Dans l’Égypte des Fari et en Afrique noire précoloniale, on a longtemps pratiqué le gouvernement par oracle ; tout comme l’on faisait appel à l’oracle dans la société gréco-latine (auprès du collège des augures dans la Rome antique, auprès de la Sibylle chez les Grecs) – pour sonder la volonté des dieux, procéder à l’état de ses lieux, assurer son quotidien et son devenir, et, surtout, pour savoir ce qui est autorisé (fas) ou interdit (nefas).
Toutes ces habitudes n’ont guère changé : on consulte toujours l’oracle aujourd’hui. Et le peuple – l’homme de la rue, qui forme foule, public, « anima » – n’est pas le dernier à savoir lire, à savoir décrypter les signes et à traduire la volonté des « dieux ». Au contraire, sa sensibilité éduquée le guette, le stimule ; son angoisse le renifle, épine ; et le voici qui quête, aspire
narines palpitantes, il vibrant ; et, agile, sait d’un bon mot cueillir ; d’un non-dit, substance ; d’un regard, d’un battement de cils, faillir ou défaillir
et ainsi de tout signe en humer le vent, en capter la couleur, en désigner le sens, avec une rare intelligence. Il a compris. Épiderme. Il peut ronfler : les « dieux » ont parlé. Et ne fera que fas. Voilà le peuple. Un certain peuple. Celui dont la fragilité et l’angoisse lui feront faire là où l’oracle lui dit de faire ; sa conscience s’en porte mieux. Pour cela il ne lui est pas de meilleure position que de s’allier aux « dieux ».
Et si l’on ajoute à cela qu’il n’y a pas d’attention sans idéation anticipatrice, sans expérience imaginative, sans préperception, on peut supposer qu’un comportement raciste se réclame presque toujours de l’attitude muette et approbative des autorités. Aussi les mouvements d’extrême-droite ont bon dos – boucs émissaires tout désignés, commodes aux calculs, à l’hypocrisie et à la bonne conscience de certains. Les responsabilités sont autrement partagées et vont bien au-delà de ces pitoyables maillons. Les vrais responsables des comportements racistes – les inspirateurs – évoluent dans d’autres sphères ; en contact direct avec une matière première qu’ils s’efforcent de modeler à leur guise (il suffit de tourner le flot d’un bouton, d’ouvrir le moindre dictionnaire ou ouvrage scolaire pour s’en approcher), ils sont à la source même du gauchissement des mentalités ; au gré des intérêts idéologiques, économiques et politiques, et afin d’asseoir aussi le pouvoir et « la supériorité » d’une rance et nostalgique vision, ils tentent de décider de la marche à suivre et d’infléchir le cours des choses et des êtres – en dépit des résistances d’une frange de la population. Ce sont eux qui soufflent et formatent les consciences. Le plus souvent ces inspirateurs ne sont pas des hommes politiques – qui ne sont que des relais – mais des intellectuels, des historiens
ces idéologues qui siègent à l’ombre des lieux vénérables, dits « Académies », « Universités », « Cercles », « Laboratoires », « Musées », « Églises », « Chapelles », « Loges », etc.
Aussi, dans ces conditions, quand les hommes politiques parlent d’éducation, de l’éducation du peuple, comme moyen de lutte contre le racisme, on touche bien un bout de vérité, mais on perçoit surtout l’inanité de tels propos ; c’est de leur propre éducation dont ils devraient parler avant tout (il n’est que de voir les « dérapages » plus ou moins contrôlés de certains ministres et dirigeants politiques – ces oracles supposés responsables et garants des plus hautes valeurs de la République). Quant aux lois
Comme les interdits, certaines lois se contentent de confirmer, a contrario, un état de faits et de désirs, d’indiquer le lieu et l’effet de jouissance – et les lois anti-racistes en font partie. Tout au plus servent-elles, concernant les manifestations sociales du racisme, à faire mesurer à chacun le degré de sacrifice éventuel et, partant, à limiter le nombre d’individus prêts à assumer cette charge émotionnelle.
Qu’on y prenne cependant garde, malgré la fascination des urnes, des calculs et du jeu : de même qu’il n’y a pas de dépassement sans inscription, de même la qualité du dépassement dépend de celle de l’inscription ; et si une nation peut se mesurer à la dimension de ses oracles, le peuple en est toujours le récepteur et n’aspire qu’à en être l’image – parfois jusqu’à la névrose, voire au-delà, jusqu’à l’éradication du JE-U dont la disparition conduit fatalement à un monde homogène et totalitaire. Un monde du silence et d’inhumanité.
///Article N° : 11879