Marmaille, de Grégory Lucilly

Les tripes des ados

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En sortie le 4 décembre dans les salles françaises, Marmaille est un premier long métrage réunionnais sans têtes d’affiche et tourné en créole : le pari est osé et mérite attention !

Marmaille est basé sur un jeune Réunionnais qui danse à merveille, Maxime Calicharane, déniché lors d’un battle de breakdance à Saint-André. Il incarne Thomas, 15 ans, qui rêve de remporter un tel concours. Mais voilà que sa mère le jette dehors, ainsi que sa sœur Audrey (Brillana Domitile Clain). A la rue, il leur faut se débrouiller. Leur complicité va grandement les aider à retrouver leur père (Vincent Vermignon ) qui les avait abandonnés et qui a finalement refait sa vie et recréé une famille.

C’est donc de lien que parle ce film, alors même que l’abandon d’enfants est plus fréquent qu’on ne le croit. La rancune est forte et la réconciliation sera rude. Autour de cette trame simplement émouvante, Grégory Lucilly bâtit un film aussi sincère que malin. Thomas est certes facilement impulsif et insolent, mais c’est le diamant brut : il a à la fois la rage et un bon fond qu’il va falloir extirper. Le problème est qu’en explosant trop vite, il laisse sa douleur prendre le dessus et se met en danger. Les travailleurs sociaux et les éducateurs sont là pour l’accompagner, autant que faire se peut.

Audrey a le courage nécessaire. Elle l’aidera à surmonter les épreuves. Elle assure la relève de la mère manquante. C’est là qu’est le lien. Elle-même a un bébé, Sloane, avec un gars cool mais irresponsable. Il est l’exception qui confirme la règle, les hommes étant plutôt bienveillants dans le film. Les femmes ne sont pas en reste, à commencer par la truculente tante (Delixia Perrine), la belle-mère sensible et compréhensive (Katiana Castelnau) ou bien Maeva (Grazzellia Estagie), la petite amie de Thomas qui tente de l’adoucir en montrant qu’il peut compter sur elle.

Le romanesque et la force morale sont les deux mamelles du cinéma populaire qui tranche avec la culture commerciale de masse. C’est ainsi que la dynamique du récit finit par convaincre en tablant sur la complexité de Thomas et sa capacité à l’exprimer par la danse. Il adhère aux musiques d’Audrey Ismaël qui balancent du maloya à l’afro et au hip-hop, dans des chorégraphies virant jusqu’au krump. La force intranquille des paysages réunionnais agit aussi en ping-pong avec l’impatience de Thomas tandis que la lumière crue et les couleurs font vibrer l’image. Le créole apporte un ancrage aux scènes intimes et accentue les résonnances sociales d’un film qui se veut miroir d’une Réunion en mutation.

Les battles sont des confrontations dansées où des jeunes comme Thomas extériorisent leur trop plein d’énergie et trouvent leur maîtrise. Leurs contorsions sont à l’image des méandres affectifs d’une jeunesse dévoreuse d’avenir mais confrontée aux coups durs de la vie. Elle allant vers la transe, Thomas refuse la camisole. Il transcende le rejet tout en partageant corporellement la violence qui lui est faite, comme le faisaient les esclaves qui ont apporté autrefois le maloya sur l’île. C’est à ce plongeon dans les tripes d’une adolescence laissée pour compte que nous invite ce film qui ne manque pas d’atouts pour nous la faire vivre.

 

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