Les industries culturelles des pays africains et l’enjeu de la diversité culturelle.

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En 2004, l’association Culture et développement a réalisé pour l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) une étude considérable sur les industries culturelles des pays du sud. Le constat qu’elle dresse concernant la situation en Afrique est globalement alarmant. Si une capacité de production existe bel et bien, l’absence de stratégies économiques et de politiques publiques favorables empêchent les pays de saisir des opportunités de développement dans un marché mondial en pleine expansion.

Si l’adoption de la Convention internationale pour la diversité culturelle par les pays membres de l’Unesco constitue une avancée considérable, la réalisation de ses objectifs dépendra d’abord de la capacité des industries culturelles des pays africains à produire, distribuer et diffuser les œuvres correspondant aux attentes et à l’identité de leurs publics. Elle dépendra aussi de leur capacité à se confronter à la compétition internationale surtout lorsque les marchés ne sont pas protégés. Seule l’existence d’une production vivante et bien distribuée peut garantir la pluralité culturelle de l’offre, sans enfermement culturel ni inexistence sur les scènes du monde. Dans cette perspective, quelle est la place des industries culturelles africaines sur leurs propres marchés et sur le marché international ? Quels facteurs déterminent leur situation et leur compétitivité ? L’étude sur les industries culturelles des pays du Sud réalisée par l’association Culture et développement pour l’Organisation intergouvernementale de la Francophonie (OIF) et ses pays membres tente de répondre à ces questions.
Un marché encore largement dominé et peu structuré
Selon les statistiques des agences des Nations unies, la demande mondiale de biens culturels croît régulièrement depuis plus de vingt ans à des taux allant à 6 %. En conséquence, le dynamisme des échanges dans ces filières constitue, pour les pays du Sud, une opportunité à saisir pour bénéficier des retombées positives de la mondialisation. Toutefois, ce dynamisme des échanges mondiaux de biens culturels est très concentré et déséquilibré. Il se réalise entre un nombre limité de pays : les États-Unis, le Royaume Uni, l’Allemagne, la France, le Japon d’une part, et d’autre part, l’Inde, la Chine, le Brésil, le Mexique, la Malaisie, les Philippines, la Corée du sud, l’Égypte et l’Afrique du Sud. Les autres pays d’Afrique peinent à exister sur le marché mondial des biens culturels à part quelques exceptions musicales ou cinématographiques. Néanmoins, il existe dans certains pays africains une capacité de production dans les filières de la musique, de l’édition et de l’image confirmée par l’évolution positive de la production. au Burkina Faso, Mali, Sénégal, Gabon, Afrique du Sud.
En matière d’édition ou de musique, des pays comme la Côte-d’Ivoire, le Cameroun, le Sénégal, le Gabon, l’Afrique du Sud et le Mali ont connu des gains de compétitivité sur le marché international.
Dans le domaine de la musique, ces pays pourraient tirer parti de leur position croissante dans ce secteur à condition de mettre en valeur les niches comme les musiques du monde et les instruments de percussion où la demande est croissante et où ils connaissent un avantage relatif. Plusieurs pays disposent des capacités nécessaires à la réalisation de produits de qualité. Dans la majorité d’entre eux, de nombreux studios équipés de technologies numériques offrent des prix adaptés aux ressources des musiciens locaux. Toutefois, la phase de fabrication de disques est peu ou pas du tout assurée du fait de l’insuffisance d’installations et de personnels techniques. Ainsi, l’édition phonographique est concentrée sur les cassettes audio. Pour l’Afrique du Sud, qui dispose d’une véritable stratégie industrielle, les industries culturelles locales sont en mesure d’assurer de manière compétitive tous les maillons de la chaîne et d’offrir une production diversifiée.
L’activité audiovisuelle continue dans la majorité des pays d’Afrique subsaharienne à se limiter à la télédiffusion. En outre, la part de marché des télévisions publiques tend à se réduire au profit des chaînes diffusées par satellite. Du fait de leur faible budget programme, les chaînes publiques ont un très faible effet d’entraînement sur la production à l’échelle nationale et régionale. Cependant, au Burkina Faso, l’essor de la production des sociétés privées, grâce à une politique volontariste de soutien menée entre 1997 et 2002, a fait de ce pays un producteur important de programmes audiovisuels au sein des huit pays membres de l’Union économique et monétaire de l’Ouest africain (UEMOA).
La filière cinéma est encore plus soumise à la concurrence étrangère. Ainsi, la production nationale représente dans le meilleur des cas 1 % du marché national. La majorité des autres filières présentent les mêmes caractéristiques.
Quant au marché de l’édition, il se caractérise par la quasi inexistence d’entreprises spécialisées. Les activités de saisie, de prépresse et de distribution sont souvent assurées par les éditeurs ou les imprimeurs eux-mêmes. Ces pays disposent pourtant d’un nombre important d’imprimeries dont le développement est freiné par l’insuffisance d’infrastructures techniques nécessaires à la fabrication de produits éditoriaux intéressants pour leur viabilité économique.
En somme, la situation des industries culturelles en Afrique présente les caractéristiques d’un marché dominé, peu structuré et quasi ignoré par les politiques publiques nationales. Les industries culturelles des pays francophones d’Afrique subsaharienne sont handicapées par l’étroitesse des marchés nationaux, la taille démographique restreinte ou encore le faible pouvoir d’achat des populations. À cela, il faut ajouter la fragmentation linguistique et culturelle des marchés locaux ainsi que l’insuffisance d’infrastructures techniques. Tous ces facteurs limitent le potentiel de production et de diffusion des produits locaux et leur rentabilité.
En outre, résultant d’une représentation dépréciative de l’artiste, l’absence de statut d’artiste et la précarité de leur situation, liées à une faible culture du droit d’auteur, marginalisent socialement, politiquement et économiquement les filières qui les emploient.
L’exception sud-africaine
Par ailleurs, par manque d’environnement financier favorable et de personnels techniques adéquats, les industries culturelles d’Afrique subsaharienne ne peuvent pas encore assurer tous les maillons de la chaîne économique de la culture. Confrontées à des difficultés d’accès aux finances locales, les entreprises culturelles manquent de capacités à répondre à la demande locale et internationale. L’importation d’intrants à un prix souvent inadapté au prix d’achat local et le taux prohibitif des taxes alourdissent les coûts de production, pénalisent les filières entreprises culturelles et découragent l’investissement local dans ces filières.
En matière de promotion des biens culturels par exemple, l’insuffisance de professionnels de la mise en marché et l’absence de maîtrise des réseaux de distribution et de vente handicapent la diffusion des productions locales. Dans ces conditions caractérisées par un accès difficile aux publics et aux marchés, les technologies de l’information, grâce aux innovations qu’elles introduisent dans les modes de distribution, constituent un atout pour contourner certains des obstacles actuels.
Dans la majorité de ces pays, le piratage constitue une véritable industrie. En Afrique du Sud, il touche 33 % des revenus du secteur de la musique. Au Mali, neuf cassettes sur dix sont piratées et au Burkina Faso, 90 % des films sur support vidéo le sont également.
L’absence d’un environnement institutionnel adéquat freine le développement des industries culturelles d’Afrique par un régime douanier et fiscal pénalisant, l’insuffisance ou l’inexistence des politiques de soutien, l’absence d’une stratégie économique qui leur soit expressément consacrée. Et les États se privent ainsi des ressources qu’offrent les maillons où se réalisent de fortes valeurs ajoutées. Le potentiel productif, les obstacles à la compétitivité ainsi que les enjeux qui en découlent posent le problème du rôle de l’État en matière de politique culturelle, et singulièrement en ce qui concerne l’économie de la culture et des entreprises qui exercent une activité dans ces filières.
À l’exception de l’Afrique du Sud qui a élaboré une stratégie globale consacrée aux industries culturelles, aucun autre pays dispose d’une politique industrielle de la culture articulée à celles de l’emploi, de la formation, du commerce, de l’éducation. Néanmoins, le Burkina Faso, la Côte-d’Ivoire, le Sénégal et le Gabon ont élaboré des politiques sectorielles pour le cinéma, la télévision et la presse.
Le développement des industries culturelles africaines nécessite plus encore des actions de structuration du cadre juridique et institutionnel, d’accompagnement et de soutien aux entreprises culturelles. Pour contribuer à la création de richesses et d’emplois, les industries culturelles ont besoin d’un accompagnement global à travers des programmes de soutien économique et de conseil, comme en Afrique du Sud où le Comité « Arts and Culture Trust » élabore des programmes de développement des marchés et d’information sur le développement des publics. À ce propos, l’absence généralisée de données statistiques fiables est pleine de significations. Elle traduit l’ignorance de l’impact économique de la culture en même temps qu’elle reflète la faible volonté politique de mieux connaître les réalités de ce secteur d’activités pour en faire une catégorie nécessitant une intervention de la puissance publique.
Il est donc urgent pour les pays d’Afrique de participer eux aussi à la production de contenus représentatifs de leurs histoires et leurs aspirations culturelles, d’abord sur leurs marchés nationaux et régionaux, ensuite sur les marchés de niche en misant sur les opportunités qu’offre la mondialisation mais aussi les diasporas à la recherche de liens avec leurs cultures d’origine. Ce défi requiert des politiques publiques incluant la prise en compte des industries culturelles appelées à prendre une importance grandissante dans l’économie de la culture.

Les industries culturelles des pays du Sud, enjeux du projet de convention internationale sur la diversité culturelle par Francisco d’Almeida, Marie Lise Alleman, Bernard Miège et Dominique Wallon, pour le compte de l’OIF, Août 2004, Paris.///Article N° : 5796

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