Le rôle de la femme dans la crise malgache

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Parmi les centaines de milliers de manifestants sur la Place du 13 Mai, ancienne place de l’Hôtel de Ville et du marché du Zoma, les femmes sont les plus expressives pour le changement. A plusieurs reprises pendant la crise barragiste, beaucoup ont défié les hommes, dans la plus ancienne tradition guerrière malgache : « laissez-nous les défaire si vous n’y arrivez pas ! ». De nombreux témoignages de personnes torturées font état de la question suivante dans les interrogatoires : « ta femme transmet des informations à la femme du Pasteur et à Madame Ravalomanana ? ».
Il y a aujourd’hui neuf femmes sénateurs, sept femmes députés et trois femmes ministres. Cela est très peu représentatif du rôle prépondérant de la femme dans le leadership associatif ainsi que dans la structure sociale. Plus de 30% des foyers ont une femme comme chef de famille. Toutes, comme sur ces images de manifestation, couvercles de marmite à la main, sont bien placées pour savoir que le quotidien de cette marmite est conditionné par le politique.

Cette photo d’une apparente simplicité cache des possibilités d’interprétation diverses… L’image est pleine d’émotion et d’affectivité car elle a le pouvoir de nous sensibiliser. Elle suffit à dire que les femmes malgaches ont tenu leur place pendant cette crise. Leur expression de joie, leur tenue vestimentaire uniforme, les sourires sur les visages expriment-ils la fin de cette crise ? On les sent revendicatives, en pleine action. Elles apparaissent les unes à côté des autres, unies dans leur manifestation. Est-ce pour signifier leur union que toutes ces femmes défilent ensemble sous le regard médusé des hommes : femmes des plateaux et femmes côtières ?
Elles utilisent des marmites comme objet de manifestation. Ce sont d’abord le symbole que la crise a des répercussions sur l’organisation du foyer, que ce soit économiquement ou socialement. La marmite sert à cuisiner et c’est le récipient qui contient la nourriture destinée à faire subsister la famille. Celle-ci s’organise autour du repas et l’utilisation de cet objet par les femmes manifestantes semble nous montrer à quel point la crise a pu bouleverser l’organisation et le fonctionnement de la famille.
En utilisant ces ustensiles, ces femmes semblent aussi nous exprimer leur souhait d’être complètement partie prenante dans cette crise avec leur statut propre de femme. Les marmites prennent ici tout leur sens car elles rappellent l’importance du rôle de la femme malgache dans les foyers, même quand celle-ci travaille. Les femmes travaillent plus que les hommes si l’on prend en considération les tâches ménagères. Autrement dit, le fait d’exercer une activité économique de marché ne modifie pas la répartition des tâches domestiques au sein du ménage. C’est la préparation des repas et la vaisselle qui constituent la plus grande part de ces tâches. Par contre, les hommes adultes consacrent deux fois plus de temps que les femmes aux activités économiques de marché et à peu près autant de temps que les femmes aux activités économiques hors marché.
La population malgache souffre et le taux de pauvreté est estimé à 73,2%. Dans les foyers, les femmes subissent de plein fouet les effets de la crise mais continuent à tenir leur rôle en s’occupant des enfants, des tâches ménagères, et doivent souvent abandonner leurs quartiers dans la peur et la tourmente. Elles sont exposées à la malnutrition, aux maladies liées au stress (hypertension, maladies cardio-vasculaires, ulcères d’estomac), à la misère, mais c’est sur elles que reposent la vie de famille, qu’elles tentent de protéger.
Toute photo étant porteuse d’ambiguïté, la casquette  » made in America  » portée par l’une d’elle en plein centre de la photo, est-elle un clin d’œil à l’empreinte de la mondialisation dans cette crise ? Cette photo porte tous les éléments dans un même espace : une place et une avenue symboliques, des drapeaux, des objets symboliques, des hommes et des femmes, des couleurs traditionnelles.
Il se dégage de cette photo comme une harmonie et une force rappelant que la crise malgache les concerne elles aussi. Elle fige immédiatement des faits. A partir de cette scène montrée, les photojournalistes sont les témoins physiques et les garants de l’existence réelle des femmes et de cette crise. Est-ce que les chants ou les slogans scandés au rythme des marmites témoignent véritablement de leur joie ou rappellent-ils que le peuple est affamé et dans la misère ?

///Article N° : 2980

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