L’autoproduction, business rentable ?

Entretien de Christine Sitchet avec Pablo Symbol, chanteur d'origine camerounaise

Print Friendly, PDF & Email

L’autoproduction, une solution ? Pas n’importe comment !

Vous vivez à Paris depuis dix ans ; vous venez tout juste de sortir votre troisième album, « Ma graine 2000 », un disque « auto-produit » ; comment en êtes-vous venu à assumer vous-même le rôle de producteur ?
Je me suis lancé dans l’autoproduction sans vraiment le savoir. J’ai financé mon premier album avec mes économies. Je pensais qu’une fois le disque enregistré, le travail était terminé. En fait, tout restait à faire. J’ai commencé à vendre l’album par moi-même et n’ai trouvé un distributeur que cinq mois plus tard. Avec mon deuxième album, j’ai voulu adopter une démarche différente. J’ai enregistré une maquette, puis j’ai démarché avec une cassette « démo » pendant un an pour trouver un distributeur. Sans succès. J’ai finalement décidé de fabriquer et vendre moi-même le disque. Six mois plus tard, j’ai trouvé un petit distributeur.
Ces deux albums se sont mal vendus et ont vite disparu des bacs. Je me suis rendu compte que les petits distributeurs avaient peu de poids sur le marché du disque. C’est pourquoi j’ai volontairement orienté le troisième album vers une autoproduction. Ma démarche était pensée dès le départ. Je me suis dit qu’à défaut d’avoir un distributeur d’envergure, je ferais moi-même ce travail. Il me paraissait plus intéressant de ne pas passer par un petit distributeur indépendant qui ponctionnait une partie de la vente sans pouvoir bien assurer le placement des disques dans les bacs. J’ai réussi à obtenir un référencement à la Fnac : après écoute, un vendeur a attribué à mon disque un code barre et l’a mis en vente. Il restait alors un laborieux travail pour déposer l’album dans chaque magasin.
Quel a été pour vous l’investissement financier le plus lourd dans la production ?
Ayant travaillé dans un studio professionnel, ce sont les frais de studio qui m’ont coûté le plus cher, suivi de près par les frais de fabrication de l’album – pochette, photogravure, pressage -, puis par les cachets des musiciens.
Combien pensez-vous qu’un musicien doive avoir à sa disposition pour se lancer dans une autoproduction ?
Tout dépend du style musical ; tout dépend si l’on a recours à des programmations ou à des musiciens. Mais en gros, je pense qu’il faut un minimum de 30 000 FF pour sortir 500 à 1000 disques. Attention : ces chiffres ne prennent pas en compte les frais nécessaires à la promotion.
Avec le recul, qu’est ce qui vous semble avoir été le plus difficile dans cette expérience de dédoublement de l’artiste en producteur ?
Le plus difficile est sans doute la multiplication des responsabilités. Etre en même temps auteur, compositeur, interprète, producteur, directeur artistique et finalement commerçant, c’est beaucoup trop pour une seule personne ! Au moment de l’enregistrement par exemple, alors que j’étais en train de chanter, je pensais parfois non seulement à la musique mais aussi à chaque minute de studio qui coûte cher. Je pensais à la vente du disque, à ce qui restait à faire pour que l’album arrive sur le marché. J’avais la pression de tous les côtés.
Est-il facile de rentrer dans ses frais et de faire du business avec une autoproduction ?
Un artiste qui tourne beaucoup et qui vend ses disques en concert pourra rentrer dans ses frais et peut-être faire un bénéfice. Les concerts lui donnent l’occasion de toucher un public assez large. La vente chez les disquaires est plus difficile si l’on n’est pas encore vraiment connu. Pourtant, si un vendeur croit en un autoproduit, il peut lui donner sa chance, pousser l’album, le mettre à l’écoute, le conseiller. Je pense que les vendeurs ont vraiment un grand pouvoir au niveau de la vente. Enfin, il y a une voie en plein essor, en laquelle je crois beaucoup, qui offre une alternative à la vente « classique » dans les bacs et en concert : la vente par Internet.
L’avez-vous utilisée ?
Oui. Je viens tout juste de référencer mon dernier disque sur un site qui vend des autoproduits. La vente est ouverte à tous les styles musicaux ; sans condition autre qu’une qualité sonore correcte. Je ne peux pas vous en dire plus pour l’instant : je n’ai pas encore de chiffres.
Et les droits d’auteur (SACEM) et d’interprète (Spedidam) ?
C’est vrai qu’il ne faut pas négliger l’apport financier généré par des droits liés à la diffusion radio – et télévision, si on a de la chance ! Ils permettent à certains musiciens de rentrer dans leurs frais de production et même de faire des bénéfices. Mais il ne faut pas compter dessus car c’est beaucoup une question de chance ; je l’ai eue avec mon deuxième album, grâce à l’Hymne africain du mondial composé pour la coupe du Monde 98.
Quels sont les conseils « business » que vous pourriez formuler à l’égard d’un musicien qui souhaite se lancer dans une autoproduction ?
Avant tout, mon conseil est de limiter à tous les niveaux les dépenses ; en gardant à l’esprit que lorsqu’on se lance dans une autoproduction, on prend un risque. Il me semble que si l’on n’a aucune piste de distribution, il ne faut pas sortir plus que 1000 CD. C’est déjà énorme à écouler. Il sera toujours temps d’en refabriquer. Si on en a la possibilité, il est important d’investir dans la fabrication d’un single, 500 par exemple. Le single constitue à mes yeux un outil de promotion précieux. Il a l’avantage d’être léger, donc moins cher à envoyer. Et puis, il est plus facile d’utilisation pour les journalistes et programmateurs qu’un album de douze titres par exemple. Enfin, les titres diffusés par les radios étant moins nombreux, il est plus facile pour l’auditeur de les retenir. Ça permet un effet de synergie. Petite précision : il ne s’agit pas de vendre le single ; ça n’est pas rentable ! On l’enverra surtout aux radios. Une promotion presse est délicate à mener dans le cas d’un autoproduit. Les journalistes hésitent souvent à parler d’un disque qui n’a pas de distributeur, considérant qu’il sera difficile au public de trouver l’album en question. Avec Internet, tout risque de changer.
Quelles sont à votre avis les raisons de la multiplication des autoproduits dans le domaine musical africain ?
Il y a bien sûr le développement des technologies et la possibilité d’avoir son propre studio, ce qui facilite la production. Au-delà de cette explication, il me semble qu’il existe un blocage de la part des maisons de disque en France à l’égard des musiques africaines. Elles pensent que le public n’est pas sensible à ce type de musique, sauf lors de modes passagères souvent générées par un tube estival et un matraquage commercial construit sur une vision cliché de la musique africaine considérée comme une « musique du soleil » pour danser, avec tous les effets pervers véhiculés par cette vision exotique.
Que faire selon vous pour remédier au recours trop fréquent à l’autoproduction, qui reste en définitive une voie difficile en terme de business ?
Je pense qu’il faut que les Africains aient leur propres structures de production et de diffusion ; de vraies structures, viables, qui occupent une véritable place sur le marché du disque et qui aient les moyens d’investir dans les musiques africaines.

Discographie :
Symbiose (1993)
Afrodisiak (1998)
Ma graine 2000 (2000)
Contact : 06 85 17 06 56///Article N° : 1414

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire