Déjà, en 1959, quelques amis, parmi lesquels Ernest Alima et Ladislas Eloundou, l’un et l’autre instituteurs, avaient coutume de faire visite à René Philombe, journaliste, au quartier Nlongkak à Yaoundé. Avec celui-ci, ils se plaisaient à discuter littérature et coutumes locales pendant des heures entières. De ces causeries intellectuelles répétées, une idée commune se dégageait : créer un club, un cercle en vue de rassembler tous les camerounais qui s’intéressent à la culture. Cette noble idée évolua rapidement. Elle évolua à telle enseigne que, sitôt lâchée par Eloundou, le mot « odéon » fut adopté pratiquement par les uns et les autres pour désigner le domicile de Philombe.
Il faut dire que la plupart de ces jeunes gens, non seulement se passionnaient pour la littérature, mais encore accusaient des dons certains dans cette matière. N’animaient-ils pas souvent leurs réunions spontanées par la lecture de leurs premiers poèmes, contes et devinettes ? Ils passaient aussi en revue leurs auteurs préférés. Eloundou citaient Lamartine et André Maurois ; Alima, lui, avaient toujours sur les le nom de Valery ou de Verlaine tandisque Philombe vantait Mongo Beti, Baudelmaire ou Voltaire
Un grand événement survint qui donna un coup de fouet décisif aux ambitions légitimes de ce trio. Précisément, il s’agit du « salon de l’Art camerounais » organisé par le gouvernement à la Maison du Combattant à Yaoundé, du 31 décembre 1959 au 6 janvier 1960, à l’occasion des fêtes célébrant la proclamation de l’indépendance nationale. Inoubliable occasion ! Elle permit à bon nombre d’auteurs camerounais de se faire connaître. Agréablement surpris furent les visiteurs de voir exposées sur un stand spécial des productions littéraires éditées ou inédites- mais combien nombreuses et variées ! Désormais, la preuve s’établissait que les zelés habitués de l' »Odéon » n’étaient point les seuls à vouloir apporter une contribution active à l’épanouissement de la littérature camerounaise. Vite, Alima releva les adresses des tous les auteurs des uvres exposées. Vite, Philombe expédia les convocations aux intéressés. Et, le dimanche 23 janvier 1960, à partir de 14 h 30 une réunion constitutive eut lieu à l’Odéon, lequel devait devenir par la suite, comme il fallait s’y attendre, le siège permanent de l’association alors en gestation. Assistaient à cette réunion historique : Ngandjion Thomas alias Job Nganthojeff, Pouka Mbague Louis-Marie, Eloundou Ladislas alias Oudenlou Rehymont, Tsoungui Ngono Vincent Alias Tsino, Alima Ernest Alias St-Eral, Medou-Mvomo Remy-Gilbert, Ombede Philippe Louis alias René Philombe, Onguéné Bernard.
Ouvrant la séance, Pouka exprima sa joie de se retrouver parmi les jeunes compatriote qui, comme lui, avaient à cur le devenir culturel de leur nation naissante. Suivi avec une attention soutenue par l ‘assistance, il donna lecture d’un poème d’Albert Samain (un de ses auteurs de chevet !). Il souligna ensuite l’importance et la portée de la littérature en général et de la poésie en particulier dans toute société humaine. Le plaisir des lettres, dit-il, est une source de joies saines. Enfin, se déclarant satisfait de la création d’une association culturelle, la première au Cameroun, il promit d’apporter à la vie de cette association toute son expérience d’homme mûr et d’un es premiers poètes camerounais.
Ngandjion et Medou, prenant presque en même temps la parole, firent à l’assistance la révélation suivante : leur amitié est née un jour, grâce au Salon de l’art camerounais. Après la fermeture de celui-ci, ils avaient pris l’habitude de se rencontrer au cercla municipal où, entre deux parties de ping-pong ils épiloguaient sur la littérature négro-africaine, se récitant ou se lisant de petits poèmes de leur cru. Prenant à son tour la parole, René Philombe remercia l’assistance d’avoir fait honneur à son invitation. Il rendit hommage au gouvernement camerounais qui avait eu l’initiative d’un Salon de l’Art et il formula le vu que cette très belle initiative puisse se répéter dans les années à venir. Il se déclara convaincu que ce Salon était susceptible de favoriser l’éclosion de bien d’autres relations amicales après celles qu’il venait de faire éclore entre Ngandjion Thomas et Medou Mvomo Remy, deux jeunes compatriotes de tribus tout à fait différentes. Après avoir démontré combien l’union fait la force, notamment dans les jeunes nations d’Afrique et combien il était nécessaire que tous ceux qui pensent culture s’organisent au Cameroun, l’orateur affirma en terminant : » la meilleure révolution qu’un homme puisse faite pour son peuple est révolution culturelle » Deux semaines plus tard, il présentait un projet de statuts qui fit l’objet d’une discussion passionnée. Mais celle-ci demeurait cordiale jusqu’au bout. Plusieurs amendements donnèrent à ce projet la forme et le contenu actuel des statuts. Ainsi, une association unique en son genre vit le jour, coiffée d’un bureau élu comprenant : Pouka Mbague Louis-Marie, président, René Philombe, secrétaire général, Ernest Alima, Secrétaire adjoint, Medou Mvomo Remy Gilbert, trésorier (remplacé en 1961 par Ngandjion Thomas). Voilà, succinctement, la genèse de l’APEC, Association des Poètes et Ecrivains Camerounais.
Evidemment, un lecteur perspicace peut déjà deviner juste après avoir parcouru ce qui précède les buts essentiels de l’APEC. En effet, voici ce que portent les statuts :
1° Réveiller la conscience des masses populaires en faisant revivre le folklore national avec la participation effective des artistes camerounais que
l’association se propose d’encourager ;
2° Contribuer à l’histoire littéraire et artistique de la nation en rassemblant tous documents utiles;
3° Vulgariser par tous les moyens (presse, radio, conférences et représentations théâtrales) les uvres d’auteurs camerounais, quelles que soient les langues dans lesquelles ces uvres pourront être écrites.
Déclarée aussitôt après sa création l’APEC fut reconnue officiellement et acquit son existence l égale par récépissé N° 491/INT/APA/2 du 9 février 1961. Et depuis sa création, cette association a connu es activités des plus intenses. Celles-ci se concrétisent notamment par des causeries, des lectures d’auteurs célèbres suivies de commentaires, quelques conférences publiques, des recherches folkloriques à travers le pays, des appuis moraux au bénéfice des artistes, etc. Toutefois, la vie de l’APEC se trouve particulièrement marquée par les dates suivantes :
-11 février 1962 : réunion privée au secrétariat général en présence de M. R. Lagrave, chef du Bureau pédagogique et de Lilyan Lagneau, professeur de lettres à l’Ecoles normale supérieure de Yaoundé . A cette occasion, des décisions importantes furent prises, entre autre, celle d’éditer l' »Anthologie 1962″, d’organiser une exposition qui réaliserait le panorama de toutes les ressources littéraires, artistiques et artisanales du Cameroun.
-24 février 1962, rencontre avec les artiste au bureau pédagogique de Yaoundé. Dans une allocution improvisée, le Secrétaire général René Philombe, indiqua que le but de cette réunion était surtout d’examiner les moyens d’une fusion éventuelle entre l’APEC et l’association des artistes camerounais, les arts plastiques et littéraires, souligna-t-il, étant inséparablement liés dans l’histoire culturelle de tous les peuples.
M. R. Lagrave égaya cette réunion ouverte au public en présentant des tableaux exécutés par de jeunes camerounais. L’attention et la curiosité de l’assistance furent surtout éveillées par les premières peintures libres des petits écoliers (10 à 12 ans) de l’Ecole départementale de Yaoundé. Ces peintures, tantôt ridicules, tantôt naïves, mais empreintes de vérité, trahissaient éloquemment tous les talents qui dormaient à l’état latent dans ces génies en herbe. Madame Lagneau donna un tableau sommaire de la littérature négro-africaine et se déclara heureuse d’avoir découvert au Cameroun une nichée d’écrivains qui ne demande qu’à être encouragés, lancés, pour avoir leur place dans l’universelle famille des hommes de lettres. Elle procéda ensuite à la présentation de quelques uvres de Bengono, d’Alima, de Philombe et d’Okala Alene. Le président Pouka donna lui-même lecture de ses « Poèmes choisis ». Impossible de nier qu’elle eut du succès cette réunion à laquelle assistaient d’ailleurs quelques hautes personnalités étrangères parmi lesquelles M. Gheerbrant, directeur du Centre culturel français. Un communiqué commun signé de René Philombe et de Ella Nnam Frédéric, respectivement secrétaire général de l’APEC et secrétaire général de l’Association des Artistes camerounais fut publié à l’issue de cette rencontre. Ce communiqué exprimait la volonté unanime des deux formations surs de fusionner et de continuer à établir le dialogue entre ceux qui créent au Cameroun et ceux qui veulent jouir de cette création.
27 février 1962 : Une audience accordée par M. Eteki Mboumoua, ministre de l’éducation nationale, chargé des arts et des lettres, à une délégation conduite par René Philombe et composée de Ngandjion, Alima, Tobbo et Lagrave. Les doléances présentées par la délégation furent les suivantes :
a) octroi d’un local meublé devant servir de bureau et de salle de réunion à l’APEC ;
b) création de prix littéraires ;
c) création d’une revue culturelle (aujourd’hui réalisée : Abbia);
d) création d’une Edition nationale ;
e) financement d’une anthologie (accordée : Anthologie 1962)
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