Le théâtre africain

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Quel autre langage que celui de la poésie du théâtre peut mieux traduire les émotions vécues, les souffrances endurées par un peuple qui ne l’a pas mérité ?
Les artistes venus du Congo Brazza l’ont vite compris. Les deux derniers conflits armés ayant opposé les politiciens de l’autre rive (1993 et 1996) n’ont pas cessé de servir des sources d’inspiration aux jeunes créateurs metteurs en scène. Au centre du débat commun, l’éternelle question de guerres et de démocraties africaines. Ces guerres qui tuent, ces démocraties qui étouffent. C’est d’ailleurs l’image que présente aujourd’hui le paysage socio-politique de l’Afrique.
Le public venu au 6ème FIA l’a ressenti avec plus d’émotion et avec un regard de recul comme si les événements recréés par les artistes venaient de très loin. C’est la magie du théâtre qui consiste à transposer un événement dans une dimension pleine d’effets adoucissants, mais parfois révélateurs.
Quatre créations des Congolais de Brazzaville ont facilement réveillé des souvenirs de la mémoire collective qui est déjà en train de passer dans l’oubli. Les deux Congo, avec leurs deux capitales les plus rapprochées du monde, ont presqu’une même histoire et des sorts convergents : des conflits armés qui n’ont profité à personne. Ni aux combattants, ni aux combattus.
C’est ce dernier message que les pièces « Royaume bot, Pays sot », « Tiya », « La cérémonie » et  » La femme et le colonel  » ont apporté aux Congolais de Kinshasa qui l’ont adopté par acclamation.
La pièce « Royaume bot, Pays sot » écrite par Frédéric Pambou, mise en scène par Pierre-Claver Mabiala et jouée par la compagnie Bivelas de Pointe-Noire, est une tragédie distribuée à 6 personnes. L’histoire de Loango qui, dans sa puissance, est en train d’étouffer les principes démocratiques. Toutes les astuces sont bonnes pour ramener tout le monde plusieurs années en arrière. C’est le grand retour dans l’ancien royaume. Mais, la démocratie reviendra encore rapidement au centre du débat. Le royaume est aux abois.
La troupe Ngoma Za Kongo de Brazzaville, qui recourt aux chants et à la danse, n’en réussit pas moins un drame avec assez de justesse et de réalisme. La scène représente le quotidien de bon nombre des sociétés africaines d’aujourd’hui sauf sur l’idée de léguer le pouvoir entre les mains des femmes. Ainsi, la pièce « TIYA » jouée par les Brazzavillois raconte avec poigne une histoire se déroulant dans un pays africain type. La guerre bat son plein avec son corollaire des maux : tueries, enlèvements, viols, pillages, arrestations arbitraires, etc. Le peuple finit par prendre conscience du péril et se révolte, les hommes au pouvoir ont déçu, on tente une nouvelle expérience avec les femmes pour diriger. Le tout se passe dans une intéressante mis en scène de Léonard Baniekona et la chorégraphie de Boris Bouetoumoussa.
Emmanuel Dongala se montre encore plus intéressant avec sa pièce « La cérémonie » mis en scène par Nicolas Bissi. Apparemment, ici, l’histoire paraît banale. Mais de près il s’agit d’une recherche de la démocratie qui, à défaut de l’avoir obtenu, on s’engloutit dans une idéologie qui n’est qu’utopie. Nicolas Bissi a réussi à faire avaler la pilule en recourant aux choses très simples. On est dans un pays à révolution marxiste. Cette révolution fait rêver de promotion, de richesse, de meilleures conditions de vie, etc, à un gardien d’usine dont la situation n’aura pas changé depuis des années. Avec le recul du temps, le pauvre gardien d’usine se rend finalement compte qu’il était pris au piège du marxisme. C’est alors qu’il se met à rapporter, avec humour et bonne fois, son parcours de militant révolutionnaire, ses déboires et ses déceptions.
Quelqu’un dira, d’ailleurs, que dans cette pièce jouée par la compagnie des Dialogues, il y a émergence d’un discours chargé de critiques dissimulées faisant apparaître les contradictions entre le discours du Parti et la réalité sociale.
Le théâtre de l’Imaginaire fait aussi tache d’huile à l’affiche dans son spectacle  » La femme et le colonel  » mis en scène par Eric Mampouya à partir du texte de Dongala. Ici encore, c’est la guerre qui fait parler d’elle. L’histoire commence au lendemain d’une guerre civile fondée sur la purification ethnique. Une femme a été violée, battue à mort et abandonnée au sol dans l’agonie. Son mari et son fils de 10 ans qui ont assisté à la scène sont immédiatement brûlés vifs. Cinq ans plus tard, le violeur – meurtrier, ancien sergent devenu colonel, est amené par un accident de parcours devant sa victime. Mais, que peuvent apporter l’humiliation, les supplications et les pardons à une femme qui n’a plus confiance en aucune autorité ?
Le thème exploité dans ces quatre pièces des auteurs congolais de Brazza n’est pas loin du thème général utilisé par l’ensemble du théâtre africain. Pauvreté, épidémie, misère, guerre, dictature…ne sont apparemment que la conséquence d’une mauvaise gestion sociale. Les différents pouvoirs installés en Afrique ont à s’amender. ce n’est qu’en ce moment là que l’Afrique cessera de ne présenter dans les festivals que le théâtre de combat et de dénonciation. C’est l’image qu’aura laissé le FIA 2001, comme toutes les éditions précédentes d’ailleurs. Qui dira encore mieux, ce grand festival n’aura fait que rappeler le rôle majeur du théâtre : rappeler à la mémoire sur les grands sujets d’actualité sociale.

Texte paru dans Le Moniteur du FIA n°03, 30 juin 2001.///Article N° : 2594

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