La jeune danse ivoirienne marque le pas

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Depuis trois décennies, la Côte d’Ivoire a été un foyer actif de l’évolution et du rayonnement des danses africaines. Elle abrite deux compagnies privées pionnières, devenues de véritables institutions : l’Ensemble Koteba et le Ki Yi M’Bock. Il y a quelques années, une nouvelle génération de danseurs-chorégraphes a émergé avec retentissement. Mais aujourd’hui, ces jeunes compagnies peinent à s’imposer. La faute à la crise nationale ou conséquence d’un effet de mode ?

Longtemps Abidjan a pu être fière. La capitale ivoirienne abritait deux des plus prestigieuses compagnies de danse en Afrique de l’Ouest : l’Ensemble Koteba dirigé par Souleymane Koly et le Ki Yi M’Bock fondé par Were Were Liking. En réalité, bien plus que de simples compagnies : de véritables pôles de formation et de création, comptant chacun plusieurs dizaines de membres (le Village Ki Yi abritait à une époque une centaine de personnes).
Deux structures panafricaines et indépendantes
Ces deux structures ont profondément marqué non seulement la création mais aussi une nouvelle conception de l’artiste africain : urbain, polyvalent (les membres de ces compagnies apprennent à danser mais aussi à chanter et à faire du théâtre) et professionnel (en étant parmi les premières structures privées à prendre en charge financièrement leurs membres, elles ont pu leur imposer des rythmes de travail professionnels).
Durant plus de trente ans, l’Ensemble Koteba et le Ki Yi M’Bock ont formé des artistes venus de toute l’Afrique de l’Ouest*. En mêlant danse, théâtre, conte et musique, et en utilisant de façon originale toutes les ressources scéniques (scénographie, costumes, maquillage, son et lumières), leurs spectacles ont inventé de nouvelles esthétiques au carrefour des traditions et de la modernité. Pour mémoire, rappelons Tous Unis Dans Nos Wax (1990) et l’opéra mandingue Waramba (1991) de Souleymane Koly et Un Touareg s’est marié avec une Pygmée (1992) de Were Were Liking. Ces spectacles ont été joués avec beaucoup de succès dans le monde entier. Aujourd’hui encore, l’Ensemble Koteba et le Ki Yi M’Bock incarnent la difficile réussite d’une alternative privée, indépendante et innovante de la culture en Afrique.
L’effet N’Soleh
Le jeune danseur et chorégraphe ivoirien Massidi Adiatou a longtemps été membre du Ki Yi M’Bock. Au début des années 90, il quitte la troupe et fonde quelques temps plus tard sa compagnie de danse N’Soleh. C’est l’époque à laquelle une vaste action de sensibilisation à la danse africaine contemporaine est lancée par le programme Afrique en Créations du ministère français de la Coopération. Sous la direction du chorégraphe ivoirien Alphonse Tiérou, installé en France, des ateliers destinés aux jeunes danseurs ont lieu dans une dizaine de pays africains.
Apres deux années de sensibilisation et de formation, sont organisées en 1995 en Angola les premières Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’Océan Indien. Ce concours chorégraphique qui récompense trois lauréats par des sommes importantes (entre 30 000 et 100 000 FF) déclenche un immense espoir chez les jeunes danseurs. Beaucoup y voient l’unique occasion d’une reconnaissance de leur travail et de sortie de leur pays.
Lors de la seconde édition du concours en 1997, N’Soleh remporte le premier prix avec une pièce intitulée Corps Actif. Vêtus de pardessus, dans une atmosphère froide et inquiétante, les interprètes se livrent à une danse athlétique et spectaculaire. On y retrouve une gestuelle africaine mais tendue à l’extrême, rapide, bondissante qui semble exprimer la violence de la capitale ivoirienne. Entre danse africaine, danse contemporaine et danse de rue, un nouveau style ivoirien semble émerger.
Le succès de N’Soleh va galvaniser toute une jeune génération de danseurs ivoiriens. Déjà professionnels, formés à l’excellence soit dans l’Ensemble Koteba soit dans le Ki Yi M’Bock, ils vont s’engouffrer sur les pas de la compagnie lauréate. Beaucoup quittent les deux structures pionnières pour créer leur troupe : Tché Tché, Klozaï, Cie Sylvain Zabli… S’ils sont en général de bons interprètes, peu ont la maîtrise de la chorégraphie. Qu’importe, tous se proclament chorégraphes et rêvent de gagner le concours chorégraphique.
Une génération en panne ?
Deux ans plus tard, en 1999, lors de la troisième édition des Rencontres chorégraphiques à Tananarive, la compagnie Tché Tché est à son tour consacrée. Ancienne membre de N’Soleh, la chorégraphe Béatrice Kombe-Gnapa a créé la version féminine de la compagnie. Dans Sans repères, cinq jeunes filles, crânes rasés et tout en muscles, bondissent, sautent, tombent, se heurtent sur des rythmes effrénés. Cette danse spectaculaire fascine mais innove peu par rapport à N’Soleh.
La même année, la compagnie Sylvain Zabli se présente au concours. Ancien danseur de l’Ensemble Koteba et du JBAN (cf. l’entretien avec Rokiya Koné), le fondateur de la troupe ne se révèle qu’un pale épigone de ses mentors. Difficile de mettre à distance les influences qui vous ont constitué… Issue aussi de Koteba, Edith Nessemon et sa compagnie Klozaï en font de même l’expérience.
Aujourd’hui, l’effet N’Soleh semble être retombé. Avec la crise ivoirienne, la plupart des jeunes danseurs ont choisi l’exil et plusieurs troupes ont été dissoutes. Installée en France, N’Soleh survit difficilement. La compagnie se produit peu et ne tourne quasiment pas à l’étranger. Elle vient tout de même de présenter à Paris, presque dans la confidentialité, sa dernière création ‘My Own Wara’. La plupart des danseurs de la compagnie Sylvain Zabli ont tenté leur chance aux Etats-Unis ou au Canada. Seul Serge Takri, qui a obtenu le statut de réfugié au Québec, est sur le point de s’en sortir. En 2001, il a présenté avec la compagnie Ewine sa première création Djolo-Goune. Il travaille actuellement sur d’autres projets avec le remarquable metteur en scène montréalais d’origine libanaise Wajdi Mouawad.
A Abidjan, ce sont désormais les danseuses qui maintiennent le flambeau de la danse contemporaine allumé. Malgré des problèmes internes qui ont nui à la compagnie, Tché Tché poursuit un travail exigeant. Sa dernière création, en collaboration avec la compagnie burkinabè Kongo Ba Teria, se veut un appel à la fraternité qui lutte contre la xénophobie et les manipulations politiques. Malgré des conditions délétères, Edith Nessemon et sa compagnie Klozaï ont présenté en janvier dernier à Abidjan leur dernière pièce Thoo-Hoo Le Combat qui stigmatise l’égoïsme et l’individualisme.
Enfin, Rokiya Koné, la chorégraphe de l’Ensemble Koteba, qui fonda en 1995 l’un des premiers laboratoires de recherche chorégraphique en Côte d’Ivoire, le JBAN, devrait s’atteler en cette fin 2003 à sa prochaine création
Alors que les chorégraphes féminines de danse contemporaine sont plutôt rarissimes dans les pays africains, la Côte d’Ivoire fait donc exception. Et si un certain effet de mode passé, les jeunes compagnies semblent chercher aujourd’hui un nouveau souffle, il y a fort à penser qu’il viendra des femmes. Par leur talent et leur persévérance, elles pourraient bien redonner à la Côte d’Ivoire sa fierté de pionnière.

* Une troisième école fondée par la danseuse Marie-Rose Guiraud a représenté un pôle de formation important à Abidjan.///Article N° : 3109

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