Connu pour son vivier de caricaturistes uvrant dans la presse, le Burkina Faso peine malgré quelques essais prometteurs, à exploiter les potentialités de ses bédéistes.
Les premiers essais de la bande dessinée burkinabaise commencent au début des années 80 dans la presse locale privée et gouvernementale.
En 1980, le quotidien privé L’observateur publie quelques illustrations et caricatures d’Anatole Kiba et Raya Sawadogo. Ce journal était le plus lu dans le pays jusqu’à la destruction de ses locaux, par un incendie criminel en 1984.
Les deux auteurs prendront alors par la suite un chemin différent. Anatole Kiba publiera, par épisode, dans Sidwaya, quotidien gouvernemental, la série Maître Kanon.
Quant à Raya Sawadogo, il signera le véritable démarrage de la bande dessinée au Burkina en publiant à compte d’auteur la série des Yirmaoga sous forme de petits livrets de volume variable (huit à vingt pages), écrits en français populaire (le français moussa parlé dans la rue) et relatant les mésaventures en ville d’un paysan moaga.
Ces petits récits comiques sont faciles à lire, et surtout, à raconter. Dans un premier temps, les aventures de Yirmaoga permettaient de critiquer la vie quotidienne des citoyens sans faire directement référence à la vie politique nationale : Yirmaogo au petit coin traite de la prostitution, L’homme trompair évoque le maraboutage, et Opital le milieu hospitalier.
Par la suite, Yirmaoga se fait le témoin de situations difficiles nées de l’application de nouvelles mesures politiques : Le salaire vital s’inspire d’une décision du gouvernement de verser une partie du salaire du mari aux épouses, Loyer 86, Cado ou pas cado, retrace les conflits entre locataires et propriétaires et Yirmaoga aux IPR pointe la justice.
Yirmaoga est probablement resté le personnage de Bd le plus populaire du pays grâce au comique des situations décrites et à son rôle de dédramatisation sociale (1).
Par la suite, à la fin des années 80, Moussa Konaté (2) fit éditer à compte d’auteur six ouvrages illustrés pour les enfants reprenant des contes locaux moralisateurs où le personnage central est un animal reconnu du panthéon animalier national : Le caïman, le chasseur et le lièvre ou le prix de l’ingratitude (1986), Le chat et les souris ou le danger de l’ignorance (1987), Le mari infidèle (1988), Le lièvre, l’éléphant et les pintades ou les méfaits des feux de brousse (1990), Le lièvre et les autres animaux de la brousse ou l’effet de la musique (1990), Le lièvre, l’éléphant et l’hippopotame ou l’avantage de l’intelligence sur la force (1991).
Mais Konaté cessa de produire au début des années 90.
Celles-ci furent surtout marquées par la montée des caricatures et dessins de presse qui, comme sur le reste du continent, fleurirent à l’occasion de la libéralisation des médias.
C’est au cours de ces années que le bédéiste congolais Cyprien Sambu Kondi (3) s’installe au Burkina Faso et commence à travailler comme dessinateur de presse et caricaturiste au Matinal, de 1996 à 1998 puis à L’opinion, de 1998 à 2000. En 1999, Sambu Kondi publia chez Zedcom, éditeur de L’opinion (4), un ouvrage intitulé Yennenga, la princesse amazone, BD en noir et blanc réalisée et financée par le Comité National de lutte contre le sida et les MST. L’histoire relate la vie de Yennenga, la princesse amazone, fondatrice du peuple Mossi. Le scénario se concentre sur l’histoire d’amour de la guerrière avec un chasseur et l’acceptation de cette union par son père.
Cet ouvrage, le seul remarquable des années 90, fit malheureusement l’objet d’une diffusion confidentielle alors qu’il aurait pu contribuer à faire valoir la bande dessinée burkinabé qui connut une traversée du désert durant près de dix ans.
L’année 2 000 fut celle de la renaissance, avec l’apparition de nouveaux talents.
Elle s’illustre à travers la revue Kouka, une revue de bande dessinée pour la jeunesse éditée annuellement par le REN – LAC (Réseau national de lutte anti-corruption) et tirant à 5 000 exemplaires. Sur un scénario de Noraogo Sawadogo, les dessinateurs changent régulièrement, ce qui permet d’observer un assez large échantillon du milieu.
Le numéro 2 de Kouka intitulé Sur le chemin de l’école et le numéro 3, Les cotisations des parents d’élèves et mes devoirs, étaient dessinés par Anatole Kiba, 20 ans après Maître Kanon.
C’est, une des rares femmes du métier (avec la scénariste Sophie Heidi Kam), Diane Myriam Ouedrago, qui dessina le numéro 4, Bila et les policiers. Elle sera également publiée en Italie, avec A malin, malin et demi, dans l’anthologie Africa comics 2003 (5), suite à un concours organisé par Africa e mediterraneo. Ouedrago collabore par ailleurs au mensuel humoristique L’essentiel du Faso où elle publie, sous le nom de Diane, des histoires à suivre.
Après le N° 5, axé sur les infirmiers, le numéro 6, sorti en juillet 2006, abordait le cas des notes sexuellement transmissibles (NST) attribuées par certains enseignants à certaines élèves. Il était dessiné par Timpousga Kaboré, plus connu sous le nom de Timpous, figure marquante de la BD au Burkina. Né en 1957, il collabore régulièrement au journal L’indépendant. Auteur de plusieurs BD pour des ONG, il est le premier bédéiste burkinabé publié en Europe avec une planche inédite de 1999, Le cas Zongo, repris dans le répertoire italien de BD africaine : Matite africane (6). L’anthologie 2005 – 2006 de Africa comics publiera également une de ces histoires sans titre en 4 planches. En 2005, Timpous fut également sollicité par l’éditeur Dieudonné Soubeiga pour dessiner un album de caricatures politiques sur les élections présidentielles à venir : Les douze stars du Faso foot. En 2006, on doit également à Timpouss le récit Senghor chez Maître Pacéré et la couverture de Senghor cent ans : la Bd burkinabaise célèbre le poète – président, album collectif noir et blanc où des artistes, dessinateurs et scénaristes professionnels ou néophytes rendent hommage à Senghor et témoignent de la vitalité de la Bd locale.
En 2001, sortait l’une des rares bandes dessinées publiée par un éditeur privé : Wambi de Joël Salo, chez Hamaria. Présentée dans une édition de qualité (grand format, couverture en papier glacée), cette uvre en noir et blanc racontait, sur un mode burlesque, l’histoire d’un père de famille incapable de nourrir ses 9 enfants. Joël Salo sera l’un des deux Burkinabais sélectionnés lors du concours Vue d’Afrique du Festival d’Angoulême 2006 avec France, au revoir. Salo, qui publie dans la presse locale (Sidwaya et Bendre) et a fondé sa propre agence de communication, a également participé à la BD collective sur Senghor avec Négritude, je t’emm.
Damien Glez (7), dessinateur de presse français installé au Burkina après son service militaire, est le pilier du journal du jeudi, appelé Jiji, une revue humoristique créée et imprimée à Ouagadougou depuis 1991. Tiré à 15 000 exemplaires, Jiji est distribué dans de nombreux pays africains francophones (Cameroun, Togo, Burkina Faso, Gabon, Mali, Niger, Côte d’Ivoire, Sénégal
) et par Internet.
En 2001, Glez et Boubakar Diallo créaient Le marabout, une revue d’information panafricaine également humoristique avec une équipe de dessinateurs et de scénaristes burkinabés, camerounais, français, belges, anglais et américains, associés au sein du RALI (Réseau Africain pour la Liberté d’Informer).
Depuis mars 2001, Le journal du jeudi publie 7 hors séries regroupant les meilleurs dessins et pour deux d’entre eux (8), les meilleures bandes dessinées. Le dernier tome est l’uvre de l’un de leurs collaborateurs (depuis 2004), l’artiste peintre, caricaturiste et décorateur de cinéma Hamidou Zoétaba, également président de l’Association des jeunes artistes de Burkina. Il fut, en 2005, le premier dessinateur burkinabé à participer au Festival d’Angoulême. L’année précédente, il initiait auprès d’une vingtaine de dessinateurs un atelier de formation et de promotion de la BD intitulé SEFORE (Sélectionner pour former, former pour éditer) avec Damien Glez, Joël Salo et Lougue Kou (9). Zoétaba est également illustrateur pour la revue de jeunesse Moi, ma vie, mon rêve soutenue par l’ONG Family care international.
À l’occasion de l’atelier SEFORE, un concours de bandes dessinées fut organisé. L’uvre sélectionnée, un mini-album intitulé Walib, fut celle d’Elisée Sare qui publia également une histoire courte dans l’album Senghor.
Zoumabé Sylvestre Kwene, dit Gringo, publie régulièrement dans L’observateur Paalga. Avec Zoom sur Ouaga, il a été sélectionné pour le concours Vue d’Afrique du Festival d’Angoulême 2006 où le Burkina Faso sera le seul pays à compter deux sélectionnés parmi les dix lauréats. Ce succès sera confirmé la même année par la sélection de trois de ces planches (10) dans l’anthologie 2005 – 2006 de Africa comics. Kwene a également dessiné trois histoires courtes dans l’ouvrage sur Senghor.
Malheureusement, comme dans les autres pays d’Afrique, le marché burkinabé de la bande dessinée est inexistant. La plupart des uvres citées sont subventionnées par des ONG internationales, la coopération française ou le Centre culturel français. Cette dépendance n’est pas le gage d’un avenir positif pour ces artistes. Par conséquent, les dessinateurs et illustrateurs burkinabés restent cantonnés à la caricature et au dessin de presse, beaucoup plus rémunérateurs. On ne peut réellement parler d’un milieu du 9e art au Burkina Faso, où il reste très embryonnaire et peu structuré. Le pays attend encore un artiste et une uvre qui, à l’image de Barly Baruti en RDC ou TT Fons au Sénégal, servira d’aiguillon à l’ensemble de la profession.
1. Pour un résumé du succès de cette série, cf. Yirmaoga, tu me fais rigolement de Jean Pierre Guingané, Notre librairie, N°101, avril – juin 1990.
2. Homonyme, sans lien de famille, de l’écrivain et éditeur malien Moussa Konaté, fondateur des éditions Le figuier.
3. Cyprien Sambu Kondi avait déjà publié dans les années 80 plusieurs BD en ex – Zaïre : Disasi aux éditions Saint Paul (1985) et en République du Congo.
4. Pour plus d’information sur Zedcom, cf. www.zedcom.bf
5. Africa comics 2003, Ed. Lai momo / Africa e mediterraneo, Bologne, 2003.
6. Matite africane (crayons d’Afrique), Ed. Lai momo / Africa e mediterraneo, Bologne, 2002.
7. Site personnel : http://www.glez.org/
8. Les 50 meilleurs bandes dessinées de JJ, Tome 1 (2001) et tome 2 (2005)
9. Auteur en 1998 d’une bande dessinée en mossi : A alima.
10. Avec trois planches intitulées Ayôlô (pire que les daltons !)Merci à Fabrice Dauvilliers pour son amicale et efficace participation.
NB : Anatole Kiba a plus récemment illustré une BD du réseau national de lutte anti-corruption, la JPL N°12.///Article N° : 6856