Les Blacks ont un grand sexe ?

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Pascal Blanchard continue son exploration de l’image du Noir dans la publicité.

Au mois de novembre 2002, une vaste campagne destinée à promouvoir la nouvelle carte visa egg est dans toute la presse nationale et pour la Tv sous divers autres formats. Le concept est simple : la nouvelle carte, à l’encontre des idées reçues, permet aux consommateurs de gagner de l’argent. 1% de l’ensemble des dépenses est remboursé. Afin d’illustrer le propos, les auteurs de la campagne mettent en exergue diverses idées plus ou moins « reçues »… Et, bien entendu, l’une d’entre elle est particulièrement visible : « idée reçue n°9 : Les Blacks ont un grand sexe ». Celle-ci ne passe pas inaperçue. C’est d’ailleurs le but. Comme pour le spot TV, avec un Nain sous la toise qui en mangeant de la soupe « doit » grandir ; le Noir, bronzant sur la plage, en maillot, « doit » avoir un grand sexe. L’ethnic rejoint le freak, comme au temps des zoos humains. Déformation du corps, exclusion sociale, différence raciale, anormalité… tout cela correspond aux mêmes normes corporelles de la différence… On peut même en rire puisque c’est du second degré. Du « second degré » affirme la direction de Libération dans son courrier des lecteurs du week-end du 9/10 novembre, répondant à deux lecteurs qui ont trouvé inacceptable que le quotidien accepte de passer cette publicité, malgré son « code déontologique ».
Comme toujours on retrouve dans cette publicité une vieille habitude stéréotypique. Les noirs « sont » toujours et encore des corps, essentiellement des corps, bon pour la danse, la guerre et l’amour. Depuis toujours le corps noir a été situé à la limite de l’extrême. Corps puissants, différents, dangereux, c’est le sauvage que l’on colonise. C’est aussi la beauté noire, la puissance, la force, le sexe débridé, donc long, immense, sans fin, pour conjurer le tabou, renforcer l’interdit. Aller avec un corps, c’est humilier l’homme blanc, c’est reconnaître son infériorité. D’où le besoin de stigmatiser l’anormalité de l’acte. Une femme qui aime les Noirs aime les grands sexes. Elle entre alors dans une double catégorie, à moitié prostituée, à moitié animale. Pour autant, ce discours est à ranger dans l’exceptionnel, en matière explicite et graphique, dans l’univers publicitaire (sauf une publicité de 1971, nous y reviendrons). A bien y regarder, hormis quelques publicités américaines (objets publicitaires), des publicités spécialisées et sexuelles, c’est un cas unique d’une marque grand public de jouer dans ce registre. Encore plus de façon explicite et humoristique.
Dans cette publicité, sur un sable par définition immaculé de blanc, le corps noir est luisant. Seuls quatre objets rouges (couleur de l’interdit) sont identifiables : un tube d’huile solaire, un verre d’alcool, une paire de lunette et… un string. Mais c’est le corps que l’on voit, que l’on remarque. Sur fonds neutre, la peau est mise en exergue, sa couleur brille par l’effet de l’huile, sa force musculaire est fétichisée, sa pose est agressive… il a tout d’un nègre. Et, pourtant, il a un petit sexe. Ce n’est plus un Noir. Une idée reçue tombe. Tout nos codes seraient à revoir. Mais, non. Que l’on se rassure, c’est une idée reçue. Elle existe depuis l’aube des temps. Obscur objet du désir, le Noir est l’interdit majeur, souvent sans âme et sans visage (ce qui est le cas ici), il est réduit à un corps. Cette vision sexuée de l’autre, esthétisée à outrance, interpelle une pulsion sociale primaire. Il est noir, c’est le mal, donc difforme. Son sexe n’est pas fait pour faire l’amour, pour reproduire, mais bien pour détruire la pureté de la femme blanche. Cette croyance renvoie au monde animal. Au péché originel, à l’interdit ultime. D’une certaine façon, avec un petit sexe, ce seraient presque des « hommes ». Oui à la virilité noire, non à l’autorité noire ; oui à la puissance de ce corps, mais interdiction de la toucher.
Alors, egg a-t-il osé l’impensable ? Bien sur que non. Déjà en 1971, l’agence TBWA, pour les magasins Prisunic s’inscrivait dans un registre similaire. Un fond clair, un corps noir, un slip rouge, un visage caché, et un slogan (désignant une forme visible) « non, c’est un slip ». Il faut dire qu’à l’époque c’est le Noir qui surprenait dans la pub. Aujourd’hui ce n’est plus un Noir qui surprend, c’est la taille de son sexe. Allons, encore un effort, et dans trente ans les publicitaires arriveront à passer du corps à l’esprit, est on aura alors droit à : « idée reçue n°10 : un Noir vaut un Blanc »… mais ne rêvons pas trop.

///Article N° : 2721

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