Les berceuses assassines

De Said-Ahmed Sast

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Un recueil de nouvelles entremêlées, où l’auteur dresse depuis Moroni le bilan d’une société relativement « immonde ». Corruption, prostitution, dépravation en tous genres. Au menu, le succès du blanchiment de peau à coup de cosmétique (« pandalau »), le naufrage d’une jeunesse en manque de repères, l’imposture décrétée sport national, la « bonne mangeance » instituée en lieu et place de la bonne gouvernance. Dans ces « berceuses assassines », un bel oxymore pour conter le désespoir du Comorien, les femmes devenues chattes ambulantes se vendent au plus offrant, la « bledocratie » se joue de la méritocratie, les parvenus s’en frottent les mains comme d’habitude et arrivent parfois à passer pour les « héros des temps modernes » lorsqu’ils sont trafiquants douaniers. Quant au communautarisme des gens de la capitale comorienne, il rend ses enfants plus bêtes qu’ils ne le sont. Pendant que la « Mayottite » exprime un état de « souffrance psychotique aïgue », synonyme de « hara-kiri identitaire », à l’heure où l’île de Maore passe justement pour la nouvelle « undroni » (là où l’on est bien) pour des milliers de morts que l’océan avale sous les kwassa de la dernière chance. Aux plus hardis, l’auteur suggère d’offrir une partie de « touze » à un certain « Jimmy », employé à l’ambassade de France. Amateur de « petites blacks », il se fait un max de millions de francs comoriens en délivrant des visas pour l’Europe, avec la complicité de ses amis ministres.
Ceci bien entendu n’est que fiction. Cependant, l’auteur (ou son éditeur ?) prend soin de préciser dans la préface que « cet assemblage de fragments de vie prélevés dans le microcosme comorien, pris au hasard » n’est que « photographies instantanées, prises sur le vif, qui rendent compte des sociofacts apparus ces dernières années » dans l’Archipel. Il y ajoute que « le caractère cru de ces photos était nécessaire pour mieux saisir la partie visible de ce dangereux iceberg », tout en cultivant le doute sur une ambiguïté littéraire, à savoir que « toute ressemblance [avec] une ou plusieurs personnes vivantes » dans ce recueil est sciemment « voulue ».
L’auteur rappelle que c’est dans le secret des livres que se fabriquent désormais les vraies épiceries à polémique aux Comores. Et tant mieux pour ceux qui disent que la vieille morale est en perdition, comme le constate amèrement le narrateur de cette jungle d’histoires. Said-Ahmed Sast inscrit ses pas dans l’invention d’un nouveau regard sur les réalités comoriennes mais ne propose pas d’issue (est-ce le rôle d’un écrivain ?), à moins de vouloir singer son fabuleux fou, Djitihadi, qui, plutôt que de prolonger sa névrose sur la place Badja à Moroni choisit de prendre le large. Il s’agit [ici]du deuxième livre d’un auteur qui promet beaucoup dans cet Archipel des Comores. Certains se souviennent encore de son premier coup d’essai : « Le crépuscule des Baobabs », sorti chez le même éditeur. En ce qui nous concerne, nos préférences dans ce livre vont vers les « Gloutonneries » et « Les totalitarismes de la bêtise permanente ». Des petits morceaux de bravoure en écriture qui se distinguent nettement du lot.

///Article N° : 7128

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