L’émergence des personnages féminins dans la récente production cinématographique du Continent confirme l’inversion dans la redistribution des rôles, inaugurée au 15è Fespaco par Taafe Fanga (Le pouvoir du pagne) du cinéaste malien Adama Drabo, où, pour la première fois, les personnages masculins n’obtenaient que des rôles secondaires.
Une série de films programmés au 17è Fespaco consolident cette innovation majeure dans leurs scénarios.
Dans son long métrage, Faat Kiné, programmé hors compétition, « l’aîné des anciens » comme aime à s’appeler le vétéran Ousmane Sembène, choisit comme personnage principal la tenancière d’une essencerie dépeinte sous les traits d’une femme moderne, prototype de la femme libérée, que la réussite au travail affranchit du joug tutélaire d’un époux polygame, volage et cupide. En cette femme, que son parcours pose en modèle de référence, se reflète le combat de bien des femmes africaines qui se sont construites toutes seules. C’est en cela qu’elle est perçue comme une figure libératrice, parce que porteuse de valeurs morales dont la jeune génération devrait s’inspirer pour éviter d’être le jouet d’irresponsables chasseurs de jupons.
Une autre image de l’Africaine est présentée par le cinéaste Roger Gnoan Mbala dans sa fresque épique Adanggaman où Albertine Nguessan incarne Mô Akassi, une mère rebelle, détentrice de la Parole qui libère qu’elle oppose à la répression sanguinaire du monarque esclavagiste. Dans cette Afrique du XVIIè siècle, Mô Akassi incarne la dignité, la noblesse, le refus de la servitude. Elle ne fléchit pas face à la bestialité des amazones dont la plus cruelle, Ehua campée par Bintou Bakayoko, finit par rejoindre le camp des opprimés. Les personnages de Mô Akassi et Ehua sont constitutifs de la même figure libératrice, l’un et l’autre posant des actes pour que cesse la répression et la servitude généralisée.
Dans Bàttu, adapté de La grève des Bàttu de la romancière sénégalaise Aminata Sow Fall, le réalisateur malien Cheick Oumar Sissoko distribue l’actrice camerounaise Félicité Wouassi dans le rôle d’une cheftaine de mendiants. La justesse de sa composition en fait un personnage sympathique tellement son jeu est naturel. Habituée à camper des personnages modernes, Félicité Wouassi donne la mesure de son talent en jouant sur un autre registre. Sa prestation relève de la performance. Elle convainc ainsi qu’un rôle quel qu’il soit ne vaut que par la capacité du comédien à en proposer une interprétation convaincante.
L’image de la femme moderne véhiculée par Les Couilles de l’éléphant du cinéaste gabonais Joseph Koumba Bididi soulève de sérieuses controverses au regard de la morale qui la sous-tend, mais n’en reflète pas moins une réalité de l’Afrique contemporaine. L’héroïne et sa fille se dévoilent, au fur et à mesure que les tensions s’exacerbent dans la cellule familiale, comme les deux faces de la même médaille. Les deux procèdent par chantage. La mère s’en remet à l’expertise d’une femme versée dans les pratiques occultes pour (re)conquérir son époux volage tandis que la fille joue sur les fibres sentimentales, allant jusqu’à s’acoquiner avec le rival de son père, une manière à elle de donner la leçon à ses parents. Les moralistes ne pourront s’empêcher de chercher dans cette peinture au vitriol les traces de quelques valeurs à faire fructifier pour rétablir l’équilibre d’une société où le clientélisme politique régit tout.
Dans sa relecture de la légende du Wagadu intitulée Sia, le rêve du python, où sont consignés des mythes fondateurs de certains peuples de l’Afrique de l’Ouest, le réalisateur burkinabé Dani Kouyaté dresse des portraits de femmes assujetties. Que ce soit la reine mère pavoisant dans la cour impériale, ou la jeune fille pubère livrée au python à sept têtes – métaphore de la perversion d’un pouvoir mystique et vocable sous lequel se regroupent des notables qui alimentent un mythe pour assouvir leurs appétits libidineux c’est l’image d’une soumise qu’affiche la femme mais la folie lui offrira une porte de sortie.
Au contraire, la réalisatrice burkinabé Fanta Régina Nacro propose dans son court métrage Bintou, l’image d’une femme battante. Mère combattante, elle fléchit les positions féodales de son époux pour construire l’avenir de leur foyer.
La présence grandissante des comédiennes africaines dans les premiers rôles ne pourra que marquer l’expression générale des cinémas du Continent et se renforcera d’autant plus que le nombre des réalisatrices s’accroît. Leur sensibilité et leur sincérité ne manqueront pas d’accentuer la coloration de la filmographie africaine.
///Article N° : 1997