Les auteurs africains de BD en Europe, quarante ans d’histoire…

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Depuis quarante ans, les auteurs africains de bande dessinée publient leurs œuvres en France et en Belgique.Si durant longtemps, le public occidental fut peu réceptif à leurs travaux, quelques auteurs ont commencé à avoir du succès au cours des dix dernières années. On peut citer la série Aya de Yopougon de la scénariste ivoirienne Marguerite Abouet ou La Vie de Pahé du Gabonais Pahé… Pour autant, ces exemples restent rares et la majorité des auteurs sont peu connus du grand public. Dans son ouvrage Quand la BD d’Afrique s’invite en Europe,à paraître chez L’harmattan, notre collaborateur Christophe Cassiau-Haurie revient sur ces quarante annéeset présente la quasi-totalité des ouvrageset auteurs de BD édités en Europe.
En voici l’introduction.

Pendant très longtemps les travaux des dessinateurs africains ont été totalement ignorés en Europe. Hormis quelques exceptions comme Barly Baruti, peu d’artistes étaient visibles aux yeux du public français ou belge. De nos jours, la situation a évolué. En effet, depuis 2002, le nombre d’auteurs africains présents sur les marchés francophones du nord est en nette augmentation. On peut compter aujourd’hui près d’une vingtaine d’entre eux édités dans différentes maisons d’édition. Cette accumulation, après des décennies de quasi-silence, peut paraître étonnante. Si elle est le résultat d’une évolution certaine de la BD en Afrique, de plus en plus présente aux yeux du public local, elle a aussi d’autres causes liées au contexte de l’édition française et des rapports Nord-Sud.
L’édition d’albums de bandes dessinées a, en effet, connu une énorme progression depuis quinze ans. En 2010, l’édition BD est devenue pléthorique. 299 éditeurs ont publié 5 165 albums (soit 5,46 % d’augmentation par rapport aux 4 863 titres de 2009), dont 3 811 strictes nouveautés (contre 3 599 l’année précédente). Ces chiffres sont à comparer avec l’année 1995, où la production ne dépassait pas les 500 titres. Durant le premier semestre de 2010, il est paru autant d’albums qu’entre la fin du 19e siècle et 1980. 1 446 auteurs sont considérés comme professionnels et essaient d’en vivre (mais bien plus publient sans que ce soit leur principale source de revenus).
De fait, cette explosion du nombre de titres a eu un effet « appel d’air » pour tous les dessinateurs, y compris ceux originaires de pays étrangers, Afrique comprise.
Un autre phénomène nouveau est l’apparition de scénaristes originaires du continent. Des auteurs comme Pahé, Chrisany, Didier Randriamanantena, Bertin Amanvi, Fayez Samb, Biyong Djehouty dessinent leur propre scénario. D’autres sont exclusivement scénaristes : c’est le cas du Franco-Camerounais Christophe Ngalle Edimo, du Congolais Pie Tshibanda ou, bien sûr, de l’Ivoirienne Marguerite Abouet, lauréate, en 2006, du prix du premier album au festival international de la bande dessinée d’Angoulême avec la série Aya, énorme succès public et critique.
L’apparition d’auteurs africains sur la scène franco-belge s’explique également par la faiblesse du marché du livre et de la BD en Afrique. En dehors de la BD religieuse (par exemple les éditions Saint-Paul divisées entre Mediaspaul et Paulines) et l’illustration de livres pédagogiques (en particulier Les classiques africains repris en 2007 par un groupe mauricien), les auteurs africains de BD n’ont souvent que le choix entre la production d’albums de sensibilisation, financé par des organismes de coopération, peu soucieux d’esthétique et l’édition de brochures de propagande politique au bénéfice du pouvoir ou de l’opposition. Pour beaucoup, l’exil est le seul moyen pour tenter de faire carrière dans ce milieu. Mais les raisons professionnelles ne sont pas les seules. Bien des auteurs sont venus demander l’asile politique en Europe. Ce ne sont pas leurs activités dans la BD qui rend leur situation dangereuse mais le fait que beaucoup d’entre eux sont souvent dessinateurs de presse et caricaturistes, métiers peu appréciés par les roitelets en place dans certains pays tropicaux.
Cette apparition d’auteurs africains est aussi une bonne chose pour l’image de l’Afrique et des Africains dans la BD occidentale. Sans aller jusqu’à parler de Tintin au Congo, il est incontestable que ce continent et ses habitants sont rarement présentés sous leur meilleur jour dans les albums se déroulant sur place, albums (quasi-)toujours dessinés par des Européens. Mais rien n’est simple et ces auteurs africains sont comme leurs confrères occidentaux : ils ne portent pas leur nationalité en bandoulière ! Beaucoup d’entre eux revendiquent la possibilité de s’intéresser à d’autres sujets que celui de leurs origines et souhaitent aborder une diversité de thèmes. Le lecteur pourra le constater dans les pages à venir.
L’objectif de cet ouvrage est donc de faire découvrir l’ensemble de la production des bédéistes africains en Europe, leur parcours, y compris dans leur pays, et d’avoir une vision de la production disponible. De fait, il se veut un outil pour les organisateurs de salon, les médiathécaires et documentalistes, les journalistes, les amateurs…
Le classement est thématique, puis album par album. Mais avant cela, s’impose un survol historique de la présence d’auteurs africains en Europe.
Dans la presse BD généraliste.
Il est difficile de dater les débuts des auteurs africains dans la presse spécialisée occidentale.
En 2007, le festival Yambi, initié par la coopération belge sur l’importance des arts en RDC, avait présenté une planche envoyée par un jeune lecteur congolais, resté anonyme, au journal Le petit vingtième dans les années trente. Celle-ci reprenait une histoire de Tintin traduite en lingala (une des langues nationales de la RDC). On pourrait donc dater de cette tentative, les prémisses de la présence africaine dans la presse européenne. Cependant, les débuts réels remontent beaucoup plus tard, à la fin de la décennie 70. Cela peut paraître étonnant car jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, la presse spécialisée a constitué en Europe le principal support de diffusion du 9e art.
En 1978, le couple d’artistes peintres malgaches Xhi et Maa publient des récits courts dans trois numéros de Charlie mensuel. Ils font même la couverture du n° 117 d’octobre 78, une première pour des dessinateurs africains. Vingt ans plus tard, en 1998, ils publient un album chez l’éditeur réunionnais, Grand océan (Fol amour), avant de se consacrer définitivement à la peinture. En 1980, le Zaïrois Mongo Sisé fait une apparition dans l’encart l’école de la BD du n° 2188 de Spirou, avant de revenir deux ans plus tard dans le même journal et publier une histoire de 4 pages dans le n° 2314 (la série Mata Mata et Pili Pili). Il est imité la même année, par Barly Baruti, qui, toujours dans Spirou, publie également dans l’école de la BD (n° 2286). Il n’y aura plus de créateurs africains dans Spirou jusqu’à l’année 2006 où dans son n° 3565 du 9 août, le mensuel sort un supplément intitulé Zam Zam, orchestré par Éric Warnauts, et qui présente les travaux d’une équipe d’artistes camerounais de l’association Trait Noir : Bibi Benzo, Almo the Best…
Enfin, en 1983, les Algériens Mansour Amouri (dessin) et Mahfoud Aïder (scénario) publient une histoire courte (six pages), La route de l’espoir dans le n° 755 de Pif gadget.
Ces quelques exemples sont quasiment les seuls pour la presse spécialisée BD hormis quelques fanzines de faible diffusion. On peut noter par exemple en Bretagne, Le Cri du menhir qui accueille le Congolais Sambu Kondi dans quelques numéros au milieu des années 2000. On peut également citer Lazer artzine qui en fait de même avec Jérémie Nsingi (RDC, également) dans son n° 11 de janvier 2010.
Une édition de diaspora
Les premiers auteurs africains à avoir tenté leur chance auprès de maisons d’édition en Europe n’y ont pas non plus rencontré un accueil très favorable. Leurs projets, souvent inspirés de leur histoire et de leur culture, n’ont en effet guère rencontré d’enthousiasme. C’était avant « l’effet Aya de Yopougon », qui, avec les 250 000 exemplaires écoulés pour les six titres de la série, a permis de démontrer qu’une histoire racontée par un auteur du sud et ayant comme principaux protagonistes des Africains pouvait avoir du succès. Cette difficulté à se montrer a entraîné une stratégie alternative de la part des acteurs du 9e art africain. Afin de briser certains tabous existants, plusieurs Africains installés en France ou en Belgique ont en effet décidé de faire entendre leur voix en montant leur propre structure éditoriale. Ce phénomène s’est particulièrement développé dans les années quatre-vingt-dix, tant en matière d’albums que de revues.
L’autoédition à défaut d’autres possibilités.
Pour certains artistes, l’autoédition a semblé la solution la meilleure, en particulier pour l’édition de revues BD.
En 2001, en Belgique, Albert Tshisuaka (RDC) créée Sagafrica en 2001. Ce bimensuel ne dure que deux numéros, le temps pour cet auteur de reprendre une série qu’il avait commencé quinze ans auparavant dans Afrobédé, revue congolaise de BD fondée par Mongo Sisé. Depuis Tshisuaka travaille régulièrement pour Joker, une maison d’édition belge spécialisée dans la BD.
Le Congolais Serge Diantantu, après le succès d’estime de son premier album, Les aventures de Mara : Attention Sida en 1994 (aujourd’hui épuisé), poursuit en lançant en 1997 et 1998, un journal de BD nommé La Cloche, qu’il dessine seul et qui lui permet de montrer ses propres travaux et planches. La Cloche ne dure que trois numéros et s’arrête en juillet 1998 en pleine coupe du monde. C’est l’occasion pour Diantantu de démarrer les premières pages de sa future trilogie sur Simon Kimbangu – dont le premier tome sera édité quatre ans plus tard -, ainsi que de créer une héroïne, la petite Djily, qui fera l’objet d’un album sur l’enfance maltraitée qu’il autoéditera en 2008 (La Petite Djily et Mère Mamou).
En 2006 et 2007, Bernard Mayo, grand ancien du 9e art congolais, installé en Allemagne depuis la fin des années soixante-dix, sort la revue BD Suka époque, entièrement en lingala, avec l’aide de son complice Suma Lukombo, autre ex-dessinateur de la revue zaïroise des années soixante-dix, Jeunes pour jeunes. Mais Suka époque ne connaîtra que trois numéros. Depuis, Bernard Mayo a repris sa carrière de musicien et de chanteur, s’essayant également au dessin animé.
Même si ces revues ont eu une durée de vie limitée, elles ont servi de « laboratoire » à des auteurs, en leur permettant de s’exprimer, se frotter au milieu et se faire connaître dans quelques festivals.
Le phénomène ne se limite d’ailleurs pas aux revues puisque certains auteurs n’hésitent pas à autoproduire des albums.
Alix Fuilu en est un parfait exemple. Après avoir commencé sa carrière en lançant la revue Le Kinois en 1996 et publié plusieurs albums collectifs de sensibilisation (Boulevard SIDA, Du shit au zen sur la drogue, Routes dingues sur la prévention routière) pour le Conseil général du Nord et la DDASS, il voit la plupart de ses projets refusés par les éditeurs classiques, car considérés comme « trop afro-centrés ». Lassé par ces échecs, il crée sa propre structure, Afro-bulles, en 2001. Celle-ci se fait remarquer en sortant la série éponyme Afro-bulles, à mi-chemin entre le collectif et la revue, deux albums collectifs : Vies volées (mars 2008) et Sur les berges du Congo (mars 2011) et un album individuel, Corne et Ivoire, le seul où Fuilu n’apparaît pas.
La démarche de Serge Diantantu est différente. Celui-ci n’a pas besoin de s’autoéditer pour être publié, car il est régulièrement publié dans plusieurs petites maisons d’éditions (Mandala-BD, Caraibéditions, MYK consulting à Brazzaville, des collectifs comme Dupa grave en 2009…). Cependant, le fait de recourir régulièrement à sa propre maison d’édition lui permet de traiter les sujets qu’il désire : c’est le cas, par exemple, avec Femmes noires, je te salue qui est un hommage aux femmes de couleur, mais aussi avec, on l’a vu, La Petite Djily, une dénonciation de l’enfance maltraitée. En outre, il parvient à vivre de son art grâce aux ventes en direct qu’il fait dans les salons et festivals où il est invité. Enfin, sa société lui permet également de réaliser des expositions, des cartes postales, des affiches, des illustrations et d’encadrer des stages. L’édition d’albums n’est que le prolongement logique de cet ensemble d’activités.
Quand l’Afrique s’édite en Europe…
Certains auteurs peuvent également compter sur des petits éditeurs originaires du continent.
En 2006 et 2007, Mabiki, une association installée en Belgique et spécialisée dans l’éducation permanente et la coopération au développement avec la RDC, édite quatre numéros de Idologie plus plus, une revue de bande dessinée entièrement en lingala et uniquement dessinée par Alain Kojélé. Celle-ci propose deux séries BD sur l’immigration et le quotidien des Congolais.
Faite avec les moyens du bord, en noir et blanc et de petit format, centrée sur les problèmes quotidiens de la communauté congolaise de Belgique, Idologie plus plusn’avait pas pour vocation de séduire un large public.
De la même façon, les Malgaches Didier Randriamanantena (en 2005-2006) et Alban Ramiandrisoa (en 2008) ont, chacun, dessiné une histoire à suivre dans Madagascar magazine, un mensuel destiné à la diaspora malgache.
Certains Africains, en particulier les Congolais, éditent également en Europe, des revues en langue africaine, c’est le cas de Pendro magazine, un bimensuel édité à Londres par Didier Demif depuis 2005. On y retrouve des informations politiques, et surtout des nouvelles du show-biz congolais avec des interviews et articles consacrés aux vedettes de la chanson congolaise. Bien illustré, on y lit également quelques échos sur les activités sociales de la diaspora congolaise au Royaume-Uni. Dès le premier de ces dix-neuf numéros, Pendro propose de la bande dessinée en lingala avec Love Kilawou, une série de trente-deux pages dessinées, colorisées et scénarisées par Thembo Kash et Didier Demif. Il s’agit de l’histoire d’un jeune congolais habitant Londres qui décide de faire venir sa fiancée en Angleterre.
Par la suite, il y aura Lopele, dessinée par Dick Esale et écrite par Didier Demif, série de vulgarisation sur la prévention du sida dans le milieu de la diaspora africaine. Actuellement, deux autres séries sont visibles. La première, intitulée Ekofo Mukalenga, est dessinée par Jason Kibwisa, encrée par Thembo Kash, colorisée par Asimba Bathy et écrite par Didier Demif. Cette série avait déjà fait son apparition dans le seul numéro d’Africanissimo, une revue BD publiée à Kinshasa en 2000. La deuxième, Le candidat, est en français et a une page dans le magazine. Elle est colorisée par Asimba Bathy, écrite et dessinée par Thembo Kash.
Dans un autre genre, plus  » numérique « , on peut saluer la série du Congolais Alain Kojélé, Les aventures de Kamuke sukali, publiée en deux épisodes sur le site ananzie.net en 2007 et 2008.
En 2001, certains dessinateurs africains se regroupent en association au sein de l’Afrique dessinée. Constituée, au départ, du Camerounais Simon Pierre Mbumbo, du Franco-Camerounais Christophe Ngalle Edimo, du Malgache Didier Randriamanantena, de l’Ivoirien Faustin Titi et du Congolais Pat Masioni, l’association a pour ambition affichée d’unir les talents et les volontés originaires du sud, leur permettre de rester en contact, de se soutenir et de monter des projets communs. Bien que faisant carrière chacun de leur côté, ils publient un collectif en 2008 : Une journée dans la vie d’un Africain d’Afrique. Essentiellement vendu dans les festivals, celui-ci est épuisé de nos jours. Ce premier titre leur permet de se faire remarquer et d’accumuler de l’expérience. Depuis, L’Afrique dessinée continue ses activités à travers des ateliers, des salons ainsi que différentes opérations comme celle qui s’est déroulée en 2009 avec l’ONG française Le mouvement du nid et qui a permis l’édition d’un album, Le Secret du manguier ou la jeunesse volée (scénario de Christophe Ngalle Edimo, dessins de Faustin Titi, couleur de Didier Randriamanantena). Un nouvel album piloté par l’association, ayant pour sujet les 20 ans qui ont suivi la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, sort en octobre 2011 : Thembi et Jetje, des tisseuses de l’arc-en-ciel, chez L’Harmattan.
La création de Sary 92, à Nanterre (France), en 2006, par le malgache Luc Razakarivony obéit à une démarche similaire à la différence que celui-ci, dessinateur d’origine, n’a jamais publié ses propres productions en Europe. L’essentiel de son catalogue (sept titres) était constitué de reprises de séries célèbres à Madagascar (Avotra, Malaso, Habiba, Vazimba…). De nos jours, Sary 92 a cessé ses activités. Enfin, on peut souligner le cas spécifique du Franco-Congolais (Brazzaville) Marc Koutekissa, fondateur de Cyr éditionsqui a scénarisé, en se servant de souvenirs familiaux, son unique bande dessinée : La Colonisation selon Sarko 1er en réaction au fameux discours de Dakar du président de la République. Une expérience qui, du fait de son contexte, ne sera peut-être pas renouvelée, Koutekissa se considérant plus comme homme de lettres que scénariste.
Mabiki n’édite pas uniquement la revue Idologie plus plus. Bienvenu Sene Mongaba (RDC), le directeur, publie également des recueils de poèmes, des romans et des essais politiques, aussi bien en français qu’en lingala. L’une de ses productions est la trilogie du peintre Andrazzi Mbala (RDC), Les Voleurs de mort. Ces albums racontent la lutte d’un village contre l’esprit de son chef revenu se venger après sa mort. Une histoire de sorcellerie complètement imprégnée de traditions congolaises. Dans le milieu de la BD congolaise, fortement influencée parle style graphique de la ligne claire, Andrazzi se démarque avec des dessins directement inspirés de la BD populaire qui a émergé au début des années quatre-vingt-dix lors des débuts de la contestation de Mobutu. Mabiki a également publié Zamadrogo (2006), un album en noir et blanc du congolais Alain Kojélé qui constitue une assez juste évocation de la vie kinoise, tout en respectant beaucoup plus le style graphique « dit européen ».
Robert Wazi (RDC) a créé à Rouen les éditions Mandala BD au début des années 2000. Il n’a, jusque-là, publié que la trilogie de Serge Diantantu sur la vie du prophète Simon Kimbangu, fondateur d’une église chrétienne complètement africaine, ainsi qu’une autre bande dessinée du même auteur, L’Amour sous les palmiers, qui traite du sida et des MST en Afrique. La prochaine publication de Mandala BD sera une réédition d’un album publié en RDC par Séraphin Kajibwami, Les Trois derniers jours de Monseigneur Munzihirwa qui évoque un sujet peu connu : les débuts de la guerre du Congo, en 1996. Cette maison est, par ailleurs, liée à l’éditeur kimbanguiste EKI-édition, installé dans la même ville.
Pour d’autres éditeurs africains, la bande dessinée n’est qu’un domaine parmi d’autres. C’est le cas de Dagan éditions qui édite en 2009 l’album de la Camerounaise Joëlle Esso, Petit Joss, où elle parle de son enfance à Douala au début des années 1970, ainsi que Suupa kokujin, un manga d’un jeune auteur antillais : Yhno.
Ménaibuc éditions, qui publie énormément sur l’Afrique et le monde noir, n’a édité qu’un seul album de BD, celui du Camerounais Biyong Djehouty : Soundjata, la bataille de Kirina, sur l’empereur du Mali Soundjata Keita, deux ans après que celui-ci ait édité sa biographie de Chaka, le « napoléon sud-africain » chez Bes créations.
Félix Anagonou a créé Esprit libre junior en 2009. Au départ, cet entrepreneur de spectacle ne souhaitait pas devenir éditeur. Mais, séduit par le talent et la personnalité du dessinateur guinéen Camara Anzoumana et face à l’indifférence des maisons d’édition traditionnelles, il décide de sortir lui-même en décembre 2010, sa très belle adaptation de L’Enfant noir de Camara Laye. Camara Anzoumana, qui a fait l’essentiel de sa carrière en Côte d’Ivoire, prépare un autre album pour l’année 2012.
Cependant, ce phénomène n’est pas nouveau, le Zaïrois Mongo Sise avait déjà publié un album avec l’éditeur belge Eur-af au début des années quatre-vingt : Le Boy, dans la série Mata Mata et Pili Pili. Cet album était destiné à être diffusé au Zaïre et n’a que peu touché le lectorat européen.
L’ensemble de ces œuvres s’explique par l’origine géographique des éditeurs, et participe plus d’une prise de conscience associative communautaire que d’une percée particulière d’un genre que l’on pourrait appeler « BD africaine ». On peut surtout y voir une prise en compte de l’histoire spécifique de l’Afrique et la nécessité de valoriser ses propres mythes.
Une édition de ghetto ?
La tentation est grande de voir dans l’ensemble de ces démarches une édition de ghetto. Faite par des Africains, celle-ci ne s’adresserait qu’à des Africains. Il est incontestable que pour un lecteur européen, il est toujours nécessaire de faire un effort pour y accéder. Mais en réalité, la situation est bien plus complexe. Ces éditeurs et auteurs se défendent de ce type d’approche. Si l’envie de faire mieux connaître son travail ou la culture du continent est très prégnante dans leur démarche, l’idée de s’adresser exclusivement à un seul type de public qui serait la diaspora afro-antillaise n’effleure personne.
Il est vrai que le système de diffusion propre aux territoires francophones du Nord (entre les mains des principaux éditeurs qui imposent leurs règles, en particulier sur les marges de vente) contraint, de fait, tous ces micro-éditeurs à une diffusion en dehors des canaux classiques, ce qui peut laisser penser que le grand public n’est pas visé. En effet, la diffusion de l’édition africaine de BD est souvent une diffusion directe, sans intermédiaire, soit par les sites et blogs de ces acteurs du livre, soit lors d’ateliers de formation tenus par les auteurs (c’est le cas d’Alix Fuilu et Serge Diantantu) soit par l’intermédiaire des salons et festivals que ces auteurs écument avec courage et pugnacité. Tout cela se fait sans l’appui des médias et critiques classiques de BD, peu désireux de parler de ce courant si minoritaire noyé dans la masse de titres qui sort chaque année dans l’hexagone.
Les chiffres de vente démontrent cependant que le public touché est plus vaste que la simple communauté afro-antillaise. Là où la moyenne de vente d’un titre de BD se situe aux alentours de 4 500 exemplaires, certains titres de Serge Diantantu dépassent allègrement les 10 000 exemplaires, Petit Joss a été réimprimé plusieurs fois et Une journée dans la vie d’un Africain d’Afrique était déjà épuisé l’année suivant sa sortie. De plus, ces éditeurs sont tous prêts à publier des artistes non originaires d’Afrique. C’est le cas d’Afro-bulles qui a sorti Corne et ivoire dessiné par le français Ström et qui a toujours laissé la place à des dessinateurs de toutes origines dans ces collectifs. D’autres éditeurs, comme L’Afrique dessinée ou Dagan, ont exactement la même démarche.
Nous sommes donc loin d’une volonté d’isolement…
Si les parcours de chacun restent individuels, les motivations différentes selon les uns et les autres et aucun portrait-type possible, l’objectif reste le même pour tous ces acteurs de la BD d’Afrique : publier pour faire entendre sa voix, publier pour se faire connaître et exister aux yeux du monde.
Les Dom-Tom, escale éditoriale privilégiée pour les bédéistes africains
Si la France métropolitaine a longtemps été fermée aux auteurs africains, les départements et collectivités d’Outre-Mer français ont souvent hébergé leurs productions. Près d’une dizaine de dessinateurs y ont été édités. Certains y ont même démarré leur carrière avant de continuer en Métropole. Deux zones de l’Outre-mer sont particulièrement concernées : l’océan Indien (Mayotte et La Réunion) et les Caraïbes (Guadeloupe, Martinique et Guyane française). Curieusement, ces cinq territoires abritent des populations majoritairement d’origine africaine. Peut-on y voir la conséquence d’une solidarité entre artistes de même origine géographique ? Peut-être… Cependant, les raisons de la présence de bédéistes africains diffèrent selon les territoires et démontrent qu’elles sont beaucoup plus complexes et prosaïques qu’une forme d’hommage de la diaspora à la « terre nourricière ».
La Réunion est, actuellement, la seule île de l’Outre-mer français où la bande dessinée a pris de l’ampleur. Elle se situe également dans une région très dynamique dans le domaine de la BD. En effet, Madagascar a une longue tradition remontant au tout début des années soixante, Maurice a produit d’excellents bédéistes comme Laval Ng ou Éric Koo Sin Lin et Les Seychelles abritent de bons caricaturistes. La conjugaison de ces paramètres a donc entraîné des contacts étroits entre dessinateurs de la sous-région. Des auteurs malgaches et mauriciens ont systématiquement été invités aux différentes éditions du Festival de Saint-Denis, Cyclone BD. Des auteurs réunionnais (Appollo et Huo-Chao-Si) ont déjà encadré une formation à Tananarive (en 2004) et sont à la base de l’album BD Africa : Les Africains dessinent l’Afrique paru chez Albin Michel, dans lequel apparaissent cinq Malgaches.
En matière d’édition, le fanzine Le Cri du margouillat a été un élément déclencheur important dans la création de liens avec les pays environnants. Dès ses débuts (1986), les responsables ont souhaité se situer pleinement dans la région, en rupture complète avec le parisianisme dominant de l’édition française. De fait, plusieurs auteurs de la région ont été publiés dans différents numéros : Aimé Razafy, Roddy (Madagascar), Laval Ng, Marc Randabel, Deven Teevenragodum (Île Maurice) et surtout les auteurs sud-africains de Bitterkomix bien avant que ceux-ci ne se fassent remarquer par des éditeurs comme L’association ou Cornélius. Le Franco-Comorien Moniri (de son vrai nom Moniri M’bae) a également dessiné une série, Little Momo, dans les numéros 18 à 28 du journal. En 1999, Centre du monde éditions, petite structure éditoriale créée par l’équipe du Margouillat, publie même Retour d’Afrique du malgache Anselme Razafindrainibe, reprise de toutes ses histoires publiées au fil des années dans Le Cri du margouillat.
Les auteurs de l’océan Indien peuvent également se retrouver sur des thèmes communs. C’est le cas du mythe de la Lémurie forgé par le poète et homme politique Jules Hermann dans un ouvrage posthume de 1927, Les Révélations du Grand Océan. Tout en reposant sur des observations géologiques, l’ouvrage propose une rêverie sur l’existence d’un continent primitif appelé Lémurie. Berceau de toutes les civilisations, il aurait été englouti après une catastrophe cosmique. Madagascar et les Mascareignes en seraient les derniers vestiges et les Hauts de La Réunion symboliseraient les traces laissées par de prodigieux sculpteurs géants. Hermann voit par ailleurs dans le malgache, l’origine de toutes les langues, y compris le français et le créole réunionnais. Le mythe lémurien inverse ainsi la perspective traditionnelle et fait des îles australes le centre du monde. Le Mauricien Malcolm de Chazal sera parmi les premiers à prolonger l’œuvre d’Hermann par ses propres constructions poétiques sur Maurice. C’est dans ce cadre que peut s’expliquer le choix de l’éditeur réunionnais Grand Océan (dont le nom n’a pas été choisi par hasard) de publier Fol amour, du couple de dessinateurs malgaches Xhi & Maa en 1997 dont l’univers délirant est proche de ces théories. Par la suite, Grand Océan récidive avec deux autres ouvrages écrits et illustrés par ces mêmes artistes.
L’association ARS Terres créoles est une association sans but lucratif qui vise à valoriser le patrimoine historique et littéraire de la région. En 2006, ils éditent un recueil de dessins humoristiques du Seychellois Peter Marc Lalande. Celui-ci récidive début 2011, en sortant un nouvel ouvrage à la Réunion, chez l’éditeur Des bulles dans l’océan : Humour des Seychelles. Cette maison publie cette même année, un album de deux auteurs malgaches : Mégacomplots à Tananarive (Pov et Dwa).
Dans ces deux derniers cas, la motivation de l’éditeur reste la même : rendre compte de la créativité artistique des artistes de la région.
La situation n’est pas la même dans les autres départements et territoires d’Outre-Mer qui ont accueilli des bédéistes africains et où la BD n’a qu’un développement limité. À Mayotte, jusqu’en 2000, le dessinateur malgache Luc Razakarivony installé sur place, a produit plusieurs histoires. En 1993, il dessine La Dame au chapeau dans le journal Makisard (scénario de Carole Lemonnier Du Roncheray). En 1995 et 1996, paraissent deux tomes des aventures de Greg et Abdou, scénarisés par le Mahorais Abdou Salam. Enfin, en 2000, est édité en collaboration avec le Mahorais Nassur Attoumani, Le Turban et la Capote, bande dessinée inspirée d’une pièce de théâtre du même auteur éditée chez Grand Océan en 1997. Une réédition devrait sortir en 2012 dans la collection L’Harmattan BD. En Guyane française en 1978, le Béninois Jules Niago, professeur de sciences économiques au lycée de Cayenne, et le Guyanais Maurice Tiouka publient, à compte d’auteur, Candia, la petite oyapockoise. Ce titre est la première BD publiée dans ce département où les quelques éditeurs locaux se sont peu investis dans ce secteur (on n’y compte que deux ou trois titres). Aux Antilles (Guadeloupe et Martinique), malgré des éditeurs très impliqués dans la défense de l’identité caribéenne, le 9e art reste insignifiant jusqu’au milieu des années 2000. Cependant, quelques dessinateurs africains ont pu s’y faire remarquer. Le Camerounais Mayval participe à l’aventure du journal satirique Le Griot des Antilles ainsi qu’à un numéro de la revue de bandes dessinées Kreyon noir. Par la suite, il participe au magazine Madjoumbé, créé à Paris par l’Antillais Merkh. C’est également le cas de son compatriote Achille Nzoda, qui démarre sa carrière européenne dans des journaux de Martinique. On peut ajouter le Congolais (RDC) Augustin Nge Simety, dessinateur de trois albums illustrant les aventures d’un petit garçon antillais sur un scénario de l’Antillais Blaise Bourgeois et publiés par Orphie, éditeur installé à La Réunion et qui fait l’essentiel de son chiffre d’affaires dans les Dom-Tom. Dans tous ces cas, les dessinateurs africains occupent un espace laissé vacant. Au milieu des années 2000, Florent Charbonnier fonde une maison d’édition, Caraïbéditions. Celle-ci se spécialise dans la bande dessinée et réédite plusieurs classiques franco-belges (Tintin, Asterix, Titeuf…) en créole antillais et créole réunionnais (en partenariat avec Des bulles dans l’océan). Par la suite, Caraïbéditions sort des œuvres originales : des mangas (Les Îles du vent en deux tomes, Waldo Papaye…) mais aussi des récits historiques comme La Légion Saint-Georges de Roland Monpierre (qui traite du chevalier de Saint-Georges) et un cycle de six tomes sur l’esclavage avec Mémoire de l’esclavage de Serge Diantantu (RDC) et dont les deux superbes premiers tomes sont déjà sortis : Bulambemba et En naviguant vers les Indes.
Malheureusement l’Outre-Mer français n’est perçu que comme un moyen d’accéder au « Nord » et non comme une fin en soi. Les tirages des éditeurs locaux ne permettent d’ailleurs pas des salaires conséquents aux dessinateurs qui travaillent pour eux. Pour autant, le marché métropolitain du livre leur est quasiment aussi fermé qu’il ne l’est pour les éditeurs étrangers (Canadien, Suisse, Libanais, Belge et… Africain). Lutter contre un marché à deux vitesses est un combat commun à l’ensemble des francophones et l’existence de relations entre l’Afrique et l’Outre-mer français permettra peut-être, à terme, de faire sauter certains verrous.
L’ère des anthologies, des collectifs et des actions de sensibilisation
En Afrique, les BD produites sont rarement le fruit d’éditeurs privés. L’édition est souvent le fait d’ONG et d’associations utilisant la bande dessinée comme médias. Depuis quelques années, ce phénomène s’est déplacé en Europe au grand bénéfice des artistes africains qui ont pu y trouver parfois une plus grande visibilité. La première réalisation du genre est l’œuvre d’Équilibres & populations qui, en 2001, édite À l’ombre du baobab, un album collectif de dessinateurs africains sud-saharien sur le thème de la santé et de l’éducation. Cet album fait l’objet d’une exposition itinérante dans toute l’Europe. Pour la première fois, le travail de dessinateurs africains est rendu visible pour un autre public que celui de leur pays respectif. La même année, son effet est accentué par la parution concomitante d’un numéro spécial sur la bande dessinée d’Afrique dans les revues culturelles Africultures et Notre librairie. L’action de l’association italienne Africa e Mediterraneo entraîne également un effet levier pour la carrière de certains. Suite à cinq concours successifs, plusieurs anthologies collectives sont éditées et diffusées : Africa comics 2002 ; Africa comics 2003 ; Africa comics 2005-2006 ; Africa comics 2007-2008 ; Africa comics 2009-2010 et Matite africane. Le projet, fortement soutenu par l’Union Européenne, permet la constitution d’un réseau de dessinateurs africains, la création d’un prix Africa e Mediterraneo et une exposition itinérante de planches originales dans le monde entier (de 2002 à 2007, vingt-trois lieux ont été concernés).
De cette façon, sur sept années, huit anthologies et albums collectifs sont publiés en Europe : les six albums de Africa comics auxquels on peut ajouter le projet soutenu par P’tit Luc, BD Africa (2005) et celui d’Équilibres & populations. Par ce biais, c’est un vaste panorama totalement inédit et bienvenu de la bande dessinée africaine qui est présenté au public européen. Malheureusement, les problèmes de qualité graphiques et de mise en page de ces catalogues ainsi qu’une faible diffusion (le pire étant l’édition 2009-2010 des Africa comics) ont quelque peu diminué l’impact de cette production dans le grand public.
En 2004, démarre le projet Valeurs communes qui, financé par la Commission européenne, a pour mission d’évoquer les valeurs communes entre les religions et la pensée laïque : tolérance, partage, respect de l’autre… Il se compose d’un guide didactique et de cinq albums de bande dessinée également édités comme pour les lauréats du Prix Africa e Mediterraneo, par les éditions Lai-Momo. Ces albums sont tous le fruit d’adaptations de cinq nouvelles par le Franco-Camerounais Christophe Ngalle Edimo, et dessinés par des bédéistes du sud : le Camerounais Chrisany (L’Exposé) et l’Ivoirien Faustin Titi (La Réserve), les Congolais Fifi Mukuna (Si tu me suis autour du monde) et Pat Masioni (L’Appel) et le Camerounais Simon Pierre Mbumbo (Hisham et Yseult). Par la suite, en 2006, est publié le livret collectif, New arrivals, sur le phénomène migratoire et financé par l’Union Européenne. Plusieurs auteurs africains y participent : Simon Pierre Mbumbo (Cameroun), Adjim Danngar (Tchad), Willy Zekid (Brazzaville), Fifi Mukuna (RDC), Pat Masioni (RDC), Didier Mada BD (Madagascar).
Puis, en 2008, Le mouvement du nid passe par des auteurs africains pour scénariser et dessiner une histoire sur la prostitution africaine en Europe. Cela donne Le Secret du manguier ou la Jeunesse volée, déjà évoqué plus haut.
Enfin, en 2009, l’ONG suisse Grad décide d’avoir recours au talent de Pat Masioni pour dessiner une trilogie sur la carrière de volontaire international. Cela donne la série Agathe, scénarisé par Christophe Vadon. Celui-ci s’était déjà aventuré dans ce domaine en illustrant quelques couvertures de revues issues d’ONG et associations.
Il semble cependant que cette époque soit aujourd’hui révolue. Bien des auteurs présents dans ces projets ont pris leur envol ou sont passés à autre chose.
Les éditeurs indépendants, une chance pour les auteurs africains
Plusieurs auteurs ont trouvé une porte de sortie avec des éditeurs généralistes faisant des incursions dans le 9e art ou des petits éditeurs indépendants.
C’est le cas, par exemple, de L’Harmattan, éditeur très tourné vers l’Afrique, qui n’était pas spécialement intéressé par la bande dessinée. Sa première incursion dans ce domaine date de l’année 1987 où l’Ivoirien Sallia, sur un scénario de Breal et Karul, dessine les deux tomes de Quand les flamboyants fleurissent, les blancs dépérissent. Cette tentative reste isolée jusqu’en 2003, année où L’harmattan publie deux albums de la série du Caporal Samba du Franco-Sénégalais Fayez Samb évoquant deux épisodes de l’histoire militaire coloniale : Tirailleurs sénégalais à Lyon, sur la débâcle de 40 et Le Naufrage de l’Africa, qui touche à l’immédiat après-guerre de 14-18. Par la suite, deux albums suivent en 2007 (Le Tirailleur des Vosges) et 2009 (Le Tirailleur et les cigognes). Enfin, l’année suivante voit la parution des Aventures de Leuk le lièvre ; Les Arbres magiques du Camerounais Mayval (Yves Madiba). En 2010 cet éditeur décide de créer une collection dédiée à la bande dessinée : L’Harmattan BD, fondé et dirigé par l’auteur de ses lignes, et qui édite 5 albums en l’espace de quelques mois : Le Retour au pays d’Alphonse Madiba dit Daudet (Ngalle Edimo et Al’Mata – Cameroun, RDC) ; Ils sont partis chercher de la glace… (les frères Mensah – Togo) ; le collectif Visions d’Afrique ; Putain d’Afrique (Anselme Razafindrainibe – Madagascar) ; Vive la corruption (Didier Viodé – Bénin). En Belgique, en 2006, Pie Tshiband et Joseph Senga publient RD Congo, le bout du tunnel chez Coccinelle, une maison d’édition catholique qui édite régulièrement des BD dont Couple modèle, couple maudit de Joseph Senga et Willy Inongo, cinq années plus tôt. Le Congolais Tchibemba, pour sa part, a publié régulièrement des albums et des caricatures en Grèce, où il vécut de 1990 à 2009. En 2010, Coccinelle lui donne sa chance en éditant Les Clandestins à la mer, dessiné par lui et scénarisé par Pie Tshibanda.
La revue et association Africa e Mediterraneo a édité, dans le cadre de sa collection Africa comics, sept albums individuels d’auteurs africains en français : Article 5 et 9 de Chrisany (Cameroun – 2002) ; Blolo-Bian, l’amant de l’au-delà de Bertin Amanvi (Côte d’Ivoire – 2003) ; Une éternité à Tanger de Faustin Titi (Côte d’Ivoire – 2003) ; L’Île aux oiseaux de Hissa Nsoli (RDC – 2003) ; Imboa le roi et Ifara de Didier Randriamanantena (Didier Mada BD – Madagascar – 2003) ; On a fumé Malrobo ! de Jo Palmer (Togo – 2005) ainsi que Goorgoorlou de TT Fons (Sénégal – 2008) et Africavi de Anani et Mensah Accoh (Togo – 2007) uniquement en italien. Tous ses albums ont été publiés par l’éditeur italien Lai momo, comme pour les collectifs Africa comics et les projets de l’Union européenne : Valeurs communes et Approdi (New arrivals).
D’autres comme Simon Pierre Mbumbo et Christophe Ngalle Edimo (Cameroun) trouvent chez Les Enfants rouges une oreille attentive pour l’édition de Malamine, un Africain à Paris (2009), album qui connaît un réel succès au point d’être réimprimé plusieurs fois et de voir ses droits rachetés par une maison camerounaise. C’est tout le bonheur que l’on souhaite à Didier Randriamanantena (Didier Mada BD) qui sort en janvier 2012 le premier volume de la série Even : Silvius chez Roymodus (scénario de Bruno Fermier). En 2006, le Congolais Hallain Paluku publie le superbe Missy chez La boîte à bulles, album qui rencontre également une grande reconnaissance critique et publique. L’Ivoirien Jean-Louis Lacombe connut son heure de gloire dans les années quatre-vingt à Abidjan en dessinant la série Monsieur Zézé dans le journal Ivoire dimanche. Parti s’installer dans l’île de son père (la Corse), il entame une nouvelle carrière de dessinateur dans des maisons d’édition locale. Cela donne Ziu memè (1988) ; L’Enquête corse (2004) ; Les Bouches de Bonifacio ; Les Pitchous ; O dumè… en partie en langue corse.
La consécration chez des éditeurs reconnus
Barly Baruti a longtemps été l’arbre qui cachait le désert africain. Sa carrière démarre dans les années quatre-vingt au studio Hergé de Bruxelles, se poursuit avec les éditions Segedo et prend réellement son envol avec ses deux séries à succès Eva K. (Soleil productions) et Mandrill (Glénât) publiés chez de grands éditeurs spécialisés. Depuis, son exemple a largement été suivi. Le premier est l’Ivoirien Gilbert Groud qui, en 2003, édite chez Albin Michel, l’inquiétant et superbe Magie noire suivi d’un tome 2, cinq ans après. Par la suite, en 2005, Albin Michel sort Rwanda 94 de Pat Masioni, quelques mois plus tard, par le tome I de Aya de Yopougon dessiné par Clément Oubrerie et scénarisé par l’Ivoirienne Marguerite Abouet, série qui connaîtra un succès énorme dépassant de beaucoup les limites de la diaspora. Le Gabonais Pahé rencontre également le succès avec les séries La Vie de Pahé et Dipoula, chez l’éditeur Suisse Paquet. Au-delà de la curiosité nouvelle des éditeurs « classiques », le talent et la persévérance des bédéistes africains sont également une raison importante de cette percée.
Des auteurs avant tout !
Pour beaucoup d’entre eux, leurs travaux ne concernent pas spécifiquement l’Afrique. C’est le cas, bien sûr, de Barly Baruti et de sa série Mandrill, mais aussi de Missy de Paluku, de la série Vanity (deux tomes chez Joker) de Thembo Kash, des quatre derniers tomes de la série à succès Ballade au bout du monde du Mauricien Laval NG. Paluku se refuse même à travailler sur des albums ayant trait à l’Afrique. Après Missy, ses productions ont en effet, peu concerné le continent : Rugbill (Carabas) sur le rugby, Mes 18 ans, parlons-en ! (Joker) sur la sortie de l’adolescence… En 2007, le Camerounais Achille Nzoda sortait le tome 1 de Les Animotards (Tartamudo) suivi des 40 commandements du motard (Wygo – 2010), deux ouvrages s’intéressant aux sports mécaniques.
D’autres mènent une carrière dans la BD érotique. C’est le cas de Pat Mombili et Albert Tshisuaka (Tshitshi) avec la série Blagues coquines.
Dans un autre genre, Even, de Didier Randriamanantena, déjà évoqué, traite du massacre des Vaudois au 16e siècle dans le sud de la France.
En bref, nous n’avons plus affaire à des bédéistes africains mais à des bédéistes tout court… Et considérés comme tels par la profession !
Français et Africains à la fois…
Enfin, pour mémoire, car ils ne seront pas étudiés dans cet ouvrage, on peut citer des dessinateurs européens qui ont des origines africaines, même s’ils n’en ont pas la nationalité : le Suisse Jean Philippe Kalondji (RDC), auteur phare des éditions Paquet, le Toulousain Marc N’Guessan (Côte d’Ivoire), Yvan Alagbé, dessinateur et éditeur indépendant français (Togo), le dessinateur français d’origine comorienne Mohamed Fahar, créateur de la série Dido. Plus récemment, on a pu remarquer le succès de la Française Jenny Rakotomamonjy (née à Tananarive), avec la série Pink diary (Delcourt – 2006 à 2008) et Mathilde (quatre tomes sortis depuis 2010) plus une autre série qui va démarrer : Manfra.
Enfin, on peut également mentionner le jeune français d’origine congolaise (RDC), Jason Dilukeba qui s’est fait remarquer en remportant le prix SFR jeunes talents et publier les deux premiers volumes de la série Ekeko chez 3TPF.
Mais l’origine géographique de ces artistes peut sembler quasi-exotique tant leur travail est peu marqué par celle-ci.
Mais que le lecteur ne se trompe pas. L’immigration des auteurs de BD en France, leur implantation sur le territoire, leur intégration progressive au sein des structures éditoriales des ex-pays coloniaux ne peuvent être isolées du mouvement migratoire général qui s’est généralisé au cours des vingt dernières années en provenance de l’Afrique. Cet ouvrage ne va-t-il parler que de BD ? Oui ! Mais aussi, peut-être, à travers le petit bout de la lorgnette graphique, un sujet bien particulier sera évoqué : celui des rapports entre l’Afrique et l’Europe. Un sujet sensible et épineux mais qui a aussi donné de beaux résultats. Il suffit de tourner les pages qui vont suivre…

Christophe Cassiau-Haurie, Quand la BD d’Afrique s’invite en Europe : répertoire analytique, L’harmattan., mars 2012.///Article N° : 10620

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Les images de l'article
Malamine, un Africain à Paris © Les Enfants rouges
Les Animotards de Vincent Haudiquet et Achille Nzoda © TartaMudo
Tirailleurs sénégalais à Lyon de Fayez Samb © L'Harmattan
© L'Harmattan





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