La Trace Noire

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Qu’avait-il donc appris à l’école des Blancs ?
Qu’avait-il donc accepté d’oublier, en échange d’un tel savoir ?
Roland Brival, Le dernier des Aloukous, Phébus.

Un siècle et demi après l’abolition de l’esclavage, le devoir de mémoire nous semble le plus urgent sur le calendrier des commémorations…
 » Faut-il célébrer l’abolition de l’esclavage ?  » demandait notre confrère guadeloupéen Sept Magazine à la une de sa livraison du 12 février dernier. Il y a là de quoi réfléchir.
Ceux qui ont instauré puis aboli cette forme ignominieuse de relations humaines partie de la soi-disant  » découverte  » du Nouveau Monde étant les mêmes, pourquoi ne pas plutôt rappeler tous ces événements ou épisodes historiques qui montrent comment l’esclavage a été aussi aboli par ceux qui l’ont subi ?
L’existence d’Haïti en est un, tout comme les révoltes et les guerres qui ont opposé – de l’isthme de Panama à la Jamaïque, de Cuba à la Guyane – les Noirs rebelles aux colons, parfois même jusqu’à la libération définitive des territoires conquis par les insoumis.
Mais cette réhabilitation véridique de l’histoire ne saurait aller sans l’aide de la culture, et en particulier de la musique.
Débarqués des bateaux négriers sur les côtes des Amériques, les migrants nus ont gardé le souvenir des croyances et des pulsations ancestrales dans les chants lancinants et les battements des tambours grondant aux abords des plantations ou dans les repaires des Marrons.
C’est grâce à ces ressources spirituelles qu’ils ont survécu, résisté et créé, malgré la brutalité de leur condition et le déni de leur dignité.
Sur le plan de la musique, d’étonnantes consonances esthétiques s’imposent à travers les diverses formes adoptées par les Noirs de la traite dans le secret de leurs assemblées nocturnes ou dans les rituels furtifs consacrés aux dieux de la terre mère.
 » Tous ces styles, nous rappelle Edouard Glissant, ne sont pas issus de la tradition spécifique d’un seul peuple : ils ont justement pu se généraliser car ils ne sont pas l’héritage direct de chansons précises dont les Noirs auraient gardé la mémoire. Ils sont plutôt expression de ce fondement rythmique qui a été ensuite recomposé d’une manière différente : cela a donné le blues, le gospel et le jazz chez les Noirs Américains, l’afro-cubain à Cuba et les autres genres aux Petites Antilles.  »
Ainsi, le modèle vocal appel-réponse et la polyrythmie, typiquement africains, marquent toutes ces expressions, qui n’ont jamais cessé d’avoir une assise populaire et reviennent en force dans l’actualité des festivals et des productions discographiques.
Mais ce qui est encore plus extraordinaire et spécifique aux Amériques Noires, c’est cette manière d’entonner les chants, subliminale, mystique, évocatrice, que l’on retrouve partout, de la Guadeloupe à la Colombie, du Pérou à Haïti… Comme si la même sève avait irrigué de souffrance et d’espoir le message enchanté de la nuit amérindienne :  » Ne t’accroche pas au soleil, demain il sera de retour « .
Cette forme de chant lancinant demeure le produit d’un syncrétisme entre les différentes ethnies africaines d’une part, et de l’autre d’une condition commune et spécifique pour tous ces gens : le fait de devoir vivre loin de la terre mère.
Une force immense traverse ces musiques, raison pour laquelle la salsa, le reggae, l’afro-cubain ou le zouk – qui en sont les dernières expressions – font danser, cinq siècles après, toute la planète.
La manifestation  » Rythmes Caraïbes  » qu’organise le Parc de la Villette est l’occasion, et la bonne, d’actualiser le souvenir des musiques d’esclaves qui ont par la suite envahi le monde entier et – phénomène encore plus remarquable – qui ont survécu jusqu’à aujourd’hui. Elles affirment toujours davantage leur vitalité, et cela dans leurs formes basiques, suggestives, éblouissantes.
Programmé durant ces week-end, le groupe portoricain Afroboricua utilise par exemple un répertoire enraciné dans la période enfouie de la société esclavagiste insulaire, dont la bomba est l’exemple le plus significatif.
Nous avons ainsi axé ce dossier réalisé en partenariat avec cette manifestation sur le thème de la trace noire, dominante par les biais de la vibration rythmique dans toutes ces musiques afro-caraïbéennes.
Pour garder cette trace vivante et ne pas céder à l’intellectualisme, nous avons saisi cette occasion pour rencontrer des personnages clé dans ce domaine de la connaissance, comme le poète martiniquais Edouard Glissant, le musicologue haïtien Ralph Boncy, le musicien martiniquais Dédé St Prix, le musicien béninois Danialou Sagbohan, le pianiste guadeloupéen Alain Jean-Marie et deux vedettes de la musique jamaïquaine, Rita Marley et Burning Spear.

///Article N° : 373

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