Au cur de Brazza, en face du Centre Hospitalier Universitaire, se trouve la Place Obayoum, qu’aucun Maire n’a officiellement baptisée. Un certain personnage, haut en couleurs, en a décidé ainsi : cette place porte son nom.
Obayoum est un personnage atypique. Il exerce plusieurs petits métiers, dont celui de photographe. On dit aussi qu’il fut militaire, policier ou gendarme. Ce qui l’a rendu célèbre à Brazza, ce sont ses « pensées du jour » qu’il affiche sur un tableau au centre de la place. Une littérature moraliste, humoristique à souhait, forgée dans le sens des néologismes et des congolismes. Il prétend qu’il a déjà créé depuis la fin de la guerre de 1998-1999 plus de 1300 mots d’esprit, sentences et proverbes. Obayoum symbolise ainsi le besoin d’une prise de parole publique qui s’est emparé des habitants de la ville-capitale depuis l’avènement de la démocratie (1990-1991) et depuis les guerres qui ont ravagé les biens et les esprits
Dans une langue bien à lui, avec un style qui rappellerait le parleur-public traditionnel, celui dont la société craignait les foudres et le sens de la répartie, Obayoum fait circuler son regard narquois sur les bruissements de la vie urbaine brazzavilloise. Ici il fustige les braqueurs et les violeurs de femmes, là il applaudit un acte jugé noble, quand il ne s’attarde pas sur le visage d’un nouveau commerce de charmes féminins qui touche les jeunes filles mineures, qu’on appelle ici les « fioti-fioti ».
Ses avis sont sans appel. Il se donne la sérénité d’un personnage investi de vérité et de bon sens. Il est natif d’une terre où les prophètes font partie des meubles. Prophétiser, c’est enseigner l’avenir à ceux que le présent a déséquilibrés. Mais ce prophète-ci ne dit pas l’apocalypse, ses outils sont trempés dans l’humour. Parfois caustique, parfois gouailleur, il fait le jeu de la vie tout simplement, parce qu’il espère. Son inspiration se nourrit du quotidien et parle du quotidien. Sa parole est une parole de proximité. D’ailleurs, depuis quelques années, elle fleurit dans toute la ville de Brazza sous divers registres : dans les journaux satiriques, dans les chansons, dans les sermons des églises dites de réveil.
Quand une société rêve et tente de se construire une utopie, elle commence d’abord par inventer les mots : c’est par les mots qu’elle véhicule d’abord ses imaginaires. Obayoum ressemble à un personnage près du rivage qui fait de grands gestes pour calmer la mer démontée et commander aux éléments avec le minimum de moyens à sa disposition.
Dans un espace social où la guerre a sévi sauvagement, dire et parler deviennent des enjeux, des modalités imaginaires pour faire taire canons et rafales d’armes automatiques. Ces mots de la rue qu’Obayoum impose à notre attention ressemblent bien à des ordalies thérapeutiques qui se déversent sur une société post-conflit où les références ont volé en éclats et où chacun tente d’entretenir la mémoire en oubliant toutes les formes d’atrocités vécues, afin de croire à autre chose qui serait un avenir.
Morceaux choisis
– « Tout le monde veut aller au ciel, mais personne ne veut mourir ! »
– « La paix et la guerre sont les deux opposants, mais la paix triomphe toujours. »
– « Un chef d’Etat pour mieux commander et être en paix, il faut qu’il punisse sincèrement sans parti pris. »
– « La mode des portables dans notre pays commence à nuire aux foyers conjugaux. »
Matondo Kubu Turé est écrivain et sociologue. ///Article N° : 2110