Difficile de se faire une place quand on est un dessinateur africain installé en France : aux difficultés d’adaptation, s’ajoutent une féroce concurrence et le désintérêt des maisons d’édition pour des sujets sur l’Afrique. Conscient de ces obstacles, Didier Randriamanantena, surnommé Didier MadaBD, a préféré ne pas faire de la bande dessinée commerciale sa priorité. Sa carrière française se compose donc essentiellement de productions issues de contrats avec des ONG (Le secret du manguier édité par Le mouvement du nid ou Imboa par Africa e Mediterraneo) ou des projets de l’Union Européenne (The colours of the world, projet Approdi, 2006). À sa façon, ce passionné d’histoire, héritier de la longue tradition malgache en matière de 9ème art démontre qu’il y a une voie en dehors de l’édition commerciale.
Comment devient-on bédéiste quand on vit à Madagascar où ni la formation ni l’édition ne sont propices au développement de la BD ?
Je suis un cas exceptionnel. J’ai été très encouragé, par ma famille maternelle. Mon grand-oncle, Joseph Ramanakamonjy (1898-1982), officier de la légion d’honneur, était un peintre très connu, qui a exposé dans plusieurs pays. Ma mère, mon frère, ma sur aînée, plusieurs de mes cousines et cousins sont doués pour le dessin, même s’ils n’en ont jamais fait une profession. Certains membres de ma famille maternelle appartenaient au groupe Therack (1). Pendant mon enfance et adolescence, ma mère m’a encouragé à dessiner, elle me racontait ce qu’avait fait son oncle et critiquait mes dessins et peintures, avec des yeux d’artistes. Elle ne m’a cependant pas conseillé de faire ce métier face à la précarité des artistes à Madagascar. Je ne lui reproche rien car c’est la réalité dans tous les pays sous-développés. Par la suite, quand elle a vu que je me débrouillais bien, elle m’a encouragé. Mon père était amateur de bandes dessinées et d’histoire. Il lisait beaucoup de livres et de journaux, ce qui a eu une grande influence sur moi. Tous les samedis, il nous amenait mon frère et moi, acheter des bandes dessinées : des comics italiens comme Rodeo, Tex Willer, Blek, Zembla, Loup Solitaire, Zagor, Mister No etc. ainsi que des albums franco belges : Tintin, Buck Danny, Ric Hochet, Luc Orient, Blueberry, Tanguy et Laverdure, Alix, Lefranc, Dan Cooper, Rahan, Pif, Docteur Justice, Alix, Capitaine Apache, Taranis etc. Nous avions des collections complètes à la maison. Mon père m’a beaucoup conseillé, il a respecté mon choix et m’a permis d’aller toujours de l’avant, même s’il voulait que je sois militaire comme mon grand-père paternel, ancien combattant de l’armée française.
Quels ont été vos premiers pas en dessin ?
Je ne me souviens pas de mes premiers dessins mais lorsque j’avais 10 ans, mon père m’a montré des dessins que j’avais faits à l’âge de 3 ou 4 ans. Je dessinais des soldats, des armes, des tenues militaires, des chevaux, des portraits et des paysages. Par la suite, lorsque je lisais des comics italiens, je recopiais les dessins que j’appréciais, en particulier Tex Willer. À l’âge de 12 ans, j’ai recopié en l’agrandissant, une de ces BD qui faisait 75 pages. J’ai également copié des BD religieuses comme l’histoire de la Bible et l’Ancien Testament. Vers l’âge de 14 ans, j’ai créé une BD scénarisée par mon frère racontant une histoire d’espionnage qui se déroulait à Madagascar. Je l’ai conservée et bien archivée car elle a une saveur spécifique pour moi, même si elle n’a jamais été publiée. Je faisais aussi pas mal de peintures et des portraits, utilisant la plume, le crayon, le stylo-bille, l’aquarelle, la gouache, l’huile ou des crayons de couleur. J’ai commencé à avoir des commandes de portraits et de peintures à partir de 13 ans. J’étais aussi un fanatique de BD sur les courses de voitures, les motos et les avions de guerre, en particulier de Michel Vaillant, Buck Danny, Tanguy et Laverdure. Je me faisais même de l’argent de poche grâce à mes camarades qui me passaient commandes de dessins de voitures et d’avions de guerre. Tout cela m’a servi puisque ma carrière en tant dessinateur a commencé en 1986, lorsque j’ai été lauréat d’un concours organisé par Renault dans les écoles du pays. Mes dessins (2 voitures Renault avec des paysages malgaches) ont d’ailleurs figuré dans le calendrier Renault de l’année.
Comment s’est exprimée votre créativité dans votre parcours scolaire ?
En classe, il y avait toujours des citations ou des poésies à illustrer ainsi qu’en histoire et en sciences naturelles, tout ceci m’a beaucoup aidé à améliorer mes dessins. Après l’obtention du baccalauréat scientifique en 1988, j’ai suivi des études de physique-chimie à l’université d’Antananarivo. Parallèlement j’étudiais la BD et la peinture en autodidacte, en particulier au cercle Germano Malagasy (CGM) où j’ai suivi un cours de dessin, peinture et bande dessinée à partir de 1991, ce qui m’a permis d’obtenir un prix à la fin du cursus. À Madagascar, il n’y a pas d’école des Beaux-arts. La plupart des dessinateurs, bédéphiles et peintres malgaches sont autodidactes. J’ai donc suivi ces cours de dessin pour avoir des certificats, compléter mon parcours artistique, acquérir de l’expérience et aussi pour avoir des relations avec les bédéistes malgaches, car à l’époque le CGM était leur lieu de rencontre. C’est suite à ce cours que j’ai fondé avec d’autres l’association Mada BD en mars 1993. J’ai eu plusieurs influences : chez les Franco-belges et Italiens on peut compter Marcello (Docteur Justice), Calep (Tex Willer), Tibet (Ric Hochet), Giraud (Blueberry), Jijé (Jerry Spring) ainsi que Milo Manara, Serpierri et Auclair. Concernant les dessinateurs malgaches, je peux citer Richard Rabesandratana (Benandro, tsimaniva ibonia), Gilbert Rakotosolofo (Romy, Bobel, ambondrombe, zazavavindrano) et feu Arthur Rakotoniaina (Belamonta, cobra, Danz).
Quelles ont été vos premières expériences professionnelles en tant que bédéiste ?
C’était dans le journal quotidien Mada à partir de 1987 et dans la revue de l’Océan Indien avec quelques strips et des dessins humoristiques (histoire courte), vers 1988. J’y ai travaillé en tant que dessinateur, caricaturiste, portraitiste et consultant. Ma première histoire longue a été Dahalo pour l’exposition que l’on a organisée avec l’équipe de Mada BD en 1991 au CGM. En 1987, j’ai également été maquettiste pendant 7 mois pour la brasserie Star.
Justement, pouvez-vous nous faire un bref déroulé de votre première partie de carrière à Madagascar ?
Au début des années 90, il n’existait plus de BD sur le marché, c’était l’âge noir de la BD malgache, après l’âge d’or des années 80. Le seul moyen pour être connu à l’époque était d’exposer et de publier dans les journaux. De 1991 à 2003, tous les ans, j’ai donc organisé et participé à des expositions et festivals avec l’équipe de Mada BD avec l’appui du directeur du CGM, Ekhehart Olszowski. Il nous a donné des salles d’atelier et d’exposition, des outils de communication, des affiches, prospectus etc. Ces expositions m’ont permis de me perfectionner et de m’approcher des lecteurs. En parallèle, depuis 1998, je participais à des nombreuses expositions de peinture, à l’huile, aquarelle, fusain, crayon etc. avec l’Union Nationale des Artistes Plasticiens de Madagascar (UNAPM) dont je suis l’un des co-fondateurs. Par la suite, en 1997-1998, j’ai suivi des stages de formation encadrés par Christian Cailleaux, au Centre Culturel Albert Camus (CCAC) et en 1999 pour un salon de la BD au Centre culturel Saint Exupery de Libreville avec Franck Giroud, Barly Baruti, P’tit Luc et Cheret. C’est à partir de cette période que j’ai commencé à avoir des relations avec les dessinateurs internationaux et les organisateurs de festivals. De 2001 à 2003 j’ai aussi été professeur de dessin, peinture, bande dessinée et responsable de la section dessin au CGM. Ma BD la plus connue est la bande dessinée historique sur Madagascar Nampoina, publiée 4 fois, en version malgache et française (2). J’ai également fait deux BD de sensibilisation : Tetika sy Paika (éditée par PAIQ – une ONG financée par l’AFD) et Tohatry ny ho avy (3) (éditée par l’Union européenne) avec Mamy Raharolahy au scénario (version Française et Malgache), Dahalo éditée par Mada BD (version française) en 2004 et enfin, le tome 1 de Imboa, le roi et Ifara, un album historique sur Madagascar, édité par Lai Momo. J’ai également participé à des albums collectifs comme Sary Gasy (Mada BD), Les jeux sont faits, Anosy, etc. J’ai aussi été lauréat de nombreux concours organisés par des institutions françaises de Madagascar (Alliance française d’Antananarivo, CCAC).
Comment s’est passée votre installation en France ?
Comme des millions de travailleurs dans le monde entier, j’ai eu des contrats avec des employeurs. Le premier fut avec les éditions italiennes Lai Momo pour un projet personnel, et pour le projet approdi avec l’Union européenne. Je viens de colorier un album avec le Mouvement du nid, une ONG basée en France qui a comme thématique la maltraitance des prostituées d’Afrique (4). Je travaille également avec Planète-enfants. Je suis toujours dessinateur freelance tant à Madagascar qu’en France et j’ai aussi d’autres contrats.
Quelles ont été vos impressions professionnelles et personnelles en arrivant en France ?
En France quand on travaille et que l’on est sérieux, on récolte le fruit de nos efforts. Je n’ai donc eu aucun problème d’intégration du fait de mon éducation qui m’a apporté l’autodiscipline et le respect des autres cultures. Les dessinateurs et scénaristes français ou africains avec lesquels j’ai collaboré ont un esprit combatif et un sens de la communication incroyable. Rien n’est impossible pour eux, ils veulent avancer, ce que j’apprécie vraiment parce que j’ai la même conviction.
Quels sont vos projets actuels ?
Je monte un projet « One shot » d’une centaine de pages avec le scénariste Christophe Ngalle-Edimo, l’album s’intitule provisoirement « Banlieue Blues ». Pour mes projets personnels, j’ai déjà terminé la suite de deux de mes bandes dessinées historiques sur Madagascar : Nampoina (62 pages) et Imboa (48 pages), mais j’attends un petit peu pour les sortir. Je dois encore réfléchir au mode de publication : soit je les auto-édite, soit je les confie à un vrai éditeur qui serait capable de diffuser ces albums. Je souhaiterais les publier en plusieurs langues (malgache, français, anglais). Je travaille également à une bande dessinée historique sur la France pendant la période de la renaissance avec un scénariste français, mais je communiquerai au moment opportun sur le nom du scénariste, le titre de l’album, ainsi que l’éditeur concerné.
Cela ne vous dérange pas de ne pas avoir été publié par une grande maison d’édition ?
C’est votre vision des choses ! Comme je viens de le dire, je ne suis pas encore prêt à proposer des projets commerciaux. En particulier sur des thèmes purement malgaches ou africains parce que je sais que ça n’intéresse pas les grands éditeurs, sauf si le scénario peut toucher un public européen. Ils ont leurs lignes éditoriales. Je me souviens en avoir parlé en janvier 2000, lors du Festival d’Angoulême avec Jean Jacques Camano, ancien directeur de production chez Glénat et feu Guy Vidal, ancien directeur littéraire chez Dargaud. Ce n’est pas uniquement une question de qualité graphique et de scénario, les éditeurs demandent parfois le parrainage d’un dessinateur ou scénariste connu. Je connais pas mal de dessinateurs qui n’ont pas le niveau mais qui sont édités parce qu’ils sont parrainés par des dessinateurs connus. Qu’on ne s’étonne pas si des milliers d’albums ne marchent pas actuellement ! Pour ma part, je vais proposer des thèmes sur l’histoire de France et travailler sur la communication autour de ce que je fais car c’est une donnée essentielle de nos jours et pas seulement une question de compétence. Et puis, des milliers de dessinateurs ont la chance d’être édités par de grandes maisons d’édition mais ils ne touchent pas beaucoup de droits d’auteur par rapport à ceux qui font du travail de commande comme nous. Et pour cause, ces BD ne marchent pas ! Ça ne m’intéresse pas d’être édité dans ces conditions. En l’absence de publicité, avec une faible diffusion, on court à l’échec. C’est ma propre décision, pas une frustration. C’est la réalité du marché de la BD actuellement. Même si tu dessines bien, être publié par les grands éditeurs ne suffit pas pour atteindre le succès. C’est à la fois une question de chance, de relations et, je le répète, de communication. Le marché est très restreint, déjà occupé par les dessinateurs connus. Les nouveaux auteurs ont du mal à émerger, faute de visibilité. Si un jour, mes projets étaient retenus par une grande maison, je ferais attention à la publicité et à la diffusion. Je ne cherche pas à tout prix à me faire éditer tant que certaines conditions ne sont pas réunies.
(1) Fondé par le compositeur Ramanakamonjy Therack, ce groupe fut très célèbre à l’époque coloniale, en particulier pour la chanson Voropotsy miara-dia (les colombes volent ensemble), chanson toujours chantée dans les cérémonies (mariage, fêtes familiales
).
(2) Tout d’abord en épisode dans L’express de Madagascar puis dans Madagascar magazine en France en 2006-2007. En 1998, dans l’album collectif Mada bédé puis en 2002, l’histoire a été éditée en album cartonné par CGM et Mada BD
(3) Qui peut se traduire par Qualité et avenir.
(4) Le secret du manguier a été dessiné par l’Ivoirien Faustin Titi et scénarisé par Christophe Ngalle Edimo.Depuis mars 2009 :
Didier Randriamanantena travaille sur plusieurs projets d‘éditions.///Article N° : 10205