L’Afrique avec une seule réserve

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L’exposition L’Afrique de nos réserves, qui se tient au musée-château d’Annecy, compose une histoire des regards sur les arts d’Afrique. Elle se déroule selon un parcours chronologique qui souligne la manière dont les objets, qu’ils soient d’Afrique ou d’autres continents, ont été présentés en fonction de considérations ethnologique, exotique, esthétique ou politique, à l’échelle des collections en Rhône-Alpes. Elle nous rappelle D’un regard l’Autre, l’exposition du musée du Quai Branly qui s’était penchée, en 2006-2007, sur la multiplicité des regards que l’Europe a portés sur les cultures d’Afrique.

Elle présente plus précisément, dans les trois premières salles, une histoire de l’Afrique de nos musées et de ses salles d’exposition. L’Afrique, comme s’il s’était agi d’un pays et non pas d’un vaste continent où abonde la diversité. L’Afrique, comme ensemble culturel et esthétique sous lequel ont été regroupés des cultures et des arts extra-africains. L’Afrique, telle qu’elle a été le plus souvent abordée, et dont les arts sont en fait devenus le miroir de ceux qui les exposaient et les contemplaient. En cela l’exposition se révèle convaincante.
Elle souligne en outre les approches nuancées de missionnaires, ethnologues et scientifiques éclairés, grâce auxquels les objets africains ont tout de même pu être appréciés à leur juste valeur. Elle développe également la très intéressante interaction – l' »interculturalité » – entre la demande touristique d’objets et les réponses des artistes africains (un phénomène culturel par ailleurs bien renseigné dans les travaux d’Anne Doquet, tel que l’article « Dans les coulisses de l’authenticité africaine », Les Temps Modernes, août-novembre 2002).
Afin d’illustrer cet ensemble de questions passionnantes, de très beaux objets sont sobrement présentés dans des vitrines aux couleurs parfois soutenues sans nuire à leur qualité, tels ce vert et cet orange qui ne sont pas sans rappeler les fonds sur lesquels le musée Africain de Lyon a photographié autrefois certaines de ses sculptures pour l’édition de ses cartes postales.
Enfin, la dernière salle se propose, avec pertinence et humour, comme un reflet de la muséologie maladroite et parfois confuse de certaines institutions d’aujourd’hui (telles le musée du Quai Branly et, peut-être, le futur musée des Confluences ?), c’est-à-dire un lieu, un « fourre-tout », où se mêlent : pilier de toguna, peignes, sièges et objets cultuels d’Afrique, arts contemporains d’Afrique (statues de ciment d’origine funéraire devenues pièces d’art contemporain, et panneau publicitaire de coiffeur) et pièces de la Polynésie et de la Nouvelle-Calédonie. Des objets choisis pour leur seule valeur esthétique – et peut-être marchande ? – juxtaposés comme dans un musée d’autrefois, sans lien évident – si ce n’est le fait d’être des « arts premiers » ? -, devant un mur où s’affiche une enchère extravagante.
Il est juste dommage que, dans cette dernière salle comme dans les précédentes, aussi peu d’informations soient données sur les objets. Hormis leur provenance et leur matériau rien n’est dit de leur fonction, de leur sens, ni de ceux qui les ont produits. Pourtant, le public a souvent besoin dans ce domaine des arts africains encore si méconnu non pas tant de certitudes que d’éclaircissements. Certes, les documenter n’était apparemment pas la vocation première de l’exposition, mais cette absence d’informations risque de l’inscrire dans une historiographie du regard, dont elle choisit pourtant de dénoncer la suprématie des discours ou leur manière de se substituer aux objets eux-mêmes.
Toutefois, le catalogue dense et passionnant, qui aurait pu être mis à disposition dans les salles, saura satisfaire la curiosité des visiteurs. Souhaitons donc à chacun de pouvoir l’acquérir afin d’être informé sur les œuvres et les populations qui les ont créées, et qu’une prochaine présentation des collections les mette pleinement en lumière.

///Article N° : 10626

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