Le Hutu, le Tutsi, le Twa et la vache sacrée

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L’auteur de Afrique du Sud, naissance d’une nation plurielle (Ed. de l’Aube, 1997) a évoqué avec Louis Kayanga le statut des Twa dans l’imaginaire rwandais.

Des conflits ayant déchiré ces dernières années la région des Grands Lacs, les médias et le public, en néophytes, ont retenu l’extrême violence, la cruauté délibérée, l’enchaînement implacable des logiques de haine. Dans toute ségrégation, l’objet de la querelle réfère à une série de tenants et aboutissants impliquant actes vifs et alibis renvoyant aux structures de l’imaginaire et aux questionnements classiques du convivium inhérent à la présence du premier homme : Hutu ? Tutsi ? Twa ?
Car ainsi que me l’a expliqué Louis Kayanga, réfugié politique rwandais établi avec son épouse, réfugiée politique comme lui, en Afrique du Sud, la discorde rwandaise semble se circonscrire de manière exclusive aux intérêts de deux communautés hutu et tutsi, nonobstant la présence d’une autre communauté certes minoritaire mais non moins existante, la communauté twa.
Embryonnaire au sein de la population rwandaise, le Twa représente, dans les imaginaires collectifs hutu et tutsi, la forme achevée du rebut, de la putréfaction originelle. Réduit aux corvées et besognes infâmes, il est même inférieur à la vache. Car chez les Hutu et Tutsi comme chez de nombreux peuples de pasteurs, la vache symbolise l’opulence. Celui qui possède le bétail le plus important est jalousé, courtisé, apte à s’acquitter d’une dot élevée. Cette opulence se manifeste dans le langage même qui réserve un vocable étendu de substantifs et d’adjectifs à la description de chaque bête, et dans les traditions de l’oralité qui véhiculent un corpus de chants et proverbes dédiés au culte du bétail.
Ainsi, les systèmes de hiérarchisation et de ségrégation élaborés par les Hutu et les Tutsi relèguent-ils le Twa en-deça de la vache, sacrée par essence – un Twa jugé oisif, indolent, paresseux et dont la possession ne traduit pas un signe quelconque de richesse puisque son travail peut être accompli par un animal domestique, qu’il ne participe pas au paiement d’une dot et n’est investi d’aucune valeur pécuniaire. Si Hutu et Tutsi n’ont de cesse de s’accuser de s’adonner à d’inqualifiables actes de barbarie, ces deux communautés s’accordent à reconnaître que le Twa est naturellement, ontologiquement et congénitalement inférieur.
Avec des divergences cependant, ainsi que le remarquait Louis avec ironie : tandis que certains affirment que deux Twa ne valent pas une vache, d’autres martèlent en retour que dix Twa ne valent pas une vache. D’aucuns prétendent même qu’un Twa ne vaut rien.
Le problème est le même au Burundi. Un film de Joseph Bitamba, Les Oubliés vivants (vidéo 12′, 1995), montre à quel point la survie de cette communauté pygmée qui ne représente qu’1 % de la population burundaise paraît sérieusement compromise.

///Article N° : 346

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