Rêves sur cendres

De Sauve-Gérard Ngoma Malanda

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On connaissait le chroniqueur culturel à travers, notamment, l’émission télévisée « Cultura » et les colonnes de l’hebdomadaire Le Fanion. On découvre aujourd’hui le poète. On s’empresse de le lire. On le lit. On s’émerveille devant sa technicité, la justesse du ton et du propos et le poids des mots et des images qu’il forge à sa guise, qu’il manie avec dextérité, qu’il façonne avec plaisir, et qui confère aux textes de son recueil une particulière résonance poétique.

« Je nouerai mes rêves à une vierge impubère
Pour que renaisse l’espérance
Dans nos cœurs déprimés »

Le chroniqueur est donc devenu poète. Mais, à vrai dire, et on aurait raison de se la poser, la question vaut encore de nos jours son pesant d’or bien qu’elle soit aussi vieille que l’humanité : « Peut-on devenir poète ? » La réponse que les Latins apportaient à cette question se résumait en peu de mots : « Poeta nascitur, orator fit« . Qu’est-ce à dire sinon qu’on naît poète et qu’on devient orateur.
La conception du poète et de la poésie a beaucoup évolué au cours des siècles. La notion de travail tend à supplanter celle de don, d’aptitudes naturelles ou d’inspiration. Autrement dit, la conception moderne de la poésie situe son lieu de naissance, non dans une sorte de nébuleuse inaccessible qui aurait pour rôle d’inspirer le poète, mais dans ce corps à corps que le poète livre au matériau spécifique mis à sa disposition, qu’est le langage verbal, voire la langue.
Le poète se caractérise ainsi par ce don du verbe qui l’habite, mais aussi par son aptitude à éveiller l’émotion, à susciter l’étonnement, à contourner les pièges de la raison, à transformer le monde. L’orateur peut user d’artifices poétiques pour plaire ou émouvoir, mais son discours reste de l’ordre de la rationalité. Construit savamment et puisant ses ressorts dans l’arsenal de la rhétorique, il a pour objectif de convaincre.
Le chroniqueur devenu poète ou plutôt le chroniqueur doublé d’un poète ou, tout simplement, le « chroniqueur-poète » dont il me plaît de parler aujourd’hui, au nom de la poésie, se nomme Sauve-Gérard Ngoma Malanda, et son recueil a pour titre Rêves sur cendres.
Ce recueil est paru aux Éditions L’Harmattan-Congo en janvier 2012. Il est assorti d’une préface de Jean-Baptiste Tati Loutard, et compte trente et un poèmes se partageant les soixante-douze pages qui le composent. Ces pages sont réparties en huit séquences de longueur variable, intitulées respectivement « Prologues », « Sang de rêves », « Tourmente », « Non au soleil », « Rêves épars », « Vers l’exil », « Sur les cendres de l’exil », « Épilogue ». L' »Épilogue » répond au « Prologue » et, entre les deux ensembles-limites, se construit et se déploie un discours dans lequel les mots « rêves », « cendres », « sexe » et « Christ » introduisent le lecteur dans l’imaginaire du poète, c’est-à-dire dans son univers mental et affectif.
Dès le seuil du recueil, on est en présence d’une énigme. Quelle signification peut avoir le syntagme nominal « Rêves sur cendres » ? On sait ce que veut dire le mot « rêve ». Jean-Baptiste Tati Loutard, dans sa préface, le distingue du « songe ». Selon l’opinion la plus répandue, souligne-t-il, le rêve éloigne l’homme de la réalité alors que le songe est plus proche de la pensée. Sauve-Gérard Ngoma Malanda prend le contre-pied de l’opinion répandue. Il n’ignore pas la puissance et le pouvoir du rêve, qui libèrent l’homme des contraintes et de la pesanteur de la Raison. Il sait que dans le rêve tout est possible et que les pouvoirs de l’humain y sont illimités. Il fait donc du rêve un phénomène dynamique, voire l’expression la plus achevée des aspirations de l’homme. Aspiration au bonheur. Aspiration au mieux-être. Aspiration à la tranquillité et à la paix. Le titre donne le ton. Il oriente la lecture. Les occurrences du « rêve » dans le recueil sont nombreuses. Elles sont diversement exprimées bien qu’elles soient toutes la manifestation d’un profond désir, celui de vivre le monde autrement. Je n’en veux pour preuve que ce fragment du poème « Mission » :
« Je nouerai mes rêves à une vierge impubère
Pour que renaisse l’espérance
Dans nos cœurs déprimés »

Dans ces vers, s’exprime sans détour l’engagement du poète à créer les conditions de l’espérance et du renouveau dans un monde qu’il juge désarticulé, brisé, corrompu du fait des hommes. L’une des conditions est précisément l’amour partagé. Et cet amour ne doit pas être l’aboutissement d’un quelconque commerce avec ce que le poète désigne par la métaphore « des seins nus des femmes sauterelles », il devra plutôt découler des rapports empreints de pureté et vécus dans l’accomplissement mutuel.
Mais les rêves dont le poète semble faire l’apologie et qui constituent une des clés explicatives de son œuvre, se déploient dans la proximité d’une autre réalité qu’il désigne par le mot « cendres ». La préposition « sur » qui relie « rêves » à « cendres » n’indique ni origine ni provenance comme c’est le cas dans l’expression « Renaître de ses cendres » ; elle marque plutôt la position « en haut » ou « en dehors ». Pour mieux comprendre le titre du recueil de poèmes de Sauve-Gérard Ngoma Malanda, il ne serait pas inopportun de s’attarder quelque peu sur le mot « cendres ».
Les dictionnaires de la langue française reconnaissent à « cendres » six acceptions : la poudre issue de la combustion de certaines matières organiques ; toute matière qui se réduit facilement en poudre ; toute destruction par le feu, l’incendie ; les restes d’une personne ; le symbole de la dissolution du corps dans la religion catholique. Mais quel sens le mot « cendres » acquiert-il dans le libellé du titre du recueil de Sauve-Gérard Ngoma Malanda ? Il me semble que l’idée sous-jacente à toutes les acceptions ici indiquées et rappelées n’est autre que celle de destruction, d’anéantissement, de dissolution avec, comme conséquence, la présence des traces de ce qui fut et n’est plus.
« Rêves sur cendres » prend alors le sens d’une méditation sur la mort, que celle-ci soit l’œuvre des humains ou la conséquence des catastrophes naturelles. Quelle que soit sa nature, la méditation s’accompagne, ici, du désir de restaurer l’ordre moral ancien mais aussi de rétablir l’équation intime du poète disloquée du fait de la destruction et, par conséquent, de la mort. L’absence de déterminants rend plus hardi encore le propos du poète. Car il ne s’agit pas « des rêves sur des cendres » ou « des rêves sur les cendres », mais plutôt « rêves sur cendres ». L’expression se dépouille de tout artifice du langage. Elle prend un raccourci. Elle va vite. Elle va à l’essentiel comme s’il y avait, au plus profond du poète, quelque urgence à témoigner de la présence des « cendres » et de la double nécessité de cerner et de révéler au monde les raisons de leur existence.
Au-delà des mots du titre, à savoir : « rêves » et « cendres », il en existe d’autres qui présentent une récurrence telle qu’elle peut être interprétée comme significative. Il s’agit notamment de « Christ » et des mots « sexe », « gouffre », « renaissance », etc. Ils tournent à l’obsession dans le dit et le dire poétiques de Ngoma Malanda. Je vais cependant me limiter à la seule occurrence de « Christ » et réserver mes commentaires sur le « sexe » et le « gouffre » pour des réflexions ultérieures. L’image du Christ se profile à chaque détour des pages. Tantôt elle se confond avec celle du peuple à son tour moqué et crucifié au golgotha des passions et égoïsmes, tantôt elle se conforme à celle des Saintes Écritures. Car, dans l’esprit du poète, les souffrances de son peuple sont comparables à la passion christique. Il en appelle alors à sa résurrection et à sa rédemption. Même lorsqu’à son tour, confronté au désespoir, il est tenté de se détourner du Christ :
« Ce soir à ta table [écrit le poète]
Plus personne ne doute de mon absence
Ne m’attends plus Christ »

c’est encore vers le Christ qu’il tourne son regard :
« Voici que le ciel annonçant ma résurrection [confie-t-il]
Charrie vers moi une croix ensanglantée
Pour désigner le fils de l’Homme »

Le poète va au « Christ » tantôt par l’amour, tantôt par le désespoir. C’est que le « Christ » demeure le point de départ et l’aboutissement de ses pensées.
Tout au long de son recueil, Sauve-Gérard Ngoma Malanda adopte une écriture d’urgence, qui ne s’embarrasse pas de fioritures, qui va droit au but, qui ne répugne guère aux métaphores les plus hardies. Jean-Baptiste Tati Loutard a vu dans cette écriture l’influence de Tchicaya U Tam’Si. Il a eu raison. Sauve-Gérard Ngoma Malanda a beaucoup lu. Il a pratiqué des auteurs d’horizons divers. Il les a sans doute imités. Il est évident qu’on ne peut pas écrire si on n’a pas lu. Il est aussi évident qu’on ne peut atteindre les sommets de l’art si, au départ, on n’a pas imité. Il est tout à fait normal qu’un jeune qui arpente pour la première fois les chemins de la création, se dote de repères en se choisissant des modèles. Je vois plutôt dans l’écriture de Sauve-Gérard Ngoma Malanda des traces d’un certain automatisme propre à la poésie surréaliste : absence de ponctuation ; juxtaposition d’énoncés sans outil de liaison ; flamboiement d’images nées du rapprochement fortuit des termes ; libération du langage de la double contrainte de la logique et de la communication immédiate, etc. Mais le surréalisme de Ngoma Malanda n’est pas que pure aventure intellectuelle comme chez les poètes d’Europe, il s’apparente à celui des poètes négro-africains du fait de sa dimension existentielle. Ngoma Malanda pense et vit ce qu’il écrit. Il ne ruse pas avec le réel. Il a connu les guerres civiles qui ont secoué son pays. Il est vrai et sincère dans ce qu’il dit. La sincérité est une des qualités majeures du poète. Sauve-Gérard Ngoma Malanda est un poète vrai par la sincérité de son propos et par la grâce de son écriture.
Puisse ce recueil de poèmes le révéler au monde ! Puisse-t-il faire de lui une étoile montante dans le firmament des lettres congolaises !

Rêves sur cendres, un recueil de poèmes de Sauve-Gérard Ngoma Malanda, préfacé par Jean-Baptiste Tati Loutard (Brazzaville, L’Harmattan-Congo, 2011, 72 p.)Fait à Brazzaville, le 24 février 2012///Article N° : 10627

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