Si Internet et la piraterie privée font vaciller les majors du disque, les petits labels indépendants pourraient bien tirer leur épingle du jeu. En misant sur leur qualité et leur spécialité.
Le reggae, Guillaume Bougard, 36 ans, est tombé dedans quand il était petit. A un concert de Bob Marley. En 1996, sa passion le rattrape. Il rencontre le guitariste du groupe Third World, lui trouve un label, et de fil en aiguille, signe deux contrats avec une autre pointure jamaïcaine, Pablo Moses. Il ne lui en faut pas plus pour se lancer dans l’aventure. Il laisse tomber son job dans une grande banque d’affaires et crée Tabou1. Deux ans et une trentaine d’albums plus tard, son label s’est hissé parmi les meilleurs du genre.
Pour monter votre label, quelles difficultés avez-vous rencontré ?
Ça a été de surmonter les freins mis en place par des concurrents français qui n’ont pas supporté l’arrivée d’un nouveau label : le seul à produire des oeuvres en Jamaïque, alors qu’eux se contentent depuis des années de distribuer des albums déjà sortis aux USA ou en Angleterre.
Allez-vous vous lancer dans la diffusion par Internet ?
J’y compte bien. Mais il reste à mettre au point un système de diffusion rentable. Je suis réservé sur les chances à long terme de sites comme Peoplesound ou Francemp3, d’autant que leurs catalogues sont remplis de titres produits par d’illustres inconnus dont le grand public n’a pas toujours envie d’écouter les élucubrations. Je crois par contre que du contenu de qualité sera toujours recherché, mais comment le valoriser financièrement ? Je n’ai pas encore trouvé la solution. C’est un pari d’autant plus difficile que certains sites MP3 représentent un défi quasiment insurmontable pour faire payer le téléchargement de musique.
Votre label est-il rentable ?
Tabou1 s’autofinance depuis ses débuts. Je ne gagne pas encore grand chose pour le moment, car je préfère tout réinvestir dans de nouvelles productions. Je suis de toutes façons opposé au salariat, et en particulier au salariat des entrepreneurs. Ceux-ci ne devraient se payer que si la société fait des profits, et ce sous forme de dividendes (formule d’ailleurs plus avantageuse fiscalement que les salaires). La boîte créée marche, alors on se paye, elle ne marche pas, il n’y a pas de raison de se payer. Le fric est une récompense, pas un dû.
Comment voyez-vous l’évolution de l’industrie de la musique ?
Sly Dunbar, un des plus grands batteurs et producteurs (Black Uhuru, Chaka Demus & Pliers, Grace Jones, etc…) de l’histoire de la musique jamaïcaine, m’a dit : » Quoi qu’il arrive, les gens veulent entendre de belles chansons, ils veulent pouvoir danser sur un beat bien groovy. On va vers un retour des mélodies, des arrangements bien produits. » Quant à moi, je souhaite qu’un grand coup de balai soit donné dans les maisons de disques. On y trouve une proportion effrayante de dilettantes, d’opportunistes et autres sous-fifres payés des salaires trop élevés pour la qualité de leur travail. Pour les questions industrielles, on va vers plus de concentration, et en même temps vers l’éclosion de structures unipersonnelles comme Tabou1, créées par des amoureux de la musique et des bosseurs acharnés. La distribution de la musique va évoluer vers plus de téléchargement, mais je pense que les entreprises 100% virtuelles seront un jour forcées de s’allier avec des entreprises « réelles ». Une chose est sûre, pour qu’une petite entreprise comme Tabou1 marche, il faut connaître parfaitement son sujet. J’ai la chance d’avoir créé ma maison de disques au moment où l’informatique et Internet me permettent d’effectuer un maximum de tâches sans bouger de mon fauteuil, depuis mon ordinateur. Je reste en contact avec mon distributeur aux USA via les e-mails et suis capable d’agir là-bas à partir de la France. C’est merveilleux.
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