Le slam entre dans le système éducatif mauricien

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Dans le système scolaire mauricien, assez sclérosé, où les méthodes d’apprentissage remontent souvent à l’époque coloniale britannique, il est difficile de faire évoluer les choses et d’introduire de nouvelles techniques. C’est pourtant l’expérience tentée en 2009 avec des ateliers de slam dirigés par le poète et slammaster, Stefan Hart de Keating, alias Stef H2k.

Le remaniement ministériel de l’année 2008 avait été une source de désappointement pour les animateurs culturels et artistes mauriciens. En effet, après plus de 25 années d’existence, le ministère de la Culture cessait d’exister de façon autonome et était regroupé avec le ministère de l’Éducation. L’avenir semblait sombre pour les créateurs qui se plaignent régulièrement d’être abandonnés par l’État. Cette disparition avait été fortement critiquée par l’opposition, en l’occurrence, son principal parti, le MMM, qui rappelait qu’il avait été le premier à créer un ministère de la Culture lors de son accession au pouvoir en 1982 (1). Son titulaire en était alors Rama Poonoosammy, actuel directeur de l’agence Immédia, principale société d’ingénierie culturelle de l’île. Dans le domaine littéraire, Immédia édite d’ailleurs chaque année les recueils de nouvelles de la Collection Maurice en trois langues : français, anglais et créole, une initiative saluée par tous les écrivains et nouvellistes.
Pourtant cette fusion entre le ministère de la Culture et de l’Éducation n’a pas que des effets pervers. Une initiative récente, qui s’est terminée en juin 2009 a permis, pour la première fois, d’introduire le slam dans les écoles ZEP – Zone d’Éducation Prioritaire (Stefan Hart ayant déjà fait du slam dans plusieurs collèges confessionnels et lycées depuis 2002, mais pas dans des établissements scolaires appartenant à l’État). L’idée vient du « Permanent secretary » du ministère de la Culture, tombé amoureux du slam, et qui a décidé de l’introduire comme nouvelles méthodes pédagogiques afin de décloisonner l’enfant et de casser sa timidité.

Depuis que je me prends pour un poète,
Les syllabes se mélangent dans ma tête.
J’entends les mots comme une musique,
Tout ça c’est vraiment fantastique.
Avant j’avais peur d’écrire.
Je pensais, pensais, pensais…
Puis Stef est venu
Et il m’a convaincue.

Extrait de « Je me prends pour un poète » de Rimena Christophe (10 ans), école de Grand Gaude.

Dans un système fondé sur la discipline et l’excellence scolaire, où prendre la parole n’est pas encouragé et où l’enfant est plus amené à recevoir qu’à participer au détriment souvent de son épanouissement, l’initiative est tout simplement révolutionnaire. C’est l’un des effets positifs de la fusion culture – éducation, car, dans ce cas-là, c’est le « versant culturel » de ce ministère qui est porteur du projet et qui l’a imposé aux fonctionnaires issus de la branche de l’éducation, sous le regard bienveillant du ministre.
L’animateur principal de ce projet est le Mauricien Stefan Hart de Keating. Arrière-petit-cousin du poète national Robert-Edward Hart (2), Stef H2k a d’abord commencé par la poésie. En 1997, il publie chez Ledikatyon pu travayer (LPT) son premier recueil, Et la nuit et le jour, ouvrage de 40 pages, tiré à 300 exemplaires qui se vendront en un rien de temps. Il fut d’ailleurs le premier auteur francophone à être publié par cette maison d’édition très axée sur la langue créole et proche du parti marxiste, Lalit. En 2001, il publie chez l’éditeur français, Publibook, Pages d’une vie, condensé de poèmes, proses poétiques, pensées et e-mails, recueil qui eut un franc succès sur l’île. Puis, en 2002, il se consacre au slam et devient un slammaster de référence dans la région au point de cumuler plus de 800 slams en sept années d’activités incessantes (3). Entreprenant, dynamique et volontaire, H2k ne ménage pas sa peine pour populariser sa passion, au point de passer une année à Madagascar, de 2006 à 2007, à sillonner le pays pour monter un premier Slam National. Après avoir abandonné le slam pendant plus de six mois en 2008, il est contacté par le ministère à l’occasion de la journée de la francophonie pour animer un slam. C’est là que le « P.S. » lui propose d’introduire le slam dans les écoles gouvernementales. Pour un premier test, la décision est prise de monter des ateliers dans les écoles primaires des 27 ZEP de la République. Ces ateliers seraient suivis de 27 tournois afin de sélectionner les quatre meilleurs éléments de chaque école accueillant des enfants considérés comme étant issus d’une population dite défavorisée pour certains, mais pas pour l’équipe de l’école de Bambous qui le conteste dans son texte collectif :

Dimoune dire nou
Zenfans getto
Zenfan défavorisé
Zenfan bane fami brisé
Zenfan la rie
Zenfan ZEP
Tou qualité titre
Ine collé lor nou ti lédos

Nou kapav manque facilité
Mais nou pas démérité
Nou ossi nou éna nou qualité
Ki nou envie exploré
Pou ki nou sorti dans nou difficulté

Les ateliers se sont déroulés sur trois semaines et duraient à chaque fois deux heures le matin dans une école et deux heures l’après midi dans une autre école. Au début de chaque séance, Stef H2k expliquait les règles du slam aux 25 jeunes de 7 à 12 ans réunis devant lui (accompagné d’un enseignant, maître d’école, assistant ou autre). Puis, il leur projetait un film d’1 / 4 d’heure intitulé « Slam Océan Indien » (monté par lui-même), commenté par les élèves et suivi de lectures de textes avec explications et rappels de règles. Les textes sur lesquels les élèves travaillèrent étaient systématiquement trois poèmes de Prévert (Je suis comme je suis, Inventaire, En sortant de l’école), Stef étant un passionné de l’œuvre de ce dernier. Le principe était que chacun suive, aide son voisin, parle fort et regarde devant lui en lisant, le tout dans une ambiance décontractée. Enfin, en dernier lieu, chacun devait imaginer un slam inspiré par le texte qu’il venait de découvrir et le lire devant ses camarades. Bien que les poèmes de Prévert soient en français, chaque enfant était libre d’improviser dans la langue qu’il souhaitait. La plupart d’entre eux ont donc pu écrire puis lire en créole, langue qui, rappelons-le, n’est toujours pas médium d’enseignement à Maurice selon les textes officiels (4).

On veut me guider et tout me dicter
On me met des règles plein la tête
Mé mo pa kass la tet akoz kapav gagn malad la tet

En classe je lis des textes fabuleux qui me rendent heureux
J’apprends les mathématiques pour être pratique
Quoique des fois ça me donne des tics
J’apprends des langues étrangères pour pouvoir communiquer
Mé mo langue maternelle pa gagn kozé !

Extrait de « Jeune slameur » par Chaitanya Mungra (7 ans), équipe École de Stanley.

Bien servis par l’énergie déployée par l’animateur, les enfants improvisaient avec enthousiasme. De cette façon, la plupart de ces gamins, souvent en échec scolaire, apprenaient l’écoute de l’autre, l’entraide dans la difficulté, l’utilité de la lecture, le respect des règles et la joie d’être écoutés.

A Port Louis
Pierre Louis marchait sous la pluie
Sans chemise de nuit
A Pamplemousses
Mo finn zoine Mimousse
Marchand la mousse
So pouce dans so la bouche
In Rivière du Rempart
I met Kumar
Qui s’est jeté dans la mare
Tellement qu’il en avait marre

Extrait de « A la rencontre des gens de mon île », par Navishen (8 ans), équipe de Pointe aux Sables.

Durant trois autres semaines, commencèrent les sélections dans 25 des 27 écoles participatives. La plupart des équipes était préparée, grâce à l’investissement des enfants et de leur coach (adulte accompagnateur), tous très motivés par cette joute oratoire qui rapporta gros à l’équipe gagnante (500 Euros). Après les sélections internes à chaque établissement, assurées par Stef H2k, les meilleurs s’affrontèrent dans différents tours éliminatoires, devant un jury de trois adultes, un public nombreux et des supporters, chaque école ayant l’obligation d’amener un certain nombre de spectateurs. L’école vainqueur (venant du village de Grand Gaube, situé dans le nord de l’île) l’emporta dans l’ambiance indescriptible d’un théâtre Serge Constantin (5) rempli à craquer, le samedi 27 juin 2009.

J’habite un village où l’on se lève à l’aube,
C’est mon village, Grand-Gaube.
Je fréquente une école au bord de la plage
Où les enfants ne sont pas toujours sages.
Je vois des pêcheurs qui rentrent leurs pirogues,
Et qui vont bientôt prendre un p’tit’grog’.
Je suis dans la cour sous le multipliant,
Il est vert, il est grand et il a l’air puissant.
Ici l’air est encore pur
Alors en classe, je travaille dur.
La clé de ma réussite, c’est mon éducation,
Je suis l’avenir de notre nation.
Je lis, j’apprends, je me cultive,
J’ai la tête remplie de livres.
Mon cartable a mille odeurs.
Il sent la gomme et les crayons de couleurs.
Par la fenêtre de ma classe, je regarde le ciel
Et je sens sur ma main un rayon de soleil.
L’après-midi, fatiguée, je rentre à la maison,
Je récite, face à la mer, toutes mes leçons.

Laurianna David (10 ans), Equipe de Grand-Gaube.

Ce même jour fut également le théâtre du championnat individuel de Slam Inter ZEP (6), qui s’est déroulé devant six différentes caméras de la télévision nationale et de chaînes privées.

Hé piti !
Pas cause menti menti
Pas zouré                           pas rézimbé
Pas cause fort                           Pas fer sauvage
Pas fer tapage
Hé piti !
Pas coquin         Pas largue mo la main
Pas ale loin                           Pas reste dans coin
Hé piti !
Pas faire grand noir                           Pas alle dormi trop tard
Pas marche lor simin assoir                           Pas boire
Hé piti !
Pas casse sa savatte fek acheté
Pas sali to caleçon                           Pas manze bonbon
Pas fer gourmand                           Pas gaspille to l’argent
                                    Hé piti !
Pas rié quand to faire la prière
Pas faire la guerre                           Pas faire dominère
Pas zoué …………………. Pas zoué are difé
                                             To pou brilé
Hé piti !
Pas faire mové
Pas rentre dans cozé grand dimoune
                                    Hé !
To dire moi 27 kitchose qui mo
                           Pas bizin faire
Dire moi omoins ene kitchose
         Qui mo bizin faire
Dire moi
To ti pou pli content
Si mo ti ene …………………………….. momie

Texte d’Emilio (10 ans), école de Candos, gagnant de la Coupe Individuelle de Slam Inter ZEP.

Emilio finit son slam en chantant et tournoyant avec le public qui l’accompagnait en répétant avec lui « 27 kitchose », et pour terminer sous une salve d’applaudissements pour leur champion. Le public rappelait beaucoup cette période où dans les cinémas on était libre de réagir, et c’est ça le slam. Les critiques, les commentaires, les huées, les applaudissements, fusaient de partout durant les deux jours de spectacle, les slameurs tenant fermes sur scène malgré leur jeune âge.
Encouragé par des débuts aussi prometteurs, le ministère de l’Éducation et de la Culture a décidé de réitérer l’expérience pour l’année scolaire 2009/210 à l’ensemble des 200 écoles publiques de l’île et d’en faire un événement d’ampleur nationale.
Cette première expérience donne évidemment à réfléchir sur l’utilité d’une activité comme le slam dans un contexte scolaire d’un pays du Sud. Donnant libre cours à l’imagination et à la sensibilité de l’enfant, le résultat peut donner lieu à des textes de toute beauté comme l’extrait qui suit :

Tous les jours nous entendons les mêmes refrains
Vols, viols, drogues, violence, indifférence
SIDA, corruption et communalisme
Tous ces fléaux nuisent à notre société
Je suis révoltée car tout vous semble égal

Moi j’ai envie de crier
Je suis une fille normale
Qui différencie le bien du mal

Tous les jours nos routes sont encombrées
De véhicules qui polluent, des bâtiments foisonnent
Les espaces verts font place au béton
Le fer prend le dessus sur les feuilles et les fleurs
Tous ces changements m’étouffent
Même si cela vous semble égal

Moi j’ai envie de crier
Je suis une fille normale
Qui différencie le bien du mal

Texte écrit par Cinthia Bien Aimé, slamé par Judy Joseph (10 ans), École de Stanley.

Mais cet exercice ne consiste pas à repérer les poètes de demain. Il s’agit surtout de permettre à l’enfant de s’exprimer dans un contexte indépendant de tout enseignement officiel qui, bien qu’il soit éminemment nécessaire, ne peut être l’unique voie permettant de contribuer à l’épanouissement de la jeunesse. Sur ce point-là, l’expérience mauricienne est une réussite. Reste à savoir si d’autres pays d’Afrique, souvent engoncés dans des principes éducatifs d’un autre âge, seront capables de suivre cette voie… Et pour finir citons un extrait d’un slam de Navishen (8 ans), de l’équipe de Pointe aux Sables :

C’est quand qu’à l’école
Miss (l’enseignante) pou prend parole et pou dire :
« Basta la vieille école ! Cédons la place au slam… »

1. Victoire obtenue grâce à une alliance avec le PSM (devenu MSM) et première alternance démocratique de l’histoire africaine.

2. La maison de R.-E. Hart, La Nef, située à Souillac (sud de l’île), est classée monument historique.

3. Hart de Keating a également lancé une revue, Slammers, en 2004, qui connaître un numéro.

4. Si, dans la pratique, le créole est encore toléré dans les écoles maternelles et à l’école primaire (le français y est suggéré et l’anglais très vivement recommandé), il est combattu dans le secondaire où l’anglais domine.

5. Principale salle de spectacle du centre de Maurice, Serge Constantin (du nom d’un des plus grands peintres mauriciens disparu en 1998) contient plus de 300 places assises.

6. Phénomène curieux, alors que l’immense majorité des participants sont issus de coins défavorisés du pays, le nombre de textes en français et en anglais dépassèrent l’attente des organisateurs. Peut-être en corrélation avec la prise de confiance des enfants, et l’absence de toutes contraintes normatives…..Saint Denis de La Réunion, juillet 2009///Article N° : 8976

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Les images de l'article
Pages D'une Vie, Stefan Hart De Keating
Paroles, Jacques Prévert





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