Deux nouveaux albums viennent enrichir la collection l’Harmattan BD lancée par Christophe Cassiau-Haurie, à l’occasion du 1er Salon de la bande dessinée africaine qui s’était tenu à Paris à Paris du 3 au 5 décembre 2010.
Ces albums, les 9e et 10e titres parus en moins de deux ans, représentent deux aspects très différents de la BD africaine dont il convient de saluer les qualités respectives.
Mokanda Illusion est un inédit du Congolais Mongo Sisé (1948-2008) qui est considéré par ses pairs comme le précurseur du neuvième art en Afrique et dont les albums (dessinés avec une forte dose d’humour kinois dans un style classique hérité de « la ligne claire ») sont répertoriés et présentés en couleur dans les pages centrales de cette édition exceptionnelle qui devrait réjouir les amateurs et les collectionneurs.
Cargaison mortelle à Abidjan, réalisé par le Camerounais Japhet Miagotar, traite, dans un style graphique avant-gardiste totalement atypique mais parfaitement adapté au développement de son récit, l’affaire du navire Probo Koala, à l’origine d’un des plus importants scandales écologiques des années 2000 en Afrique. En effet, ce cargo affrété par une société néerlando-suisse déchargea de nuit et en plusieurs endroits de la lagune d’Abidjan des centaines de tonnes de déchets hautement toxiques en provenance du Texas. Ces déchets provoquèrent la mort d’une vingtaine de personnes et intoxiquèrent gravement plusieurs milliers de riverains.
L’album Mokanda Illusion va certainement représenter une agréable surprise pour une nouvelle génération de lecteurs Africains n’ayant pas eu l’occasion de lire les précédents albums de Mongo Sisé dont les premières publications en feuilleton datent de 1972. Elles racontaient les nouvelles aventures de Mata Mataet Pili Pili, deux personnages qui furent, dans les années cinquante, les héros d’une vingtaine de petits films à succès réalisés par un missionnaire flamand.
Plusieurs histoires dessinées par Mongo Sisé et relatant avec humour les aventures et les déboires de ces deux farfelus firent les délices des lecteurs de « Notre Feuilleton » entre 1972 et 1975. Fort de ce succès de presse, Mongo Sisé va alors créer en 1978 sa propre société de production. Il publie en album les aventures de ses deux héros : Le portefeuille.
Il ira ensuite s’installer en famille à Bruxelles en 1980 et collaborera avec le studio Hergé, tout en obtenant une licence en Arts graphiques à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles. Il crée un nouveau jeune héros, Bingo, avec le soutien de la coopération belge au développement, Bingo en ville, puis Bingo à Yama Kara, viendront ensuite Bingo en Belgique, ou l’interdépendance, et Bingo au pays Mandio
Chez Eur-Af éditions, il fait paraître le second album de la série Mata Mata et Pili Pili et une version commerciale de Bingo en ville, avant de rentrer au Zaïre en 1985 où il va connaître son premier échec en lançant Bédé Afrique, un magazine qui ne sortira que quatre numéros avant de disparaître.
Sisé va alors enseigner la publicité à l’Académie des Beaux-arts de Kinshasa et travailler comme rédacteur en chef de Falanga, le nouveau magazine de la Banque nationale
S’il ne publie plus à partir de cette époque, il restera celui qui a le plus influencé tous ceux qui se lancèrent après lui dans la difficile carrière de dessinateurs de presse et de bédéistes.
L’album Mokanda illusion est préfacé par José Mongo, le frère de Sisé, qui explique comment il a retrouvé les crayonnés et les encrages de ces planches, réalisées entre 1999 et 2002, dans les archives de son frère. José Mongo considère ce travail partiellement inachevé « comme un testament dédié à ses lecteurs, dans la fidélité narrative d’une relation graphique que nul ne peut corrompre
»
Une des particularités de cet album très soigneusement édité est que le lecteur y trouvera, outre un fichier central biographique et bibliographique en couleur, la version finale encrée, mais dont les trois dernières planches sont inachevées, ainsi que la maquette crayonnée et passée au lavis par Mongo Sisé afin d’en tester le découpage.
Un album que je recommande vivement à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de la BD congolaise dont la production actuelle témoigne encore, à travers ses nombreux artistes, qu’elle fait toujours preuve d’une vitalité inventive exceptionnelle et exemplaire pour l’ensemble du continent
Cargaison mortelle à Abidjan, de l’auteur camerounais Japhet Miagotar, est un album qui, lui aussi, devrait faire date, autant par son graphisme absolument original que par la conduite du récit : une accusation sans faille à l’égard des pays occidentaux qui, non contents d’exploiter les sous-sols de l’Afrique, traitent par le mépris les populations du continent. Depuis le mois d’août 2006, l’affaire du Probo Koala (immatriculé au Panama, appartenant à une compagnie grecque affrétée par la société néerlando-suisse Trafigura, avec un équipage russe !) est devenue, comme il est écrit en quatrième de couverture de cet album, « l’un des symboles des relations dégradées entre l’Occident et l’Afrique »
La qualité graphique de Japhet Miagotar peut surprendre car, à travers la stylisation des décors et des personnages inspirés de la statuaire et des masques africains, les règles traditionnelles et certains codes habituels de la BD sont volontairement transgressés. Mais la force du talent hors normes de cet auteur, déjà récompensé en 2008 par le prix Africa e Mediterraneo, est d’exprimer le plus froidement possible une histoire vraie qui va s’avérer tellement incroyable qu’une simple transposition en images réalistes la rendrait pratiquement anodine, noyée dans les faits divers dont la télé nous abreuve et que l’on peut trouver dans la violence graphique qu’expriment toutes les BD classiques qui inondent le marché. Il a donc choisi de raconter cette monstruosité, ce scandale écologique, de telle façon que l’on ne puisse oublier ce qui s’est effectivement passé : la mémoire de l’événement et ses conséquences vont rester étrangement liées à la façon unique dont Japhet Magiotar a choisi de la raconter, tout en restant lié à la forme la plus épurée de la tradition africaine
En même temps, on verra que les responsables de Trafigura s’arrangeront auprès de l’État ivoirien, signant un protocole d’accord pour un dédommagement de 100 milliards de francs CFA en échange de l’abandon des poursuites contre leur société, alors que les lampistes seront jugés en 2008 au cours d’un procès où les victimes ne furent même pas indemnisées par la suite. L’intoxication dramatique créée par ces 581 tonnes de déchets (mélange de pétrole, de sulfure d’hydrogène, de phénols, de soude caustique et de composés organiques sulfurés !) ne sera bientôt plus qu’un vague souvenir
Sauf pour les populations contaminées. Mais qui se préoccupe de cet état de fait scandaleux ?… Trop peu de monde nous dit Japhet Magiotar qui refuse que l’Occident prenne son Afrique pour une poubelle.
Lisez cet album surprenant d’une très grande qualité graphique et dont l’image en couverture me semble faire un clin d’il à un autre cargo qui transportait une étrange cargaison de « Coque en Stock » dans ses flancs !…
Mongo Sisé, Mokanda Illusion, Paris, L’Harmattan BD, octobre 2012, 78 pages
Japhet Magiotar, Cargaison mortelle à Abidjan, L’harmattan BD, octobre 2012, 56 pagesBruxelles, 26 novembre 2012///Article N° : 11152
2 commentaires
J’apprécie beaucoup vos publications dans le domaine de la bande dessinée.
Merci de m’envoyer vos infos concernant les nouveautés
Grand merci et agréable week-end
Eric Pillat
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