Le Ministre de la Culture et des Arts de la RDC, Son Excellence Monsieur Kambale Esdras, est venu visiter le siège de l’association « BD Kin Label » à Kinshasa, le 29 septembre 2009. À cette occasion, Asimba Bathy, directeur éditorial de la revue « Kin Label » et partenaire du projet AfriBD coordonné par Africultures, a prononcé un discours de bienvenue dans lequel il a sollicité le soutien du Gouvernement en faveur de l’action des artistes bédéistes de l’association qui uvrent pour que la BD congolaise améliore sa visibilité à l’échelle nationale et internationale.
Excellence Monsieur le Ministre,
Chers amis de la communication,
Chers collègues artistes,
Mesdames et messieurs,
C’est un grand honneur pour nous de recevoir dans nos installations le Patron de la Culture au Congo, en la personne de Monsieur Kambale Esdras, Ministre de la Culture et des Arts.
Un honneur du fait que notre collectif n’existe que depuis à peine deux ans et que durant quarante ans, la bande dessinée au Congo a semblé évoluer dans les oubliettes du monde culturel congolais.
C’est donc pour nous une belle opportunité à saisir afin de soumettre à votre appréciation la requête des dessinateurs de bande dessinée que nous sommes.
Cela fait exactement 41 ans que la bande dessinée congolaise existe, s’il faut partir de 1969, année de la création du magazine « Jeunes pour Jeunes ». De cette date à 1979, « Jeunes pour Jeunes » a fait école et a consacré en même temps l’âge d’or de la bande dessinée congolaise avec des personnages célèbres tels : Apolosa, Kikwata, Sinatra, Durango, Mungala, Coco, Didi, Sakina, Mosekonzo et nous en passons.
En dix ans donc, un grand travail a été abattu. Les jeunes, que nous étions à l’époque, nourrissaient l’espoir de faire carrière dans le 9eme art. Hélas ! Après la clôture de « Jeunes pour Jeunes », plus aucun projet éditorial ne s’est pointé à l’horizon pour reprendre les anciens de cette publication, ni offrir aux nouveaux la possibilité de se faire connaître ou d’avoir un espace d’expression. À ce jour, 30 ans se sont écoulés !
Point n’est besoin de rappeler ici que beaucoup d’artistes se sont exilés dans la quête d’un espace d’expression sur une autre terre que la leur, alors que notre pays a comme priorité ses propres fils pour la promotion de sa culture et la consolidation de son patrimoine culturel.
Pourtant, avec les mêmes moyens, une politique analogue et adéquate de promotion et d’encadrement, Apolosa, Kikwata, Coco, Didi, etc. n’auraient rien à envier à Tintin, Astérix, Obélix, Lucky Lucke, Dupond-Dupont, Spirou et autres héros de la BD occidentale.
« Jeunes pour Jeunes » a démarré avec un seul dessinateur et a terminé avec neuf. Aujourd’hui, nous dénombrons, rien que pour la ville de Kinshasa, près de 150 dessinateurs aguerris, capables de produire des uvres de grande qualité artistique (1).
Tous ces artistes, ainsi que ceux qui viennent s’ajouter à la longue liste risquent de tomber aux oubliettes et d’être qualifiés de « bons à rien », des hommes inutiles pour leurs familles et pour la République, puisque n’ayant jamais travaillé publiquement, faute d’espace d’expression ou de publication, ils restent de parfaits inconnus.
Leur seul péché ? Ne rien savoir faire d’autre que dessiner.
Il est à noter que, malheureusement, celui qui a pour vocation la bande dessinée est souvent assimilé à un oisif en puissance, à moins d’avoir parallèlement un petit métier pour conjurer cette soi-disant « oisiveté ». Petit métier qui, en fonction du temps que cela lui prend, risque de lui tuer son art.
Et pourtant, à titre individuel, des preuves de la qualité de cet art des bédéistes congolais ont été faites à travers le monde, sans que toute fois ses mérites qui honorent l’image du pays à l’extérieur ne soient reconnus chez nous.
Partout où nous sommes passés : Bruxelles, Liège, Corbeille Essonne, Brazzaville, Libreville, Pointe-Noire, Alger, Yaoundé et j’en passe, nous avons toujours laissé une bonne impression. En plus de recevoir des prix, nous avons souvent entendu de la bouche des organisateurs ou des journalistes la phrase suivante : « Nous avons découvert un visage différent du Congo ». Le graphisme des bédéistes congolais est d’une qualité rare nous a-t-on maintes fois répété.
Pour les prix, quelques exemples. Le concours de bandes dessinées organisé par le journal français « Calao », à l’intention des dessinateurs Africains en 1989. Sur les dix primés, la RDC alors Zaïre a raflé à elle seule 5 prix. Et sur les 30 travaux retenus dans le classement général, les Congolais, Zaïrois à l’époque, se sont distingués 13 fois
Une autre preuve est le concours international de caricature lancé par le journal Turc « Hürriyet ». Les artistes du monde entier y ont participé dont les Tchétchènes (en pleine guerre à l’époque). Trois compatriotes ont obtenu la mention d’honneur. Leurs uvres figurent aujourd’hui au Musée international de caricature d’Istanbul, en Turquie
En 2004, le Maroc, qui célébrait les 3 ans d’existence de la bande dessinée a recouru à l’expertise congolaise pour redynamiser cet art et se tailler une place enviable dans l’espace africain, sinon mondial. La RDC a 41 années d’existence et d’expérience avec le monde de la BD !
Que le Maroc ait sollicité l’expertise congolaise est une bonne chose. Par contre, cette démarche ne peut pas ne pas nous faire réfléchir sur le sort de la BD congolaise qui soufre d’être l’art mal aimé au Congo. Contrairement à d’autres disciplines artistiques telles que le théâtre, la peinture, la sculpture, la musique, etc., la BD quant à elle, n’a jamais bénéficié d’aucune reconnaissance, d’aucuns moyens en 41 années d’existences, sinon en 50 ans d’autonomie du pays.
En 2007, la République Démocratique du Congo avait été sollicitée par la République du Congo d’en face pour la création d’un département de bande dessinée et la formation des dessinateurs en vue de leur autonomisation. Pour l’heure, des dispositions sont en cours pour que ce département soit doté d’un budget pour son fonctionnement
Aujourd’hui, nous pensons qu’il est plus que nécessaire de capitaliser sur cet art qui semble être négligé chez nous alors qu’ailleurs il est pris très au sérieux.
La Belgique et la France culturelles, sont notamment connues pour leur production en bandes dessinées. La Belgique est non seulement la capitale de la BD mais c’est aussi le premier pays producteur mondial.
Depuis plusieurs années, le Japon, avec ses Mangas, s’impose également comme un pays producteur incontournable.
Et nous, Congolais, malgré notre potentialité, malgré notre nombreuse représentation, nous vivons cette évolution en spectateurs.
Comment empêcher ces hommes que nous sommes qui végètent dans l’incertitude totale quant à leur avenir de lorgner ailleurs ? De rechercher un avenir meilleur ailleurs ?
Les raisons qui poussent les hommes de partir vers cet ailleurs sont multiples au vu de ce que nous venons d’évoquer. Dès lors, la fuite des cerveaux ne concerne pas que les médecins, les ingénieurs ou les footballeurs.
Quelles sont, nous demandons-nous, les dispositions prises pour nous ? Pour nous encourager à rester sur place, à faire carrière et à ne rien envier aux artistes qui ont choisi d’autres cieux pour évoluer dans ce domaine ? L’édition de la bande dessinée au Congo étant lettre morte.
Excellence,
Qui dit avenir fait penser survie. Or qui dit survie, sous-entend la vie. Et vivre dans la dignité, c’est justement, l’essentiel du droit d’un homme.
Quelle attitude adopter dès lors pour sauver la mise, faire entendre notre voix ? Si ce n’est, à l’image de cet homme de la Bible, convaincu du fait que son salut viendrait du Christ alors que tout le monde tergiversait, s’est agrippé à son manteau pour avoir gain de cause.
Au salut du Gouvernement de la République donc, entendons-nous nous réfugier pour avoir une solution réelle à notre problème dans la mesure où nous nous refusons de nous inscrire sur la liste des « cerveaux en fuite »
Depuis 2 ans, Kin Label a permis le rassemblement de tous les acteurs congolais de la bande dessinée en donnant voix au chapitre à ceux de Kinshasa, des provinces et à la diaspora. Soit au total 35 artistes dont les planches sont publiées au fur et à mesure de nos huit éditions comptabilisées à ce jour. Les anciens comme les nouveaux travaillent tous ensemble, à cur joie, se plaisant à croire à une réussite virtuelle, sans espoir de pouvoir obtenir au plan financier un résultat concret.
Fin octobre, cela va faire un an que Mongo Sissé est décédé. Grande figure et l’un des pionniers de la bande dessinée congolaise, créateur des célèbres personnages Mata-Mata et Pili-Pili. Il a passé toute sa vie dans son art et a tiré sa révérence sans voir son envol tant souhaité.
Les deux millions annoncés par le Président de la République qui ont créé beaucoup de remous dans les médias nous intéressent au plus haut point. Nous voudrions profiter de la présence de votre Excellence pour savoir ce qu’il en est au juste ?
Vous l’aurez sans doute compris, Kin Label a besoin d’un appui financier local conséquent pour faire face à un certain nombre de difficultés pour sa survie. Nous sommes mis à rude épreuve pour faire connaître notre existence ainsi que notre produit sur un marché qui, sans campagne médiatique soutenue, reste méconnu des consommateurs à large échelle.
Avec plus de quarante chaînes de télévision et presque autant de stations de radios et un foisonnement de titres de presse, nous sommes incapables d’y avoir accès faute de moyens. Sommes-nous voués à la communication de proximité, au bouche à oreille, en plein vingt et unième siècle ?
Point n’est besoin de dire combien il nous est nécessaire d’acheter des espaces de télé et de radio pour des spots publicitaires, des jingles et des émissions de promotion, en plus des articles dans la presse écrite.
Une connexion permanente à Internet pour nous ouvrir au monde est plus qu’impérieuse. Cela demande évidemment d’être équipé en ordinateurs et, bien sûr des moyens financiers pour la création et l’entretien d’un site.
La création d’un blog nécessite même l’équipement en unités informatiques.
Nous artistes pouvons participer au développement du pays.
Nous pouvons valoriser la culture congolaise au travers de notre art.
C’est pourquoi notre demande du jour, à savoir d’un soutien de la part du Gouvernement pour bien mener notre action nous semble louable.
Que dire de la jeunesse qui s’éduque aujourd’hui dans la rue, faute de lecture appropriée ? Que dire de cette même jeunesse qui évolue loin de la bibliothèque, et qui n’a pas accès à cette forme de culture ?
Arrêter le phénomène « kuluna » passerait également par la mise à la disposition de la jeunesse des publications spécifiques lui étant destinées pour une canalisation ou une éducation morale et plurielle.
L’apprentissage de l’alphabétisation passe aussi par là. Autant que celui d’un métier.
À ce titre, notre siège sert de centre de formation dans le domaine du dessin, de la bande dessinée et de la peinture. Là aussi, nous sollicitons un soutien pour recevoir les jeunes exprimant le besoin d’apprendre un métier, ainsi que les enfants pendant les vacances
Votre Excellence,
Nous pensons faire de vous notre interlocuteur auprès du Gouvernement. Pour que soit créée une structure qui nous permette de nous exprimer, de relancer cet art et de le restituer aux plus jeunes. Art qui s’est pratiquement éteint en RDC depuis 1979 malgré les efforts de quelques-unes d’entre nous pour tenter de redonner à la BD congolaise son lustre d’antan.
Aussi, pour nous donner du crédit, avancer dans nos contacts avec les grands industriels mondiaux de la bande dessinée qui croient malgré tout à nos talents, nous sollicitons, dans le cadre de la promotion et de la relance de la bande dessinée congolaise :
1° Qu’il soit accordé une exonération douanière et même, sur les compagnies aériennes et maritimes nationales une gratuité de transport jusqu’à concurrence de 10.000 pièces de tout album de bande dessinée congolaise produit par un éditeur occidental ou non, mais à partir de l’étranger.
2° Qu’il soit octroyé aux artistes Congolais du 9eme art, en accord avec le Ministère de l’Information et de la Presse, une tranche hebdomadaire d’au moins 15 minutes sur la 2eme chaîne nationale de télévision, pour une émission axée essentiellement sur la bande dessinée.
Ce qui pourra avoir comme conséquence :
1° Permettre une promotion efficace de la bande dessinée congolaise, tant produite localement qu’à l’étranger, et pour sa commercialisation à un prix abordable par tous ;
2° Accentuer la confiance entre l’éditeur et l’artiste pour une longue collaboration qui, somme toute profitera au Congo et à sa culture ;
3° Donner à la BD congolaise les chances de se frayer une place sur l’échiquier international.
Cette faveur du Gouvernement est ainsi sollicitée pour une période de 10 ans, étant entendu que pour réaliser un album de bande dessinée (généralement 48 pages, y compris la mise en couleur), cela demande 9 à 10 mois de travail.
Enfin, pour ne pas abuser de votre temps, si précieux, Excellence, nous espérons que la reconnaissance des mérites des auteurs congolais de la bande dessinée pourrait se traduire par une dotation financière conséquente, mais aussi par la remise de médailles de mérite en art, sciences et lettres.
Merci de votre patience et de votre écoute à notre long message parsemé de doléances.
Merci d’avoir accepté de nous visiter en nos bureaux.
Bienvenue dans le monde congolais de bande dessinée.
J’ai dit et je vous remercie.
(1) Ce chiffre qui date de deux ans, est le résultat d’une enquête menée sur le terrain par l’écrivain et scénariste français Alain Brézault.///Article N° : 8952