L’association Les Indivisibles, après un an de transition, revient avec la célèbre cérémonie des Y’a Bon Awards, le 12 juin prochain au Cabaret Sauvage. Rencontre avec Amadou Ka, le nouveau président du collectif qui, par l’humour, dénonce la banalisation du racisme dans les propos des personnalités publiques.
Amadou Ka, vous êtes président de l’association Les Indivisibles. Vous succédez à Rokhaya Diallo et Gilles Sokoudjou. Pouvez-vous nous parler un peu de vous et de votre engagement dans cette association qui lutte depuis 2006 contre la banalisation du racisme par l’humour ?
J’ai adhéré à l’association en 2011. C’était une période où je cherchais à m’investir dans ce que j’avais au trip à savoir la lutte contre le racisme. Je cherchais surtout un espace où l’on discute de ce sujet et où je pourrais apprendre et mieux appréhender le racisme et la société qui m’entoure. J’ai donc cherché un point de chute et par un concours de circonstance, même si je ne crois pas trop au hasard, j’ai atterri aux indivisibles que je connaissais déjà pour avoir vu Rokhaya intervenir à la télé. Pour la première fois je voyais quelqu’un dire des choses auxquelles je souscrivais en totalité. Et le concept des Y’a bon awards me parlait beaucoup dans la mesure où les racisés n’agissaient non pas en victime mais en acteurs offensifs contre ce qui les touche ; les discriminations, la stigmatisation et en particulier de la part des véritables responsables, à savoir les élites.
Après un an d’absence les Y’a Bon Awards reviennent avec une édition prévue ce 12 juin 2015. Après plusieurs mois de silence, l’association prend-elle un nouvel envol ? Quels sont vos objectifs pour cette année ?
Si nous n’avions pas fait d’édition l’an passé, c’est tout simplement du au fait que l’équipe dirigeante avait changé et qu’il fallait un peu de temps pour que chacun puisse trouver ses marques. D’expérience, je savais que l’organisation des Y’a bons awards était énergivore, et il valait mieux consolider le travail d’équipe et prendre notre temps avant de s’y attaquer. Nos objectifs pour cette année restent identiques aux précédents : sensibiliser notre public sur la parole raciste et les préjugés ethno raciaux, sur les conséquences de ceux-ci, en espérant que ça pousse certains à s’engager dans la lutte. Mais aussi dénoncer dans le but de provoquer le débat, mettre en lumière ce racisme systémique qui continue de sévir en France.
Quelles sont les principales activités des Indivisibles aujourd’hui ? Combien de membres participent à son dynamisme ? Qui sont ces membres ?
Aujourd’hui, nous avons la possibilité d’ester en justice. L’association a plus de cinq ans, elle a donc la possibilité de porter des affaires en justice. Ce n’était pas possible avant. Nous nous réservons donc le droit de poursuivre en justice les personnalités médiatiques ayant dérapé plus ou moins violemment à la télé ou à la radio. C’est ce que nous avons fait avec Éric Zemmour qui avait évoqué la possibilité de déporter les musulmans de France. On ne pourra pas bien sûr tous les poursuivre, parce que nous restons une association aux moyens très limités, mais l’idée est de nous attaquer aux plus symptomatiques, aux plus symboliques de la parole raciste. Il fallait passer un cap dans la lutte contre le racisme, et la suite logique de la dénonciation est donc la justice.
Sinon, nous avons toujours notre groupe de veille médiatique, où le travail de collecte des citations racistes pour les Y’a bons se fait. Mais nous avons aussi un groupe d’écriture, qui organise des ateliers de réflexion et d’écriture sur le racisme et les préjugés. Pour le reste, nous réagissons sur l’actualité à travers des tribunes et nos différentes prises de positions au sein de collectifs comme récemment avec le meeting du 6 mars contre l’islamophobie pour ce qui est de la France ou la signature d’un texte dénonçant la non-sanction par le sénat de ce député italien qui avait insulté la ministre Cécile Kyengue de guenon. Nous essayons de nous internationaliser (rires)
L’association compte un peu moins d’une centaine de membres, mais une dizaine de membres actifs. Il y a une réelle diversité dans la typologie de nos membres. Des athées, des musulmans, des chrétiens, noirs, blanc, hommes, femmes
Nous avons une majorité de rien en y réfléchissant bien. Je crois qu’il ne manque que des androgynes chez nous !
Vous invitez à une marche contre le racisme le 21 mars prochain. En quoi consiste cette marche ? Avec qui ? Pourquoi ?
Le message et l’idée directrice de cette marche correspondent à l’idée que nous faisons du combat antiraciste. Le mot d’ordre est l’égalité ou rien et a vocation à réunir toutes les forces vives autour de la question de la justice sociale et l’égalité quelque soit l’organisation, les positions des uns et des autres sur le champ de l’antiracisme, de son positionnement politique etc.
Nous sommes apartisans dans la mesure où nous ne revendiquons aucune appartenance à une mouvance politique, que ce soit de gauche ou de droite, mais nous gardons notre liberté de nous associer à des initiatives que l’on trouve pertinente. Et celle-ci en est une.
Votre association milite depuis 2006 avec une veille médiatique et des communications sur la banalisation du racisme. Quelles évolutions dégagez-vous sur ce champ depuis 2006 ? Comment définiriez-vous le racisme aujourd’hui ?
Il est difficile de définir le racisme en quelques mots mais pour faire simple le racisme est une idéologie, un système politique de stratification raciale, typiquement incarné dans les sociétés esclavagistes et coloniales, dont les conséquences se lisent dans les discriminations, les ségrégations, les rapports de domination et les inégalités ethno-raciales encore à l’uvre dans les sociétés démocratiques contemporaines. Si à l’époque de l’esclavage par exemple, le racisme visait une population pour des raisons biologiques (le noir n’a pas d’âme et à une faculté physique qui peut être exploité pour le travail manuel), aujourd’hui elles sont d’ordre culturelles. On parle d’une civilisation supérieure à une autre et non plus d’une race. Ce racisme-là est en plein essor sous la plume d’un Renaud Camus, d’un Alain Finkielkraut, d’un Michel Onfray, d’une Elisabeth Levy ou d’un Claude Guéant. Cette idéologie là substitue l’idée de « supériorité culturelle » à celle de supériorité « raciale ». Elle peut être consciente ou inconsciente.
Comment le racisme se traduit il aujourd’hui dans les propos des politiques et des personnalités médiatiques ?
Comme je l’ai évoqué avant, on a à faire à un racisme culturel et non plus forcément racial dans les propos. Il est disons plus « acceptable ». Par exemple Manuel Valls va expliquer que les Rroms ont vocation à rentrer chez eux parce que leur culture n’est pas compatible avec la notre. Chez eux où ? Quelle culture française ? Où encore Nadine Morano dire sans rire qu’un bon musulman ça boit du vin et ça mange du porc. Elle utilise des traits supposés caractéristiques de la culture française pour dire que c’est cette culture qui est la seule valable, et que les « autres » non. Claude Guéant déclarait un jour que « toutes les civilisations ne se valent pas ». On ne peut difficilement faire plus explicite.
Vous avez épinglé plusieurs fois des propos de personnalités qui sont toujours des politiques, journalistes très présents dans les médias. Comment l’expliquez-vous ? (Zemmour, C. Fourest…)
Cela s’explique pour la simple et bonne raison que ces personnalités défendent une idéologie et le font avec constance. Et à cette constance il faut répondre par la nôtre. Si des personnes peuvent revoir leurs positions, sont ouvert à la discussion, ce n’est pas le cas pour certains qui sont dans une réelle défense d’un ordre établi, celui des dominants qui tentent coûte que coûte de maintenir leur position de privilégiés. Leurs surmédiatisation est tout de même un mauvais signe. Le débat parait déséquilibré médiatiquement mais des voix contraires et de plus en plus nombreuses se font tout de même entendre. Il faut garder cette constance pour espérer un jour inverser la tendance.
Comment vont se dérouler les Y’a Bon 2015 ? Avec quel jury pressenti ?
Ce sera comme pour les dernières éditions au Cabaret sauvage (Paris 19e). On va essayer encore, malgré la gravité du sujet, de mettre en avant notre touche décalé et satirique. Mais toujours dans le but de transmettre un message, user de notre droit à la liberté d’expression pour dénoncer ce racisme institutionnel. Mais aussi mettre en avant des initiatives et des associations qui uvrent sur le terrain pour imposer la justice sociale, et ce en mettant en place des stands où elles peuvent présenter leur travail. J’aimerais associer une association de défense des rroms par exemple.
Pour l’instant je ne peux pas encore m’avancer sur les jurys mais je peux vous promettre qu’il sera encore de qualité.
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