Depuis une dizaine d’années, de plus en plus d’éditeurs africains francophones prennent conscience de l’importance du livre de jeunesse. Beaucoup reste cependant à faire pour qu’il soit accessible aux jeunes lecteurs – et au portefeuille de leurs parents.
« Au Zimbabwe, la moitié de la population de douze millions d’habitants a moins de quinze ans. Combien sont-ils à lire ? Que lisent-ils ? Que leur offrons-nous à lire ? » se demande Irene Staunton des éditions Baobab Books du Zimbabwe. Autant de questions que l’on peut poser dans n’importe quel pays africain. Si en Afrique anglophone les projets, les salons et les titres se multiplient, en Afrique francophone le livre de jeunesse est longtemps resté une denrée rare.
Et pourtant, depuis une dizaine d’années, de plus en plus d’initiatives ont vu le jour. Le secteur interculturel de la Joie par les livres, qui publie la revue Takam Tikou, recense aujourd’hui près de 450 titres d’auteurs et d’illustrateurs africains francophones. En 1998, les trois quarts de la centaine d’ouvrages parus sur l’Afrique ont été édités sur place. Signe d’un intérêt réel des éditeurs africains qui sont de plus en plus nombreux à se lancer dans la littérature de jeunesse. Certains, comme Akoma Mba au Cameroun, en ont même fait leur activité principale. Tous sont conscients du manque à pallier, et si la production annuelle reste encore faible (environ 2-3 titres par an et par éditeur), elle semble être relativement stable.
Facilement considérée comme un genre mineur, la littérature de jeunesse possède encore peu d’auteurs phares en Afrique francophone. Ceux qui écrivent pour les enfants ont du mal à faire reconnaître leur travail et les illustrateurs manquent de moyens matériels et d’expérience. La formation repose sur des ateliers conduisant à des projets d’édition ou de façon bénévole, comme les ateliers de l’auteur belge Marie Wabbes. Dans le cadre de sa collection d’albums coédités » Le caméléon vert « , Edicef incite les éditeurs nationaux à organiser des ateliers d’écriture et d’illustration dans leur pays respectifs.
Aliou Sow des éditions Ganndal de Guinée signale d’ailleurs les difficultés à obtenir des textes et des illustrations » adaptés à l’âge et l’imaginaire des enfants « . Mais les situations diffèrent beaucoup selon les pays. Ainsi, Anne-Marie Bonny qui dirige la collection jeunesse des Nouvelles Editions Ivoiriennes depuis décembre 1998, semble plutôt confiante sur la question de l’illustration, sujet qui lui tient à cur : » L’illustration est aussi un texte, une lecture. J’essaie de faire appel à de jeunes illustrateurs sortis de l’école des Beaux-Arts en Côte d’Ivoire. Nous avons un potentiel inouï. »
Une fois le texte et les illustrations trouvés, reste à imprimer et commercialiser le livre. Si les conditions techniques pour la réalisation d’ouvrages de bonne facture en quadrichromie sont aujourd’hui réunies dans plusieurs pays africains, les matières importées, comme le papier, sont greffées de lourdes taxes douanières. Le prix du livre reste donc relativement élevé pour le consommateur moyen qui, de toute façon, a rarement l’habitude de dépenser pour un livre – et encore moins pour un livre de jeunesse ! Considéré comme un objet de luxe, le livre est surtout lié à l’école et à l’apprentissage – non au divertissement et au loisir.
Encore faudrait-il que le livre soit accessible. La bête noire de l’édition africaine – et il ne s’agit pas là seulement du livre de jeunesse – reste la diffusion. La langue française, censée fédérer et offrir un plus large marché, n’y fait rien : malgré leurs qualités et leur parfaite adaptabilité à un marché dépassant les frontières nationales, les livres restent souvent cantonnés dans leur pays de production, ne sortant que rarement des grandes villes et de quelques librairies. Il n’existe, en Afrique francophone, aucune entreprise fédératrice de diffusion à l’image de l’ABC Book Collective pour l’Afrique anglophone.
Et pourtant, certaines initiatives voient le jour : depuis 1997, les éditions Les Classiques africains, en collaboration avec le secteur interculturel de la Joie par les Livres, diffusent en France ainsi qu’en Afrique une dizaine d’ouvrages, sélectionnés dans les catalogues d’éditeurs africains (cf. encadré).
Reste que l’importance de la lecture des enfants et des jeunes est désormais bien ressentie par les éditeurs. Certains tentent de créer des habitudes de lecture et de faire la promotion de leur production par des ateliers, des animations dans les écoles et les bibliothèques, la participation aux salons du livre et même par des chèques-livres, comme nous le signale Béatrice Gbado de Ruisseaux d’Afrique au Bénin.
La nécessité pour des ouvrages de jeunesse faits sur place est d’autant plus ressentie que certains livres occidentaux sur l’Afrique donnent souvent une image faussée. Même si ces livres circulent peu en Afrique à cause de leur prix élevé, les éditeurs sont conscients de leur impact en Occident et espèrent apporter d’autres perspectives : » Il reste beaucoup à faire pour offrir aux enfants de l’étranger des aspects culturels plus séduisants que l’image catastrophiste des médias « , souligne Jeanne Chabrol des éditions Donniya du Mali.
Tout compte fait, pour les éditeurs, il ne s’agit pas simplement d’exploiter un nouveau marché, mais aussi d’assurer leur propre existence, comme le fait remarquer Aliou Sow de Ganndal : » Nous estimons que la première approche porteuse pour résoudre le problème du manque d’habitudes de lecture est de former des enfants lecteurs qui seront des adultes lecteurs, et pour ce faire produire du matériel adapté et accessible. »
Les éditeurs qui font le choix de publier en langues nationales sont encore bien rares. Peur de restreindre davantage le marché, absence d’un lectorat alphabétisé dans ces langues, diversité des langues au sein d’un même pays – peu d’éditeurs franchissent le pas. Des exceptions existent toutefois, comme celle du Mali où les Editions Donniya, Le Figuier, Jamana et Fayida publient des textes dans les langues nationales.
En plus des bibliothèques associatives, scolaires et paroissiales, il existe quelques réseaux de bibliothèques en Afrique francophone. Le réseau de bibliothèques des projets de lecture publique, développé en étroite collaboration avec la France, regroupe plus de 300 bibliothèques. L’Agence de la Francophonie a lancé de son côté un réseau de 149 Centres de Lecture et d’Animation Culturelle (CLAC) en milieu rural dans 12 pays africains.
Le réseau du secteur interculturel de la Joie par les Livres regroupe 90 bibliothèques africaines en un réseau de lecture critique. Régulièrement, des envois de livres sélectionnés sont adressés aux responsables qui se chargent de recueillir et de transmettre les réactions des enfants face aux ouvrages. Celles-ci sont ensuite publiées dans la revue Takam Tikou.
Source : Secteur interculturel de la Joie par les Livres///Article N° : 1050