Comment faire exister le théâtre sans salles et sans moyens ? A domicile ! L’expérience originale du Théâtre de la Coulisse de Brazzaville.
Dans des pays comme les nôtres où le conte, le masque ou la chanson avaient été flagellés, le tam-tam ou la danse réduits au folklore ;
Dans des pays comme les nôtres en mal de loisirs et ou, faute de mieux, nombres d’hommes, femmes et enfants s’enlisent dans l’alcool, la drogue et s’attardent à contempler la grossièreté de deux rivales en querelle, voire même d’un homme en train de battre sa femme, ou d’un voleur qu’on est en train d’assommer sous les rires des uns et des autres ;
Dans des pays comme les nôtres où les rares structures pouvant abriter des spectacles de théâtre, si elles ne coûtent pas une fortune (pour la location) restent une chasse gardée pour une infime minorité au détriment de la grande majorité des artistes et du public ;
Dans des pays comme les nôtres où la différence (j’ai nommé l’autre), au lieu d’être une richesse, paraît de plus en plus une menace – et donc une raison de se faire la guerre ;
la libre circulation des idées et des artistes devient l’espoir de tout un continent pour le rapprochement des différences. Comme ce fut le cas pour les peuples de l’Europe après 40-45.
Mais aujourd’hui, l’artiste en général, l’artiste de théâtre en particulier, faute de structures matérielle et financière, se voit obligé de garder enfermée sa création dans la tête, « espace de rêve portatif ». Et celui qui, en retroussant ses poches, parvient à créer un spectacle, doit se battre comme un diable pour arriver à se faire programmer et jouer une ou deux petites fois par an devant le toujours et même maigre public (des habitués de ces lieux) d’amis, incapables de payer.
Comment ne pouvait-on pas réfléchir pour sauver « l’ART », l’essentiel ?
Loin d’être un but à atteindre, encore moins une ligne d’arrivée, l’Action Théâtre à domicile est un esprit qui permet de ramener le théâtre dans la rue. C’est-à-dire l’espace vide où le comédien n’aura jamais besoin de projecteurs ou de rideau rouge pour jouer devant le badaud ou le vendeur à la criée, lequel n’a pas besoin de fauteuil ou de l’impressionnant décor pour assister à un spectacle.
Le « Théâtre de la Coulisse » de Brazzaville est à l’instar des initiateurs de Saint-Denis à une époque où tout théâtre se disait à la maison de Molière et nulle part ailleurs : ses partenaires et amis, autour de son président d’honneur, accueillent le spectacle dans leur jardin, leur cour, le salon ou la rue à raison de dix spectateurs au moins ; les résultats sont plus qu’encourageants. Au jour d’aujourd’hui, le Théâtre de la Coulisse est sûr de jouer au moins trente fois par mois à raison de trois spectacles par point d’accueil clairsemés dans les quartiers populaires de Brazzaville devant un public très varié.
Pour l’heure, le seul soutien à ce projet reste le Centre d’Etudes et de diffusion de la Littérature congolaise de Kinshasa (CEDILIC) sous la direction du professeur Mukala Kadima-Nzuji, dont Jonas Dian-Daha est animateur culturel.
Accepter d’accueillir moralement ou matériellement l’Action Théâtre à domicile, c’est donner à notre monde en perpétuelle instabilité le rien de sel qui lui manque pour le rendre vivable. Et donner ce rien de sel, c’est choisir le camp de ceux qui écopent pour essayer de sauver la barque culturelle en échouage alors que la grande majorité a choisi de prendre l’eau de la mer et de la jeter dans la barque, parce que, disent-ils, pour vivre heureux, il faut toujours se mettre du côté du plus fort.
Notre ambition en ce troisième millénaire commençant est de trouver davantage de partenaires pour multiplier nos points d’accueil jusque dans nos villes et villages les plus reculés, afin de préparer des couloirs culturels où passeraient des conteurs, des spectacles de théâtre, des masques et autres objets d’art perdus dans les oubliettes de notre mémoire trop courte pour favoriser le rapprochement culturel de chaque ethnie, chaque tribu dans nos pays et enfin chaque peuple au-delà de nos frontières.
Nous marcherons une espèce de Marathon culturel qui traversera des frontières ethniques, linguistiques et peut-être raciales. Nous jouerons dans la rue, aux ronds-points, dans les places publiques où, hormis les affiches, banderoles et autres spots publicitaires, les acteurs organiseront une partie de chasse dans le coin, deux heures avant le spectacle pour amortir le choc de la future chute des nations dans une Afrique où les mots – maux – ont toujours occasionné des pertes humaines, matérielles et spirituelles.
Le Théâtre de la Coulisse de Brazzaville travaille aujourd’hui sur une création du roman « Sur la braise » de Henri Djombo et est prêt à donner des spectacles sur « Le Regard du fou » de Léopold Mpindi, « Katana ou la résurrection des démons » de Kadima Mukala-Nzuji. Il est composé de neuf comédiens : cinq hommes et quatre femmes.
Nous remercions tous ceux qui nous combattent car ils font que nous existons.
Jonas D.D. Labou est nouvelliste, conteur, ancien sociétaire du Rocado Zulu Théâtre de Brazzaville, comédien-metteur en scène et directeur du Théâtre de la Coulisse de Brazzaville. Il est le père fondateur de l’Action théâtre à domicile au Congo. ///Article N° : 2118