Le sens de la danse

Entretien de Virginie Andriamirado avec la Cie Salia nï Seydou

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Ils sont tous deux originaires du Burkina Faso, où ils ont abordé la scène en tant que comédiens mais pratiquaient aussi les danses traditionnelles. En 1993, la chorégraphe française Mathilde Monnier les invitent à participer à sa création Pour Antigone. Ils travaillent depuis au sein de la troupe qu’elle dirige au Centre Chorégraphique de Montpellier. Entre temps, ils ont crée la compagnie Salia nï Seydou, dont le premier spectacle Le Siècle des fous avait été remarqué aux premières rencontres chorégraphiques de Luanda en 1995. Figninto, leur dernière création vient de remporter le prix Découverte RFI – Spectacle vivant.

Comment êtes vous passés de la danse traditionnelle africaine à la danse contemporaine ?
Notre approche de la danse est devenue contemporaine grâce à notre rencontre avec Mathilde. Avant, nous ne connaissions rien de la danse contemporaine. La danse occidentale était pour nous la danse des tutus. En découvrant la danse contemporaine, nous avons découvert une dynamique où l’on pouvait tout exploiter.
Comment est née la compagnie Salia nï Seydou ?
La découverte des danses contemporaines occidentales nous a passionnés. Nous vivons huit mois en France où nous sommes danseurs. Mais nous n’avons pas pour autant renoncé à notre culture, à nos danses traditionnelles. Notre compagnie est née de la volonté d’intégrer notre nouvelle approche de la danse à notre culture et à nos traditions.
Pour vous l’important est d’être reconnu en tant que chorégraphe et danseur avant d’être reconnu en tant que chorégraphe et danseur africain ?
Tout est lié. L’important c’est de pouvoir s’exprimer à travers la danse. Lorsque nous sommes en France, nous participons aux créations de Mathilde en tant que danseurs. Lorsque nous sommes au Burkina, où nous passons quatre mois par an, nous sommes danseurs et chorégraphes dans notre compagnie. Nous enseignons dans d’autres compagnies de Ouagadougou. Nous ne prétendons pas amener notre technique et inciter les autres à la suivre. Ce que nous voulons, c’est partager une expérience et trouver notre voie.
Que signifie Figninto ?
En Bambara, Figninto veut dire l’oeil troué. Le spectacle met en scène les relations manquées entre les hommes qui ont tendance à se fuir. Et c’est de cette communication manquée que naissent les divergences et les guerres. C’est pourquoi il y a si peu de contact physique entre les trois danseurs. Figninto c’est l’histoire de notre aveuglement sur les êtres et sur les choses. On ne prend plus le temps de donner du temps à l’autre. Et lorsque nous nous décidons à le faire, l’autre est parti. Il est mort.
La présence du sable sur la scène qui finit par recouvrir un des danseurs, c’est donc le retour à la terre nourricière ?
Oui, et c’est aussi le vieillissement et le pourrissement. La course du danseur traduit le fait qu’il se soit fait rattraper par ça. Il a voulu y échapper, il a gambadé partout. La mort qui le cherche prend son temps. Et lorsqu’il s’aperçoit qu’il ne peut lui échapper, il accepte la mort et se met sous une lumière crue.
Comment vos spectacles sont-ils perçus en Afrique ?
La première création, Le siècle des fous, les gens ont d’abord eu du mal à l’accepter parce qu’ils ne saisissaient pas tout. Nous leur avons expliqué que notre travail consistait à partir des danses traditionnelles africaines, et de les enrichir de techniques et d’expériences venues d’ailleurs. Figninto, que nous avons présenté au Burkina, a permis aux gens de mieux comprendre le sens de notre démarche.
Malgré votre expérience réussie en France, les traditions et votre culture restent la clé de voûte de votre travail ?
Si on nous enlève notre culture aujourd’hui on est foutus ! C’est notre essence. Il nous faut garder cette base pour avancer dans notre approche de la danse contemporaine et continuer à proposer des choses qui nous interpellent. Nous essayons de trouver d’autres formes, d’autres manières de bouger dans l’espace, mais nos racines ne sont jamais loin. C’est aussi ce qui fait la spécificité et l’originalité de notre compagnie. Notre but n’est pas d’imiter les grands chorégraphes contemporains. Nous devons suivre les pistes qui nous sont propres.
Vous voulez sortir la danse africaine des clichés occidentaux avec le danseur africain qui tape du pied au son du djembé ?
Lorsque nous avons joué aux Bouffes du Nord, au début du spectacle, le danseur commence à danser dans le silence. Quelqu’un dans la salle a crié « musique » ! A ceux qui nous demandent pourquoi parfois nous dansons sans musique nous répondons que chacun a sa musique propre. La rythmique se gère intérieurement. Il y d’abord la musique intérieure et la musique vient après.
Quels sont vos projets ?
Nous pensons à long terme à la formation d’artistes africains et notamment burkinabè. Nous voulons favoriser les échanges avec les chorégraphes occidentaux. Pour nous le travail de création est aussi lié à un travail de recherche. La formation que nous voulons lancer sur les cinq ans à venir va inclure la recherche et l’archivage de tout ce qui existe en pas de danse au Burkina. Nous voulons aller à la rencontre de ces danses ignorées qui tendent à disparaître. Avec les changements survenus en Afrique, les danses ne sont plus ce qu’elles étaient il y a cent ans. Pour nous c’est capital de retrouver ces sources qui sont à la base de notre danse. Cela va aussi nous aider à développer notre travail.
Notre contemporanéité ne peut pas s’affirmer si nous ne regardons pas le passé. C’est dans ce sens que l’on veut aller aujourd’hui. Ce n’est pas parce que nous faisons de la danse contemporaine que nous ne nous intéressons pas aux danses pratiquées il y a cent ans. Au contraire. Avant de nourrir un geste, on se dit :  » sa source vient de là « , et puis on l’amène ailleurs. C’est important pour nous parce qu’il ne faut pas se contenter de faire le mouvement pour le mouvement. Une création, c’est aussi ça. Danser pour ne rien dire, ça ne nous intéresse pas. On s’est toujours dit :  » quand tu montes sur scène, il faut que tu aies quelque chose à défendre « .

///Article N° : 350

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