Fuyant les grands boulevards de l’édition commerciale, Jean Louis Escarfai, qui collabore depuis plusieurs années avec le Festival des Francophonies, publie théâtre et poésie, offrant aux auteurs les moyens de se faire entendre par les voies traversières du Bruit des autres.
Comment s’est fait le partenariat avec le Festival des Francophonies ?
Cela s’est fait d’une manière très naturelle. J’avais fondé la maison d’édition depuis trois ou quatre ans, en 1991, quand ce partenariat a commencé. J’avais des amis africains et j’habite à côté de Limoges : géographiquement il n’était pas possible qu’on ne se rencontre pas.
Comment êtes-vous venu à faire ce métier d’éditeur ?
J’avais déjà un rapport à l’imprimerie dans mes anciennes fonctions associatives, voire politiques. Dans les grands déchirements des années quatre-vingt, je suis revenu à mes premiers amours, le théâtre et la poésie. Et lorsqu’en 91, Daniel Soulier a écrit Après l’amour, une pièce absolument superbe qui a eu un succès critique très important mais que personne ne voulait éditer, cette vieille idée de maison d’édition qui me trottait dans la tête a refait surface. Voilà comment Le Bruit des autres est né. En fait, au départ on a créé cette maison d’édition pour une pièce !
Quelle est la mission que vous vous assignez en tant qu’éditeur ?
La coercition entraîne toujours de la résistance. Et dans l’édition c’est un petit peu pareil. Les grandes maisons d’édition ne font plus le travail que faisaient leurs fondateurs ; ils faisaient des livres de prestige qui n’étaient pas commerciaux. Voilà pourquoi aujourd’hui on voit fleurir un certain nombre de petits éditeurs. Tout se fait naturellement. Il y a un manque tellement important chez les grands éditeurs, que forcément il y a d’autres éditeurs qui naissent et je suis de ceux-ci.
En fait vous voulez donner une chance à des oeuvres qui n’en auraient pas chez les grands éditeurs ?
Je suis toujours très surpris de voir les manuscrits que je reçois. Et je trouve dommage, vraiment, que ce soit Le bruit des autres qui les reçoive et m’étonne parfois que ce soit moi qui publie certains de ces textes. La chance que je leur donne n’est pas si importante puisque ce sont des manuscrits qui mériteraient d’avoir une diffusion propre aux grandes maisons d’édition. Il y a trente ans, je n’aurais pas reçu ces manuscrits : ils auraient été édités par les grandes maisons. St-John Perse par exemple, était édité à 300 exemplaires par Gallimard avant son prix Nobel. Aujourd’hui, étant donné que le commerce a pris le pas sur la création, il n’y a plus de place pour ce genre de plaisir d’éditeur, pour ce genre d’urgence.
Quelle est la nature de votre collaboration avec le Festival ?
Au départ c’était une collaboration très liée, presque intégrée au Festival. Monique Blin, avec qui j’ai de très bons rapports, et les autres membres du Festival fonctionnaient un peu comme un comité de lecture par rapport au Bruit des autres et proposaient les cinq à six titres que je publie chaque année dans la collection » Le Traversier « , un nom d’ailleurs trouvé par Monique Blin. Au fur et à mesure, on s’est rendu compte que ce qui était bien pour une représentation vivante ne faisait pas forcément livre, et à contrario des auteurs qui n’écrivaient que de la poésie ou des récits n’avaient aucune chance d’être dans cette collection. Voilà pourquoi nous avons pris une liberté totale ; la collection » Le Traversier « , qui est aujourd’hui soutenue par le Conseil Régional du Limousin, si elle publie toujours des gens venant du Festival, publie également des auteurs qui lui sont étrangers et ne publie plus seulement du théâtre.
Et qui se charge de la sélection ?
C’est moi. Là par exemple je vais publier Fatma de Mamed Benguettaf ; je publie aussi Koulsy Lamko, Kossi Efoui, Ahmed Kalouaz, des gens avec qui je suis très ami, et les choses se font en dehors du Festival même si ces gens sont venus en résidence à Limoges.
Qu’est-ce qui motive vos choix en dehors des amitiés ou des histoires qui se nouent au moment des résidences ?
Le plaisir, le coup de coeur. J’adore lire le théâtre parce que le théâtre correspond à l’urgence de notre époque. Dans un texte de théâtre, on va directement à l’essentiel. Je suis très racinien dans mes goûts. Imaginons qu’on n’ait pas les livres de Racine, Shakespeare ou de Molière : c’est quelque chose qui manquerait certainement à ce qu’on est aujourd’hui. J’agis ainsi avec mes auteurs : je me dis que ce sont des textes qui doivent être entendus aujourd’hui et demain.
Quelle proportion représente la publication des ouvrages liés aux Francophonies par rapport à l’ensemble de vos publications sur l’année ?
Le tiers. L’année dernière on a publié 17 ouvrages dont 6 des Francophonies. En tout, il y a 62 titres dont 21 des Francophonies.
Pourquoi la maison s’appelle-t-elle Le Bruit des autres ?
Je vous disais que j’ai fait de l’édition depuis très longtemps ; j’étais dans des associations, Parti communiste, C.G.T., radios libres… Je m’occupais de tout ce qui est publication, rapports avec les imprimeurs. Et lorsque nous avions fondé une radio, à la grande période des radios privée… de moyens surtout, on avait sorti une plaquette de créateurs. Antoine Vitez, que j’avais rencontré grâce à Daniel Soulier, m’avait envoyé un poème absolument bouleversant dont le dernier vers était : » Mon corps est fait du bruit des autres « . Ce qui pour un homme de théâtre dont on n’a découvert qu’il était aussi un poète qu’après sa mort, était absolument fascinant. Et quand quatre ans après on a fondé la maison d’édition avec le désir de publier du théâtre et de la poésie, on n’a pas cherché de titre, ce ne pouvait être que Le bruit des autres.
Quelques titre de la Collection » Le Traversier » :
Théâtre :
Nuit de cristal, Kangni Alem, théâtre, 64 p.
Noces posthumes de Santigone, Sylvain Bemba, théâtre, 96 p.
Roissy-Minh-Ville, Philippe Crubézy, théâtre112 p.
On devrait tuer les footballeurs, Ahmed Kalouaz, théâtre, 64 p.
Avant Quimper, Ahmed Kalouz, théâtre, 64 p.
Que la terre vous soit légère, Kossi Efoui, théâtre, 64 p.
Quand j’étais grande, Abla Farhoud, théâtre, 64 p.
Légende d’une vérité, Williams Sassine, théâtre, 64 p.
Les Indépendan-tristes, William Sassine, théâtre, 64 p.
Hôtes d’écriture, collectif, essai, 80 p.
Poésie :
Grains de sable, Tanella Boni, 64 p.
Il n’y a pas de parole heureuse, Tanella Boni, 96 p.
Palabres à parole, Khal Torabully, 128 p.
Poèmes et vents lisses, Sony Labou Tansi, 64 p.
Dialogue de l’eau et du sel, Khal Torabully, 96 p.
Récits :
Attention fragiles, Ahmed Kalouaz, 80 p.
Aurore, Koulsy Lamko, 48 p.
L’Afrique en morceaux, Williams Sassine, 64 p.
Editions Le Bruit des autres
5, rue du Pont – 87110 Solignac///Article N° : 432