Le duel des grands-mères, duels de loyautés

A propos du premier roman de Diadié Dembélé

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Le jeune auteur malien Diadié Dembélé nous livre son premier roman. Il y raconte l’histoire d’un petit garçon de Bamako envoyé auprès de sa grand-mère au village pour y apprendre les bonnes manières. Outre un duel épique entre mamies, Le duel des grands-mères met en scène des duels de loyautés.

Le livre démarre dans une cour d’école à Bamako, où les professeurs y exigent que les élèves se défassent de leurs langues vernaculaires afin de parler et maitriser le français. « À la maison tout le monde parle songhay, peul, bambara, soninké, senoufo, dogon, mandinka, tamasheq, hassanya, wolof,bwa. Mais à l’école personne n’a le choix : il faut parler le français », témoigne Hamet, 12 ans et narrateur du livre. Toute tentative de remplacer un mot français par un autre est sévèrement réprimé par une sanction et une humiliation publique. Diadié Dembélé, l’auteur, va cependant tout le long du récit, braver cet interdit en essaimant des mots en soninké ou en bambara dans la bouche de son narrateur. À la manière d’Ahmadou Kourouma dans Allah n’est pas obligé, il ponctue son texte d’exclamations telles que Samprain !, Saziké !, Krita Krata ! Gangara ganki ! Ces expressions et onomatopées imagées permettent de restituer l’oralité des récits. On trouve également des néologismes tels que « vertus djinnastiques » (p65) ou des traductions littérales d’expressions soninkés comme agir avec « un mauvais ventre » (p46). Comme son homologue ivoirien, Dembélé saupoudre les dialogues d’insultes en version originale pour notre plus grand plaisir : nafigui ! henabono! katanté! battaralémé !

Dans les pas de Samba Diallo et Amkoullel

Face à cela, à la maison, Hamet est tiraillé entre des injonctions contradictions. Un premier conflit en loyauté s’exprime dans les rapports entre le narrateur et ses deux parents. Son père, Kaba, a grandi dans la frustration de n’avoir pas pu faire des études alors pour le rendre fier,  Hamet veut parler « le gros gros français » et devenir un de ces fonctionnaires que N’pa admire tant. L’écolier s’efforce d’apprendre du vocabulaire pour faire des phrases si longues qu’on pourrait « rouler dessus avec des remorques-dix-tonnes » (p13). De l’autre côté, sa mère ne veut surtout pas qu’il amène ses soucis de l’école à la maison, et encore moins des tas de livres pourris. Elle aurait aimé l’inscrire à l’école arabe pour qu’il y apprenne le Coran. On retrouve le conflit qui s’est posé lorsque les colons français retenaient « en otage » des élèves pour servir l’administration. Les familles de Samba Diallo dans L’aventure ambiguë ou d’Amkoullel l’enfant peul, redoutaient de perdre leurs enfants en les laissant apprendre le français mais étaient impuissants face à la marche du « progrès ». Kaba croit pleinement aux vertus de l’enseignement français et son fils a épousé sa vision.

Les taboussi et le soninkaxu  

L’amour que le héros porte envers la langue française et la vie bamakoise l’amène à un nouveau choc des loyautés quand il sera envoyé auprès de sa grand-mère paternelle. Au village, il est considéré comme un taboussi, un stigmate que portent ceux qui ont été acculturés, qui ne respectent pas le soninkaxu. Au-delà de la maitrise de langue soninké, c’est l’attitude, la manière d’être, la relation aux autres et la façon de se mouvoir dans l’espace qui excluent Hamet. Si dans un premier temps, le petit garçon assume sa culture bamakoise, il est rattrapé par au choix son égo, sa fierté ou son orgueil. Il souhaite rabattre le caquet à ses détracteurs car il comprend qu’à travers lui, ce sont ses parents puis sa grand-mère que les villageois méprisent. Il est le fruit de l’éducation que ses parents lui ont transmise. Hamet va vouloir alors montrer qu’il est un digne héritier. Lorsque le Bamakois entre dans la concession de sa famille maternelle, il provoque un nouveau conflit. Cette fois il met en jeu sa loyauté envers le sang. Hamet ne veut pas tourner le dos à sa famille, fût-ce-t-elle composée de personnes dont il ignorait l’existence quelques heures auparavant.

Avec beaucoup de simplicité et de pédagogie, Diadié Dembélé nous fait découvrir les turpitudes d’une famille soninké.  Comme son aîné Amadou Hampâté Bâ, l’anthropologue et  le romancier se confondent. L’humour et la légèreté du récit accompagnent la profondeur et la justesse du propos. Il fallait une morale emplie de sagesse pour achever l’histoire. Une fois que Hamet a résolu ses conflits en loyauté, il peut quitter le village pour rentrer accomplir son destin. Et c’est en gagnant ses batailles intérieures qu’on peut être en mesure d’écrire un livre comme celui-ci.

Samba Doucouré

 

 

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