Ma mère et moi

De Brahim Metiba

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Brahim Metiba vient de publier son premier ouvrage, Ma mère et moi en ce début d’année. Ce roman décrit le dialogue rompu entre le narrateur installé à Paris, d’origine algérienne et sa mère, restée au pays. À travers la lecture du Livre de ma mère d’Albert Cohen, il tente de resserrer ces liens et d’aborder les questions difficiles de la sexualité, de la religion et de la différence.

« J’ai quitté un système étouffant. Une pensée étroite et figée. J’ai voulu plus de liberté. Le changement a été dur », explique le narrateur de Ma mère et moi originaire d’Algérie. Classé dans les « récits », cet ouvrage peut aussi être rangé dans les autofictions. Le narrateur possède un « pendant réel » explique pudiquement son créateur Brahim Metiba. Il peut-être rapproché de l’histoire de son auteur, son parcours et ses réflexions, même si l’histoire est romancée. Dans un bar place de Clichy à Paris, le trentenaire aux cheveux poivre et sel, élégant dans sa veste de costume, raconte.

Né à Skikda en Algérie, il grandit dans une famille modeste et fait des études d’informatique à l’université de Constantine. À 23 ans il décide de partir pour la France : un peu à cause du chômage, beaucoup « pour faire [sa]vie ». Arrivé à Paris, il enchaîne les périodes de travail et d’inactivité. Il en profite pour reprendre ses études, une année en philosophie et une autre à l’école du Louvre, prestigieux établissement qui dispense des cours d’histoire de l’art, d’archéologie, de muséologie… Ce parcours peu commun lui permet d’approfondir les réflexions qu’il a déjà en tête avant son départ d’Algérie.

Assis en terrasse, Brahim Metiba avance dans son cheminement. Il évoque la différence en Algérie, le rejet ou l’auto-exclusion. À son arrivée à Paris, il découvre la « différence visible », au contraire de son pays d’origine où l’on cache l’altérité au profit de la mise en avant d’une norme commune. Ce constat relance ses questionnements : qu’est-ce que la différence ? Qu’est-ce que la différence culturelle ? Qu’est-ce qu’une culture ? Pourquoi y a-t-il différentes manières de croire en Dieu ? « Je me suis rendu compte que toutes ces réflexions pouvaient être ramenées à mon rapport à ma mère. Au sein d’une famille, il se passe déjà ce qui se passe dans une société », souligne-t-il. C’est donc après une dizaine d’années, que Brahim Metiba écrit Ma mère et moi et qu’il décide de tracer le dialogue entre une mère, musulmane, traditionaliste, et son fils qui ne se sent pas en phase avec cette culture, dans ce qu’elle a de fermé et de conservatrice. « Ma mère demande pourquoi j’ai du mal avec le ‘’nous » lorsque je parle des musulmans. Ma mère dit que c’est pourtant plus simple, il y a ‘’nous », puis il y a ‘‘eux », […] Je dis que ça n’a rien de simple […] Je dis que je suis aussi dans les ‘’autres » », tente d’expliquer le narrateur. La réponse est sans appel : « Ma mère dit : ‘’Tu as changé » ».

« La littérature, j’y suis arrivé par nécessité »

Le narrateur déclare : « Je dis que je souhaite la retrouver, que je veux discuter avec elle, que nos systèmes s’excluent et que nous ne sommes jamais ensemble. […] Ma mère dit : ‘’Mais nous sommes ensemble ». Je dis : ‘’Non. » » Ne sachant trouver les mots, il décide alors de lui lire Le Livre de ma mère d’Albert Cohen, paru en 1954, où l’écrivain suisse de culture juive rend hommage à sa mère décédée peu de temps auparavant. Il y rapporte ses réflexions et ses souvenirs, ses sentiments et ses regrets. Ainsi pendant 23 jours, le temps de la lecture de ce roman, le personnage principal de Ma mère et moi tente en vain de renouer le contact perdu avec sa mère du fait de son départ volontaire à Paris mais aussi de l’écart intellectuel et spirituel qui s’est creusé. « Ma mère veut parler du mariage. Elle dit que » la mère d’Albert Cohaire » a raison. Ma mère dit : »Il faut se marier. » J’essaie d’utiliser le langage de ma mère. Je dis : »Le plus important c’est d’être heureux. » »

Ma mère et moi a été conçu comme « un système de pensée », décrit Brahim Metiba. Avec deux thèmes principaux : « la religion dont le rapport entre musulmans et juifs et l’homosexualité. » En effet, la lecture du livre d’Albert Cohen pose à plusieurs reprises au cours du récit la question du lien entre judaïsme, islam et athéisme. Le personnage de la mère de Metiba fait preuve d’un manque de tolérance envers la culture juive par préjugés et méconnaissance. Le narrateur tente de lui montrer que malgré une religion différente, l’amour entre le fils et sa mère est le même. Et il prend l’exemple du couvert vide à table à la place du fils absent, tradition que les deux mères ont observé après leur départ. « Dans cette recherche du vivre ensemble, il y a peut-être un plaidoyer pour la création. Le pendant d’une violence qui existe dans le monde musulman, c’est peut-être aussi la création littéraire notamment dans la fiction », avance modestement l’auteur.

La sexualité est aussi un sujet important même s’il n’est qu’évoqué ou sous-entendu. « La littérature, j’y suis arrivé par nécessité, à l’écriture en général par la découverte de mon homosexualité, très tôt. Dans un pays musulman, avec la difficulté que cela comporte », raconte Brahim Metiba toujours d’une voix posée. En effet, en Algérie si l’homosexualité est parfois tolérée, elle reste tout de même selon le code pénal un délit. Tout « coupable » d’acte homosexuel peut être sanctionné d’une amende voire même d’une peine d’emprisonnement. Plus largement, l’homosexualité reste un tabou dans un grand nombre de familles. Avec la sortie de Ma mère et moi, l’auteur affiche donc sans complexe sa préférence sexuelle mais il insiste, « ce n’est pas un coming-out ». Malgré tout, « il y a eu une petite crise à la sortie du livre dans ma famille. » L’exposition au grand jour de son homosexualité a froissé une partie de son entourage familial.

Musicalité des voix

Aujourd’hui, si les rapports se sont réchauffés, « la parole n’est toujours pas là et je ne pense pas que cela arrivera un jour, explique-t-il. C’est comme ça, les différences sont irréductibles. » Mais Brahim Metiba parle sans colère et sans rancœur. La tendresse transpire lorsqu’il parle de sa mère, de sa famille, de l’Algérie. Ma mère et moi tente d’apporter des solutions à la rupture du dialogue. Mais elles ne fonctionnent pas comme telles dans la réalité, ainsi que l’auteur le souligne : « Ce n’est pas une lettre, ma mère ne sait pas lire. » C’est pourquoi le choix de la fiction fait sens, souligne-t-il, car elle permet tout. À travers ce livre, des moments de joie et de tendresse réussissent à naître.

Ce petit objet littéraire est un condensé d’émotion. Une histoire simple comme la décrit son auteur, à la dimension universelle. Le lecteur ne peut en effet s’empêcher de s’identifier à ces deux personnages très peu décrits, peu incarnés, enfermés dans leurs incompréhensions, qui trouvent un équilibre lors de quelques instants éphémères, le temps d’une glace, d’une balade sur le front de mer ou lorsqu’ils chantent Warda.

Warda, cette célèbre chanteuse populaire algérienne décédée en 2012, plusieurs fois citée, représente la musicalité qui parcourt l’ensemble de cet ouvrage. L’écriture est épurée, dépourvue de superflu. Elle va directement à l’essentiel. La lecture est rapide, chantante. Les phrases pourraient presqu’être scandées. « Les répétitions, les rythmes et les harmonies sont vraiment les caractéristiques d’une musique, précise Brahim Metiba. Comment faire vivre ensemble ces deux personnages tellement différents, aux voix discordantes ? La réponse est dans la musique. À l’intérieur du texte, c’est au moment où ils chantent que leurs voix s’harmonisent et que l’on arrive à un apaisement. »

///Article N° : 12922

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