Avec Le chemin des parias, le romancier franco-camerounais Jean René Essomba offre un roman puissant et catalyseur sur la renaissance des sociétés africaines après leurs désagrégations causées par les envahissements extérieurs.
Le chemin des parias est avant tout un livre axé sur la spiritualité Ékang, un peuple qu’on retrouve en Afrique centrale, notamment au Cameroun où l’auteur est originaire. Dès les premières pages, c’est le déroulement du rite So qui est mis en exergue. Celui-ci sous-tend le Mvoé ou la solidarité qui régit la communauté. Sans cette solidarité, qui constitue l’épine dorsale de la communauté, rien ne peut tenir. L’ébranlement de celle-ci entame donc ipso facto la communauté. C’est l’époque des colons allemands qui voient d’un mauvais œil la pratique de ce rite, qu’ils taxent d’ailleurs de sorcellerie, et ne vont pas réfléchir par deux fois pour l’interdire. C’est un jeune doué et talentueux de la communauté, qui maîtrise très bien le secret de ce rite, que les envahisseurs vont manipuler pour atteindre leur objectif. Il est récupéré par ces derniers et devient un cadre supérieur de la colonie. Lors d’une excursion sur le terrain, il met définitivement un terme au rite So en s’opposant farouchement à son guide suprême. Mais pour lui, ce geste est simplement une astuce pour remettre sa communauté debout et cela passe par l’enseignement des connaissances de leur spiritualité à tous, blancs comme noirs. La relation êtres humains et connaissances est explorée dans ce roman à la prose rythmée et poétique et aux figures de style alléchantes qui tiennent en haleine le lecteur. Connaissance de soi, connaissance de l’autre, exploration profonde de la nature, sociétés secrètes, carrefour des temps où se trouve l’immortalité, sont tour à tour évoquées à travers une narration qui tourne tout autour d’un personnage aussi mystique que mystérieux qui ne cesse de vivre à travers l’espace et le temps par le truchement de la réincarnation.
Au-delà de cette relation êtres humains et connaissances, c’est le secret du pouvoir en général qui est au centre du roman, qu’il s’agisse souvent du pouvoir communautaire, étatique ou associatif. La communauté Ékang, plusieurs fois centenaires, doit sa longévité au mythe qui caractérise son pouvoir. Mais ce mythe est aussi à l’origine de sa décadence. S’il avait été mis à la disposition de toute la communauté, et n’avait pas seulement été l’exclusivité de sa seule élite, la société, à travers ses membres, aurait résisté, avec bravoure, aux envahissements extérieurs. À l’inverse, les États occidentaux, jusqu’ici, ont su entretenir le secret de leur pouvoir qui leur permet de régner, sans partage, sur le monde depuis plus de cinq siècles. Ce secret, qui repose essentiellement sur le mythe de la supériorité de la race blanche, est machinalement transmis de générations en générations à toutes les couches de leur société. Quant à la confrérie qui approche le héros, l’essentiel de son pouvoir repose sur une vie de gloire qu’elle miroite aux différents individus qu’elle juge important de récupérer dans son giron. La secte présente la réussite sociale, quel que soit le domaine, comme conditionnée par l’appartenance à son cercle. Aucune ressuscite sociale n’est possible en dehors de la confrérie. Elle constitue la voie par excellence pour atteindre ses objectifs. C’est elle qui fait et défait les plus grosses têtes de ce monde.
Par le choix d’un héros qui appartient à la classe des « sous hommes », l’importance des relations entre les êtres humains ainsi que le traitement de thématiques initiatiques comme la puissante société secrète qui courtise le héros, les tensions entre le héros et son entourage et l’amour et le respect inconditionnés que lui vouent les Chateauviron, J.R. Essomba offre aux lecteurs un roman puissant sur la culture africaine, emprunt de douceur et qui débarrasse de tout préjugé, notamment en offrant de beaux rôles secondaires aux personnages occidentaux touchants et sensibles.
À aucun moment dans le texte, il n’est fait mention explicite des origines ou de l’apparence physiologique du rédempteur de la communauté Ékang. Certains passages comme la scène où le héros rentre en possession de son sac de secret ou encore la mise en exergue des propos poignants d’Antoine de Chateauviron à l’égard de ce dernier, lui intimant l’ordre de révéler la dernière partie du secret, dont il est le seul à détenir, pour voir le Mvoé renaître, peuvent faire passer Jess comme le rédempteur de cette mythique communauté en quête d’un nouveau souffle pour se mettre à nouveau debout. Cependant, là encore, l’auteur évite toute explication hasardeuse ou pesante et préfère s’attarder sur les sensations, les émotions et les valeurs éthiques, morales et hautement spirituelles partagées par certains personnages.
Telle l’architecture du livre Da Vinci Code de l’américain Dan Brown, dans ses différentes parties (Révélation, Quête, Découverte et Protection du secret ), le roman trace l’itinéraire d’une rédemption, d’une renaissance sociale qui passe par la découverte et l’usage d’un secret très complexe, mais surtout par la divulgation de celui-ci à tous les membres de la communauté qui, littéralement en manque de certaines connaissances dès les premières pages, doivent se mettre debout comme un seul un homme, se décomplexer, et le moment venu, retrouver leur grandeur d’antan.
Grégoire Blaise ESSONO