Les poètes du bitume s’affichent

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Nourri aux influences internationales et locales, le rap camerounais fait bouger les jeunes.

Le début des années 80 marque les débuts du mouvement hip-hop. Mais il faudra attendre les années 90 pour le voir ressurgir, avec la poussée des antennes paraboliques et l’explosion de la télévision par satellite. Le phénomène reste encore circonscrit aux jeunes issus de couches relativement aisées, puisque ce sont eux qui ont l’occasion de voir ce qui se passe dans d’autres pays, d’être connectés à des chaînes de télévision étrangères, de s’acheter des CD, des vidéos, de voir des chaînes du câble qui diffusent en boucle les clips de leurs idoles.
Naissance d’un rap camerounais
Dans les lycées et collèges de Yaoundé, lors des soirées culturelles et autres kermesses, le mouvement prend petit à petit de l’ampleur, des jeunes plus au fait de l’actualité du hip-hop font des interprétations et miment leurs idoles à travers des play-back, au grand ravissement d’un public de plus en plus important. A l’époque, les idoles sont Run Dmc ou Public Ennemy qui constituaient l’essentiel de leurs interprétations.
Ce n’est qu’en 1992 que l’on voit enfin émerger des groupes dignes de ce nom, avec des formations rap qui s’attaquent aux textes et à la composition des musiques. Finie l’époque des interprétations et des concerts scolaires. Chaque groupe se donne pour ambition de créer ses propres  » beats  » et  » lyrics « . Parmi ces pionniers, UMAR CVM ( » Un monde aussi rebelle court à la verticale du mystère « ). (1)
Le groupe est créé par trois jeunes d’une vingtaine d’années, issus de familles pauvres, et pour qui il fallait faire la différence entre les attitudes violentes sur scène et leurs désirs profonds. « Nous pensons qu’en Afrique, nous n’avons pas besoin de violence pour faire le rap « . Le Old School, Mc Olangué, Magma Fusion, et autres Onde de Chock, Dirane Possee suivent le mouvement et constituent les principaux groupes de rap en cette période. Mais pour pas longtemps. Des problèmes internes dans chacune de ces formations conduisent à la rupture. Les uns et les autres se dispersent dans la nature, certains se lancent dans une carrière solo. C’est ainsi que, Joel Teek ancien membre des UMAR CVM, et Ra-Syn décident de chanter ensemble. De ce mariage de son et de raison naîtront certains des titres qui constituent l’album Allo Allo.
Apparition d’un mouvement rap
De cette première vague de rappeur, seul Négrissim, qui évolue désormais à Dakar au Sénégal, semble ne pas avoir subi l’influence du temps, et se porte bien sur la scène musicale africaine. Avec la dislocation des premiers groupes, de nouveaux prennent le relais.
A partir de 1997, Alex Siewé, animateur radio et accessoirement producteur de spectacles, propulse le mouvement rap en mettant sur pieds les Nuits du rap, les Sundays Rap Show. Un concept qui consistait à organiser, à l’espace African Logik de Yaoundé, des concerts de rap tous les dimanches. On y retrouvait alors les jeunes venus de plusieurs coins du pays. Quelques années plus tard, Rap ta cité est lancé dans les quartiers à l’occasion de la fête de la musique. Mais le véritable élan survient avec la création de l’association Axe jeunes, dirigée par Hans Mbong. Dynamique et volontaire, cette association essentiellement constituée de jeunes ayant contribué lors des précédentes célébrations, organise des concerts à travers le pays, et met sur pied, en collaboration avec la coopération française et le Centre culturel français de Yaoundé, le concept  » Ça me dit rap « .
Pendant deux ans, chaque premier samedi du mois, on retrouvait tous les rappeurs du pays au CCF, à l’occasion d’un concert. Pour Hans Mbong et son équipe,  » c’était l’unique occasion que nous avions de promouvoir ce rythme. Etant donné que nous étions conscients du fait que nos invités n’avaient généralement pas assez d’argent, nous essayions de donner une rémunération allant de 50.000 à 300.000 FCFA « . Ainsi, le jeune public et les observateurs de la scène rap découvrent avec joie Ak Sang Grave, le Bantu Po Si, Big B-Zy, Kundé Yala, C-minaire, Zone H et autres Tribunal qui, lors des concerts organisés un peu partout au Cameroun, les enflamment. Au vu du succès que remportent ces quelques formations, plusieurs autres groupes voient le jour. Désormais, on en compte près de 400, dans les seules villes de Yaoundé et Douala.
Influences multiples
Le rap camerounais réunit les différentes tendances du mouvement international : ragga, style français, style américain, old school, underground. Mais au-delà de ces influences extérieures, certaines sont profondément locales. C’est ainsi que, chez les chanteurs rap de la ville de Douala, on note un net engouement pour une expression en langue locale. C’est le cas de Big B-Zy, et du Bantu Po si qui, dans leurs textes, s’expriment en douala ou en bassa, deux langues du pays.
Hans Mbong explique :  » Les gars de Douala sont, dans la plupart des cas, issus de familles pauvres, vivent ou ont vécu dans les sous-quartiers. Pour cette raison, on retrouve dans leurs textes des préoccupations qui intéressent le public. Ce qui est tout à fait différent à Yaoundé où, les premiers gars venaient plutôt de familles aisées. De ce fait, ils se sont focalisés sur les influences étrangères. Ainsi, dès le départ, ils se sont lancés dans la transposition des problèmes que chantent les rappeurs étrangers, et dans quoi leur public ne se retrouve pas, contrairement justement aux gars de Douala qui drainent les foules à cause des choix de leurs textes.  »
Se mettant hors de la sphère d’influence de leurs aînés  » qui s’identifiaient aux chanteurs étrangers « , des chanteurs de la nouvelle vague à Yaoundé (Ra-Syn, Joel Teek, Ak Sang Grave et Crotale) essaient tant bien que mal de se rapprocher de leur public, en composant des textes plus proches des réalités locales.
Production difficile pour la  » musique des voyous « 
Les conditions de développement du rap au Cameroun sont bien pauvres et, pourtant, son public ne cesse de croître. Les moyens techniques sont très limités : il y a peu de matériel et il est souvent très cher, inaccessible. En 1994, pour tenter de remédier à ce problème, certains rappeurs se sont retrouvés autour du Djambula House, qui est en quelque sorte une  » coopérative du rap  » regroupant les groupes Tchek V., Cité M, Hearen State, Kevin Kastel, Vegance (un groupe féminin) et qui leur permettait alors de partager du matériel.
Mais malgré la volonté des chanteurs, il leur est encore difficile de sortir du cadre des petits concerts organisés dans les arrières-salles. Sur les centaines de groupes que l’on compte au Cameroun, seule une dizaine a des albums sur le marché. Et parmi eux, quatre à peine peuvent se vanter d’être connus. La production et la diffusion du rap au Cameroun sont quasiment inexistantes. Les producteurs locaux ne s’intéressent pas à ce style musical qui fait toujours mauvaise presse. Rappeur est encore synonyme de voyou. Les concernés balaient ces arguments d’un revers de la main. Yan Jc, chanteur rap se révolte :  » Regardez un peu dans tout l’univers musical camerounais. Que ce soient les chanteurs de makossa, de bikutsi, de mangabeu et autres, peu ont dépassé la classe de troisième. Et souvent, ils sont incapables d’aligner une phrase correcte. Chez les rappeurs, ce n’est pas le cas. La plupart sortent des universités et ont au moins fait tout leur cycle secondaire. Tant pis pour les gens qui persistent à croire que nous sommes des vauriens parce que nous nous habillons en jeans et que nous parlons en argot pour nous rapprocher du peuple.  »

(1) cf. leur interview dans Africultures 15, p. 104-109, et l’article de Gervais Nitcheu dans Africultures 21, p. 32-35.///Article N° : 3521


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