poète-rappeur-slameur… ce qui ne veut rien dire. (rires) Pour la Sacem, je suis auteur-interprète. Mais si tu dis ça aux gens, ils pensent tout de suite à la variété française…
Quelles sont vos activités principales en termes de création ?
À l’année on doit avoir 10 projets qu’on monte pour que deux ou trois soient vivants et on travaille sur les autres en parallèle jusqu’à ce que ce soit le moment de les mettre en avant. Si nous voulons vivre de notre musique, nous devons fonctionner comme cela. Et il faut avouer que nous avons ressenti les conséquences de la politique culturelle de Sarkozy ; en termes de baisses des budgets, des associations qui ferment, de festivals qui coulent… L’accès à la culture n’est pas la priorité de nos gouvernants.
On est en indépendance totale depuis le début. On est tous intermittent du spectacle. On a tous des projets solos. On se réunit dans le collectif pour les ateliers d’écritures, les formations, les résidences de création, et pour les activités du studio.
Personnellement, j’ai sorti mon album solo, Musique des lettres en 2008 avec Harmonia mundi. Ils m’ont rendu mon contrat en octobre. Dans le même temps, j’ai accompagné Fabien (ndrl : Grand corps malade) sur scène avec mon album. Nous avons continué les ateliers d’écriture et on a fait pas mal de théâtre de rues, notamment dans une création qui s’appelle  [le souk de la parole]  : un village de bambous éphémère avec plein d’artistes à l’intérieur que les gens viennent découvrir.
J’ai ensuite fait la tournée d’un groupe de Beatboxer autrichiens, Bauchklang. Ils m’ont invité sur leur album et à les accompagner sur des scènes internationales que je n’aurais jamais fait de ma vie sinon. Avec l’artiste néocalédonien Paul Wamo.
(cf. [article n° 11473]), nous avons créé un spectacle à Nouméa en 2012.
L’accès à la culture est un pan de vos activités avec les ateliers d’écriture. Quand est-ce que cette aventure a commencé ? Pourquoi ?
On a commencé notre premier atelier d’écriture en 2002. Les gens ne nous croient pas mais on n’a jamais envoyé un mail. Depuis 12 ans, on ne fait que répondre à des demandes. On s’est professionnalisé, structuré. Depuis le début on a toujours fait des ateliers, partout dans des théâtres, des associations, des collèges, des bibliothèques.
L’éducation et la transmission par les ateliers d’écriture sont une grosse partie de notre travail sur laquelle on ne communique pas ou peu ou mal. Quand on fait des ateliers, on se met en jeu en tant que rappeur-slameur. On échange. Et on écrit aussi. On se nourrit des manières de voir et d’écrire des jeunes.
Et en 2006 on a mis en place une plate-forme d’échanges avec plusieurs animateurs d’ateliers d’écritures. Parce qu’il n’y a pas de statut pour les animateurs d’ateliers d’écritures. N’importe qui peut s’improviser animateur. Il n’y a pas non plus de formations diplômantes. Ce n’est pas reconnu ni agréé par l’État. Nous sommes en train de développer avec les centres de formations et les BAFA, des modules écriture poétique – écriture slam. Notre délire est qu’en 2020 il y ait option slam au BAC. C’est peut-être une utopie. En attendant, en 2006 on a édité un guide méthodologique sur les ateliers d’écriture, en téléchargement gratuit sur notre site.
Quel est votre regard sur la scène slam, sur le hip-hop en France actuellement ?
Par rapport au slam, on s’est mis en retrait, car on a ressenti une baisse qualitative des scènes slam. L’explosion de Fabien (ndrl : Grand corps malade) a permis de faire connaître le slam. Cela a bénéficié à tout le monde. Cela a amené des populations artistiques très différentes. Mais ça a aussi amené des rappeurs qui n’ont jamais réussi à percer, les clones de Grands corps malades et les mauvais poètes.
Or, le principal critère de survie dans ces milieux-là, c’est la qualité. On a attendu que ça s’écrème et que ne restent que ceux qui soient porteurs de projets construits que ce soit artistiquement ou en termes de structuration administrative. Que ceux-là restent pour relancer le truc.
Plus globalement, le combat contre les préjugés sur le hip-hop est une lutte de tous les instants. Et le slam à l’intérieur de ça c’est encore pire. Pour les gens, le slam est une voix monocorde, une mélodie, sur un piano. L’autre cliché c’est : c’est une poésie de banlieues. Et si on parle du clash Booba/La Fouine, j’ai juste envie de hurler : Parlez-nous de musique ! On peut accuser les médias mais ce sont aussi nos habitudes de consommation qui ne s’attachent pas aux contenus proposés par les artistes. Notre rapport aux médias alimente ce genre de choses.
Et quel est votre regard vis-à-vis de la scène internationale et notamment de Brazzaville où vous étiez avec Étonnants voyageurs ?
À Brazzaville, Il y a une vraie qualité de création, de qualité de production mais pas de moyens de diffusion. Le mouvement est jeune et peu structuré.
La scène hip-hop à l’international est-elle en train de se structurer peu à peu ?
Pour beaucoup, à ses débuts, le hip-hop était un phénomène de mode qui allait disparaître. Or la culture hip-hop a quadrillé le territoire par toutes ses activités ; que ce soit par l’écriture, le graph, le DJ’ing, la danse. Pour moi les danseurs sont ceux qui ont tiré le mouvement hip-hop vers le haut. Ils ont été les premiers à se structurer, à organiser, à intégrer des scènes nationales, à faire des croisements avec la danse contemporaine. Les danseurs sont les figures de proues du mouvement hip-hop.
Et qu’en est-il de tes projets solo, de ton EP qui vient de sortir A l’ombre des brindilles ?
Mon premier album était comme n’importe quel premier album d’un artiste. Tu sais que tu n’auras peut-être jamais l’occasion de ressortir un album, que c’est la première fois qu’une maison de disque met de l’argent sur ton projet. C’était peut-être la derrière vague où c’était possible de signer un contrat d’artiste avec un financement important.
Dans ce deuxième album, j’ai été encouragé à réduire l’écriture, à mettre moins de mots. C’est très compliqué en fait. J’ai beaucoup d’admiration pour des artistes comme Pauline Croze. Avec deux quatrains, ses chansons font la même durée que les miennes. (rires)
Tout le challenge pour quelqu’un qui écrit, s’il veut progresser, est d’arriver à dire la même chose avec moins de mots. Que chaque mot soit tellement bien choisi et précis qu’une combinaison de 3 ou 4 mots soit plus efficace qu’une longue phrase.
Mais le travail sur cet EP date d’il y a deux ans. J’ai eu des gros problèmes de santé au moment où on l’enregistrait. On vient de le mixer. Je n’ai pas tenté de communiquer dessus ou de démarcher. Je voulais juste m’en libérer pour passer à autre chose.
Quels sont vos projets avec le collectif en 2013 ?
L’objectif est de renforcer notre indépendance et que notre structure soit pérenne. L’association existe déjà depuis 12 ans. Et le projet Dub’poésie. Ce sont des productions dub et reggae de Nico sur laquelle vont poser tous les slameurs qui ont une actu en France. Des poésies sociales sur un son Dub. Un concept qui n’existe pas dans l’espace francophone.

///Article N° : 11500

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