Le dernier opus de l’homme qui a chanté Mali Twist au temps de Modibo Keïta sonne juste. Un blues cristallin se jouant de la cruauté du monde avec des lancers de cauris sacrés. Mbalimaou sort chez Lusafrica pour ses 73 ans.
Une mélancolie douce rehaussée par un jeu de guitare sous influences. Les génies du blues, à l’heure des rythmes khassonke, vous réveilleraient un mort depuis cette région de Kayes, d’où s’élève l’une des figures tutélaires de la musique malienne moderne. Boubacar Traoré alias Kar Kar a 73 ans et assez de notes en mode zen pour panser les blessures du temps qui passe. Une profondeur, et un son résolument fluide. Y compris sur Mariama, classique entendu sur un album du début des années 1990, mais qui fut l’un de ses premiers succès durant les années 1960, lorsqu’il régnait en maître sur les ondes francophones de l’Afrique de l’Ouest, de la Haute-Volta à la Guinée, en passant par la Côte d’Ivoire.
Mbalimaou, son dernier album, sonne juste. La présence appuyée de Vincent Bucher à l’harmonica, celle de Babah Kone à la calebasse, Soumaïla Diabaté au sokou, nourrissent son feu intérieur. Le premier rappelle les liens coupés, si besoin était, avec cette Amérique, si lointaine, en apparence, mais si proche, en histoires. Les seconds renforcent l’ancrage en cette terre du Mandé que la kora de Ballaké Sissoko, co réalisateur de cette belle galette, achève de rendre fabuleuse et cristalline. Le n’goni y contribue, également. Pour l’occasion, Boubacar a su s’entourer. Des valeurs sûres pour un album au génie humaniste.
Nulle folie, cependant. Car les douze titres de l’album ne disent rien d’autre que ce que nous savons déjà. Rien qui dénote vraiment, sauf (peut-être) l’embarras d’un vieux sage, aiguisant encore ses dents, pour plaindre ses semblables, qui ne savent plus « où aller », pris qu’ils sont dans les tensions et les guerres. Sur Bembalisso, Kar Kar reparle ainsi de la cruauté du monde, en narrant l’histoire tragique d’une réincarnation en oiseau sacrifié : « Que tu sois grand ou petit, on te tue » Suspendue entre deux tourmentes, sa musique puise à la fois dans les mythologies passées, les valeurs anciennes et les croyances urbaines. Bougoudani, par exemple, raconte une histoire de cauris sacrés, à travers laquelle se joue des destins d’homme. Mais qui sait, aujourd’hui, de quoi demain sera fait ?
Mbalimaou de Boubacar Traoré, Lusafrica.///Article N° : 12950