Mali Hip Hop

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 » Avant le rap, il n’y avait que la musique de griots. Maintenant, pour qu’ils remplissent une salle, il faut qu’ils y mettent tout leur syndicat. Nous on la remplit en un rien de temps  » explique un jeune rappeur de Bamako où depuis quelques temps les fêtes sont désormais rythmées au son du hip hop.

Tombouctou, 16 heures, c’est le  » petit soir « , un jour sacré de la Tabaski, la fête de l’Aid. Les jeunes ont rendez vous aux portes de l’unique salle de spectacles de la ville pour un concert de rap donné  » au profit de la lutte contre le sida  » et qui va commencer bientôt. Mais avec au moins 1 heure de retard. Tout juste le temps de négocier le prix des places.
Les rares toubabs,  » les blancs « , de passage sont ravis. D’habitude imprégnés d’images folkloriques, ils assistent dans cette ville historique du fin fond du Mali, frontière entre brousse sahélienne et désert saharien, à une scène qu’ils n’auraient pas soupçonnée ici : un défilé d’adolescentes touaregs vêtues à la mode des clips R’NB afro-américain et de garçons en pantalon  » baggie « . Image insolite, certains ont gardé le boubou traditionnel, avec baskets aux pieds et casquette à l’envers.
Le ton est donné mais le son ne suit pas toujours. Matériel de qualité moyenne et rappeurs débutants, il faut pourtant faire avec. Car la vague hip hop a bien déferlé sur le Mali.
C’est dans la seconde moitié des années 90 que le rap a pris de l’ampleur, finissant par rivaliser dans les discothèques avec la très dansante et populaire musique zaïroise. Exit vestes chics et chaussures vernies. Un paradoxe :  » avant le mouvement était timide, et le rap français et américain était surtout écouté des enfants de riches  » explique Moustapha Diallo, 25 ans, un coordinateur de Balani’s Vibes Production. L’association, créée à Bamako en 1998, et soutenue par le Ministère de la culture, a organisé les premiers concerts de rap au Mali, propulsant des groupes locaux sur scène. A Bamako, pas une semaine ne se passe sans que la radio relayée par des affiches n’annonce un grand show. Même pour la catholique fête du 25 décembre fut créé son évènement :  » Rap’à Noël « .
Depuis quelques années, l’ORTM, la télévision nationale, propose chaque samedi après midi  » Génération 21 « , une émission hebdomadaire spéciale rap, première du genre en Afrique de l’Ouest. N’ayant pas toujours de quoi la meubler, son animateur, Abba, 24 ans, a décidé de faire  » de ce manque de moyen un style  » et de s’ouvrir sur la vie des jeunes de Bamako :  » par exemple, lors d’une émission, on a tout simplement filmé dans la rue un grin.  » Cette réunion  » causerie  » entre amis du même âge autour du thé est une scène très courante dans les rues de Bamako. Elle traduit souvent l’ennui et le désœuvrement parmi les jeunes.  » On a essayé aussi de faire rêver les gens, en organisant l’anniversaire d’un groupe de rap dans une villa de luxe  » ajoute Abba. Car le Mali est l’un des pays les plus pauvres du monde. Difficultés d’accès à l’éducation, salaires très bas, beaucoup de jeunes s’imaginent que le rap peut les aider à s’en sortir. Question de mode aussi, les groupes se sont multipliés à Bamako mais également à Kayes, Sikasso, Gao et Tombouctou. Ils s’appellent  » Fanga Fing  » (Force Noire),  » Amkoulel  » (l’enfant peul),  » Magic Black Men  » ou  » Tata Pound  » (le Rempart), s’expriment dans la langue nationale, le bambara, font des tournées régionales à la rencontre de leurs fans et dédicacent leurs disques dans les boîtes de nuit chics de la capitale.
Peu émancipées, les filles n’osent pas encore s’intégrer dans ce mouvement principalement masculin. Dénée, 22 ans, est l’une des rares chanteuses à prêter sa voix pour accompagner des groupes de rap :  » les gens sont étonnés de voir une fille chanter autre chose que du folklore et de surcroît seule sur scène « .
Lourd encore est le poids des traditions. Le Mali les défend et protège sa culture de chansons de griottes et de musique mandingue. En référence à cela, beaucoup de groupes de rap utilisent des instruments traditionnels tels la cora et le balafon. Les  » Zion Be  » poussent l’originalité jusqu’à revêtir dans leurs shows des tenues bambaras en bogolan.  » Le rap malien n’est pas violent. Il s’inspire beaucoup d’ici, c’est à dire des griots et de la musique de chasseurs « , dit Baraka One, un rappeur des  » Zion Be « . Parce qu’ils ont en point commun ce flot incessant de paroles, certains vont jusqu’à avancer l’idée que la musique de chasseurs, très ancienne, serait à l’origine du rap, via la déportation des Noirs sur le continent américain.
Mais pour les jeunes, le rap est surtout un moyen de dire ce qu’ils pensent de leur société minée par les problèmes. Florilège de phrases faisant allusion à la corruption  » les 500 fcfa qu’on donne aux flics que ça s’arrête « , à la pauvreté  » où sont passés les sacs de riz « , aux années blanches à l’université  » génération plongée dans l’ignorance la plus complète, futurs cadres sans formation « , et au sida. La première cible est la classe politique, jugée responsable de ces maux.  » Plus de santé morale « , réclame le trio  » Tata Pound « , l’un des groupes les plus contestataires de Bamako. Ils sont devenus tellement populaires qu’on les appelle  » les défenseurs du peuple « .  » Des gens, jeunes et vieux, viennent nous voir ou nous arrêtent dans la rue pour nous suggérer de dénoncer telle chose et de parler de leurs problèmes. Même des flics le font  » explique Djo Dama. Dans leur dernier album, le groupe a dédié un titre  » Président Cikan « , à l’actuel président de la République Ahmadou Toumani Touré. Celui-ci avait invité le trio pour l’officielle  » journée des meilleurs élèves de la rentrée « , au palais présidentiel de Koulouba.  » Président écoute ce message, si tu ne sais pas gouverner, va t’en !  » dit le refrain. Le message fut reçu poliment.  » Le président a fait d’une bombe nucléaire un feu d’artifice « , déplore l’entourage du groupe.
Certains partis politiques ont tenté d’exploiter le phénomène rap en proposant à des groupes d’animer leur campagne lors des dernières élections présidentielles, en 2002. Les jeunes, qui représentent plus de 50 % de la population malienne, constituent effectivement un électorat de taille. Mais pour ne pas décevoir leur public, la plupart des rappeurs ont refusé cette récupération.
Ils savent que chez eux, la conscientisation des jeunes passe plus par la musique que par les livres. D’ailleurs, pendant un temps, Balani’s publiait  » Raplecture « , un magazine qui devait promouvoir la lecture chez les jeunes et contribuer à l’amélioration du français. En 2000, au moment des élections, le groupe  » Rage  » avait fait un morceau intitulé  » Votemania « , pour encourager les gens à aller voter. Au Mali, le rap, c’est aussi un vecteur d’éducation.
Les rappeurs maliens rêvent de carrière internationale mais ne se sentent pas à la hauteur de leurs homologues sénégalais qui, eux, sont déjà reconnus.  » Les jeunes manquent de formation musicale et les studios, plutôt spécialisés dans la musique traditionnelle, font des arrangements qui ne sont pas très bons  » dit Toumani Sangaré, un jeune réalisateur de clips. Le groupe  » Ki Baru  » est responsable du tout nouveau studio de la radio privée Kaira de Bamako :  » avant, quand on allait dans les autres studios, on nous disait faites vite votre bavardage ! Mais ici, c’est la maison des rappeurs « . Ce qui n’empêche pas certains groupes de partir au Sénégal ou au Burkina Faso pour enregistrer dans des studios qui coûtent 2 fois moins cher qu’à Bamako et où  » l’esprit rap y est « . 
En attendant,  » Fanga Fing  » dépasse les tabous, parle de l’amour  » on se marie, illico, on se taille, à Hawaï, le champ’ coule à gogo « , et remplit de son fan club la monumentale salle du palais de la Culture de Bamako.

///Article N° : 2835

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