Le Châtelet fait son Jazz. Et le Jazz embrase la ville

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Du 5 au 12 mars dernier, le théâtre du Châtelet a accueilli une manif de rêve, Le Châtelet fait son Jazz, dédiée à cette musique-monde. La programmation, éclectique et généreuse, a réjoui les passionné(e)s du genre et enchanté le public venu en nombre à la rencontre des artistes invités.

Focus sur le week-end de clôture, avec l’inénarrable Richard Bona, bassiste chanteur virtuose, ambianceur hors-pair et ambassadeur de la paix entre les cultures, le jeune prodige Arnaud Dolmen, batteur explorateur remarqué dès son premier album Tombé lévé, et le toujours surprenant Avishai Cohen, contrebassiste et chanteur habité, et plus que jamais peut-être habitant du monde, avec son nouveau projet Iroko, présenté en première mondiale à Paris.

Au moment où j’écris ces lignes, la musique résonne encore en moi, les mélodies, le groove, le soleil, la liesse arrachée. Alors qu’il pleuvait, qu’il hurlait, qu’il revendiquait, qu’il faisait grève   dehors, dedans il chantait, il dansait, il vibrait, il faisait trêve, songe d’été en hiver, nous étions dans un autre monde, où la musique efface les frontières, toutes les frontières. Un monde où la musique, et pas n’importe laquelle, le Jazz, nous rappelle que nous pleurons et sourions toutes et tous dans la même langue, celle des cœurs qui débordent.

C’est Richard Bona, qui a déclenché comme on dit dans le pays d’origine du musicien lauréat d’un Grammy Award, d’une Victoire de la musique et du Grand Prix de la Sacem, entre autres honneurs reçus durant sa foisonnante carrière. Né au Cameroun, installé aux Etats-Unis, Bona se considère comme un enfant de la terre, et il l’est, chantre de relation. Sa musique est un carrefour, un espace du divers, une région du Tout-monde, où les différences échangent, partagent, s’engagent, sur le chemin de l’altérité heureuse, lumineuse.

Richard Bona (c) Théâtre du Châtelet

Bona met un point d’honneur à chanter en duala, sa langue maternelle, peut-être parce qu’au rendez-vous Senghorien du donner-recevoir, on vient avec ce qu’on est et avec ce qu’on a, à offrir à l’autre. Et Bona s’offre, avec humour et amour, Bona offre, toute sa technique et sa maestria qu’on finit souvent par oublier parce qu’il fait le show, s’amuse et amuse la galerie, rit et fait rire, prend du plaisir et prend position, donnant à réfléchir aussi, en toute légèreté. O si tikanè ndutu o mulema, il y a bien une invitation à la simplicité et à la joie de vivre dans le set proposé, solaire. Nous sommes ressortis enjaillés du Bal Africain de Richard Bona accompagné ce soir-là par Nicolas Viccaro à la batterie, Alexandre Herrichon à la trompette, Ciro Manna à la guitare et Mica Lecoq au clavier. Enjaillés, oui c’est le juste mot, et chargés d’énergie positive, tellement nécessaire contre les affects tristes. Je souris encore, en repensant à la dancing ovation finale, sur la reprise imparable de Ndedi Dibango, chanteur Camer de mon enfance. Na som jita Richard, pour ces mots aussi :

Autre ambiance après le Bal Africain ayant mis le feu à la Grande Salle un peu plus tôt, le message ou plutôt le questionnement en musique d’Arnaud Dolmen, Adjusting, dans le Grand Foyer.

Le batteur guadeloupéen, lauréat des Victoires du Jazz 2022 dans la catégorie révélation, porte à la scène son nouvel album, en quartet avec Léonardo Montana au piano, Francesco Geminiani au saxophone tenor et Samuel F’hima à la contrebasse. Dans un monde aussi beau que bruyant Adjusting interroge nos interconnexions et expériences humaines.

Le ton est donné, le son aussi, frais, fluide, élégant, feutré parfois, et Dolmen bat la mesure, la Ka danse pourrait-on dire, et il nous embarque au cœur tambour de son Jazz teinté de Gwo-ka. Il en parle ici :

Le lendemain, au tour d’Avishai Cohen et de son merveilleux Banda, le maître percussionniste Abraham Rodriguez Jr. aux congas et à la voix, Horacio ‘’El Negro’’ Hernandez à la batterie et aux percus, Yoswany Terry au saxophone et au chekere, Diego Urcola à la trompette et au trombone, Jose Angel aux percus également et à la voix, et la sublime Virginia Alves au chant et à la danse.

Là encore, quelle belle aventure artistique, et quel tour du Tout-monde, chants sacrés yoruba, bantou, gospel, it’s a man’s man’s world, motherless child, etc... Le contrebassiste et chanteur israélien entouré de musiciens portoricain, cubain, argentin, espagnol, nous a conviés à un set afro-caribéen, rumba tendre et enflammée. Impossible de tenir assis sagement sur son siège, d’ailleurs nous avons fini debout, à danser au fond de la salle. Quand la musique est bonne, on se lève et puis c’est tout. Et on se laisse vibrer, on se laisse bouger, on se laisse emporter. Et on remercie.

On remercie pour l’Iroko, cet arbre d’Afrique aux propriétés magiques qui peut vivre plusieurs siècles. Comme cette musique palimpseste, par essence ouverte à tous les vents, tous les temps, tous les genres, unique.

Le Châtelet a fait son Jazz, et ce fut grand et beau, généreux ai-je envie de répéter.

Dehors il pleuvait, il hurlait, il revendiquait, il faisait grève, et dedans il chantait, il dansait, il vibrait, il faisait trêve, songe d’été en hiver. Nous étions dans un autre monde, où la musique efface les frontières, toutes les frontières. Un monde où la musique, et pas n’importe laquelle, le Jazz, nous rappelle que nous pleurons et sourions toutes et tous dans la même langue, celle des cœurs qui débordent.

Marc Alexandre Oho Bambe

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