« Madame Bulldozer : de ville en politique

Entretien de Christiane Rafidinarivo avec Lalatiana Ravololomanana

Propos recueillis en 1997 et en 2002
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Lalatiana Ravololomanana est un des leaders des mouvements ayant renversé Didier Ratsiraka en 1991. Elle devient conseiller de Guy Willy Razanamasy, Premier ministre de 1990 à 1993, dont la maison a été pillée par les manifestants en mars 2002. Quand celui-ci devient maire d’Antananarivo, elle fait partie de son cabinet. Elle est alors surnommée Madame Bulldozer lors de son action d’assainissement du marché d’Antananarivo en 1997, qui passait alors pour brasser un chiffre d’affaires de un milliard de francs malgache par grand jour de marché, le vendredi. Cela lui vaudra sa nomination de Secrétaire Générale de la Ville en 1998. Candidate aux municipales de 1999 face à Marc Ravalomanana, elle le critiquera sévèrement au point de susciter la rumeur qu’elle considérerait celui-ci comme son ennemi n°1. Elle est conseiller de Didier Ratsiraka, membre de ses délégations dans le cadre de la médiation de l’OUA lors des événements de 2002. Entretiens avec une femme en parcours politique, marqué par la transformation de l’espace de marché en politique de ville et enjeu de présidentielles.

1997
Comment êtes-vous venue en politique ?
Je suis professeur de philosophie au lycée Jean-Joseph Rabearivelo. Je suis née d’une famille très politique. J’étais au MONIMA(1) dès l’âge de quatorze ans. Après mon baccalauréat en 1977, je suis partie faire mes études à Tuléar. J’étais alors de la première promotion de cette université provinciale que l’on venait d’instituer dans un esprit de décentralisation. Cela me rapprochait des racines mêmes du MONIMA. Mais la fracture du parti étant consommée, je n’y ai pas été admise. Mon idéal politique en a reçu un coup. Je faisais partie d’une association de natifs Ambaniandro(2) mais ça tournait au conflit ethnique. C’est pourquoi j’ai rejoint le MFM(3) en 1978. Je m’y sentais à l’aise car c’était  » cosmopolite « .
Comment êtes-vous devenue proche de Guy Willy Razanamasy ?
Lors des luttes populaires de 1991(4), j’étais très engagée. J’en ai été un des intellectuels. Dans les négociations, j’ai été repérée par Guy Razanamasy. Je suis la fille adoptive de Germain Rakotonirainy, leader MFM, qui est son gendre par alliance. Je suis devenue conseillère permanente du Premier Ministre Razanamasy par la suite et j’ai réalisé beaucoup de choses avec ses fils. Quand il a été élu maire d’Antananarivo, j’ai naturellement collaboré avec lui.
Qu’est-ce qui marquera votre action à la mairie d’Antananarivo ?
Quand nous sommes arrivés à la mairie, la priorité des priorités était la reprise en mains de la capitale et du capital. Il y avait un grand laxisme à l’administration. Il y avait aussi un tel népotisme que l’on se croyait revenu à la colonisation. Guy Razanamasy a été élu sur trois S :  » Santé, Scolarisation, Sécurité « . Le marché du zoma était un énorme problème de sécurité lié à deux contraintes : l’espace et la légalité. Il y avait 3000 places pour 6000 marchands recensés. Le marché hebdomadaire est devenu un marché permanent. L’informel, la délinquance, voire le crime, y régnaient en plein cœur de la ville. Il y a 2000 marchands déclarés pour 15000 identifiés ne payant pas de patentes et sans papiers en règle. Il n’y avait pas d’administration municipale, il n’y avait que des dettes, la désobéissance et l’incivilité. Je veux assainir pour que le projet du  » Grand Tana  » avance.
La presse dit que  » l’objectif final est l’éclatement du grand zoma, le plus grand marché à ciel ouvert du monde  » (l’Express 01/03/97). Quelles en seront les conséquences ?
Nous avons obtenu un don non remboursable des Japonais pour réhabiliter l’Avenue de l’Indépendance et les rues adjacentes. La condition est d’enlever les marchands de là au plus vite. Nous négocions un budget avec le FED(5) pour délocaliser le marché. Qu’il soit éclaté en marchés de quartier.
On évalue à un milliard de Francs malgaches le chiffres d’affaires du zoma du vendredi. Il joue le rôle de grossiste pour le pays entier. Les marchands soulignent que pour eux il s’agit d’un combat vital car ils n’ont pas d’autres sources de revenus (l’Express du 06/03/97). 7% seulement de la population active est salariée et  » il ne faut cependant pas oublier que au-delà des conflits d’intérêts entre entités, il y a un formidable problème humain de survie  » (l’Express du 01/03/97). Est-ce que l’assainissement seul répond à tout cela ?
Tout est politisé. Quand on a voulu régulariser les situations, les gens n’ont pas supporté. Cela a été la grande bagarre. Il a fallu faire du forcing. Nous mettons en place une action avec les associations riveraines des places réhabilitées pour que la ville reste propre grâce à la démocratie participative.
On vous a surnommé la Dame de Fer, Lalatiana Bulldozer, dictateur. Qu’en dites-vous ?
 » Il faut beaucoup de volonté politique ; que je n’ai pas, pas assez, de pouvoir « .
Février 2002
Qu’êtes-vous devenue depuis nos derniers entretiens, il y a cinq ans ?
Je me suis présentée aux élections municipales de 1999. J’ai demandé la bénédiction de M Razanamasy. Il soutenait Marc Ravalomanana. Quand celui-ci a été élu, j’étais très choquée de la passation qu’il a dite en public comme quoi, il était heureux que cela se passe entre nobles.
Après avoir été un des fers de lance de l’opposition, vous faites aujourd’hui partie de la délégation de Didier Ratsiraka négociant avec celle de Marc Ravalomanana sous l’égide de l’OUA et de son secrétaire général Amara Essy. La rumeur dit que Marc Ravalomanana est votre ennemi n°1 ?
J’ai critiqué tout ce qui ne m’a pas semblé normal. Le Président de la République(6) m’a fait l’honneur de me faire confiance.

1. MONIMA : Parti nationaliste de Monja Jaona, ancré dans le sud , dont le leader est actuellement son fils.
2. Ambaniandro : originaire d’Antananarivo
3. MFM : Parti de Manandafy Rakotonirina, actuel conseiller spécial de Marc Ravalomanana. En 1978, c’était un parti aux idées de gauche, fondé sur la mobilisation du prolétariat urbain. Il a défendu par la suite la libéralisation du marché.
4. 1991 : six mois de grève généralisée qui a aboutit au départ de Didier Ratsiraka, à l’avènement de Albert Zafy et de la IIIème République
5. FED : Fond Européen de Développement
6. Ndlr : Didier Ratsiraka
///Article N° : 2975

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