Présentée au Centre culturel français (Ccf) de Yaoundé le 19 novembre 2006 dans le cadre des Rencontres théâtrales internationales du Cameroun (Retic), la mise en scène de l’Ivoirien Vagba Obou de Sales décrit la trajectoire initiatique d’un enfant dans les dédales d’une guerre civile en Afrique et pose le problème d’intégration des enfants-soldats dans la société.
Il est un combattant rebelle, entré dans la guérilla à l’âge de huit ans. Colonel Hitler Mussolini (Fargass Assandé) est son nom dans la rébellion. Arrêté lors de l’attaque d’un village et emprisonné, il est là, sur la scène, recroquevillé sur des caisses cubiques en bois de couleurs blanches et noires, ses lèvres remuent, mais il n’en sort aucun son. Devenu insensible à sa douleur et à tout ce qui l’entoure, il refuse de sortir de sa pensée. Tels les chefs Akans de Côte-d’Ivoire, qui préfèrent mourir plutôt que d’être humiliés, il se mure dans son silence pour s’autodétruire. Car, prisonnier, il est conscient de sa mort imminente.
Elle est avocate (Maïmouna N’diaye), au sein de cette jeunesse en perdition. Grâce à l’argent de la guerre, elle a réussi car, son père pactise avec la rébellion armée. C’est elle que la cour commet d’office pour défendre le prisonnier. Craintive au départ, elle va le sortir progressivement de son mutisme lui offrant des cigarettes et lui proposant des sandwiches pour installer une atmosphère conviviale. Seulement c’est un marché ; Hitler Mussolini doit lui raconter son parcours d’enfant soldat.
Écrite pendant les Récréatrales 2003 à Ouagadougou au Burkina-Faso, L’il du cyclone du dramaturge Espagnol Luis Marques pose la problématique des enfants soldats en Afrique. Ce sont eux qui constituent la main-d’uvre de la guerre à faible coût partout où il y a des guerres en Afrique. Si l’on ne sait rien faire d’autre que tuer, le chemin de la rédemption est-il possible ?
L’emprisonnement d’Hitler Mussolini est exceptionnel. Il sert de prétexte pour analyser le mental d’un enfant-soldat. On n’arrête jamais un rebelle, on le tue pour qu’il ne parle pas. C’est la loi de la guérilla. Dehors, tout bouillonne autour de lui. Politiciens et rebelles en état d’alerte, transforment le pays en véritable cyclone. Va-t-il briser le signe indien en rompant le silence ? Oui. Car, le face-à-face l’opposant à l’avocate, ressemble à une bataille réelle en temps de guerre qui se transforme progressivement en tête à tête où les révélations sont effroyables et impressionnantes.
Cet il du cyclone que Vagba Obou tente de construire par la scénographie de Papa Kouyaté est en fait une prison. Elle est matérialisée par des caisses cubiques qui forment le lit du rebelle, une chaise visiteurs renversée qui signifie le refus de toute communication et un seau noir en guise de latrine. Dans cet univers carcéral, les comédiens de la Compagnie ivoirienne Ymako Théatri transportent le spectateur dans les méandres des guerres fratricides et les exactions des enfants soldats dans les champs de bataille. » Quand tu tues une fois, c’est facile de recommencer (
), on nous a formés à tuer (
), toute tentative d’évasion est passible d’exécution par les chefs (
) « .
Le metteur en scène crée un huis clos dans lequel se font face deux jeunes gens d’une même génération qui ont grandi dans des conditions opposées. Mais au-delà de leurs différences sociales, ils réalisent qu’ils sont victimes d’une jungle politique sans idéaux. Les politiques les utilisent pour servir leurs intérêts personnels, pendant que leur progéniture mène une vie dorée. Cette dualité presque antinomique s’exprime également dans les costumes des comédiens. Tricot sans manches et pantalon usé pour le rebelle, et tailleur pour l’avocate. Vagba Obou montre à travers les symboles de la cigarette (drogue) et du nom Hitler Mussolini (cruauté suprême), combien il est difficile de résoudre le problème des enfants-soldats.
Fargass Assandé qui a remplacé Simon Aka (Hitler Mussolini) et Maïmouna N’diaye font corps avec leurs personnages. La tension et l’émotion montent au fil de l’évolution de la pièce, rehaussées par les éclairages rouges laissant augurer du drame à venir. La dernière scène, l’étranglement de l’avocate, est d’un réalisme accru, car le crime est immuable en ces enfants. Humains au départ, ils sont devenus plus sanguinaires qu’une bande de lycaons.
Fiche Artistique
Texte : Luis Marques
Mise en scène : Vagba Obou de Sales
Distribution : Fargass Assandé
Maïmouna N’diaye
Scénographie : Papa Kouyaté
Régie : William Brou///Article N° : 4693