Éclatées, informelles, provocantes, intrigantes depuis leur création en 2002, les Scénographies Urbaines comptent parmi les résidences d’art contemporain les plus novatrices en Afrique. Leur principe est aussi simple que révolutionnaire : créer et montrer des pratiques artistiques contemporaines dans les rues des grandes villes, puisqu’il n’existe pas ou peu de lieux d’exposition sur le continent.
L’aventure des Scénographies Urbaines naît de la rencontre, en 1998, à Douala de deux artistes français, Jean-Christophe Lanquetin et François Duconseille, avec le Cercle Kapsiki, collectif de cinq artistes camerounais (Blaise Bang, Salifou Lindou, Hervé Yamguen, Hervé Youmbi et Jules Wokam). Ils éprouvent alors le désir de travailler ensemble, in situ, dans la ville de Douala, là où vivent et travaillent les membres du collectif.
Peu après, François Duconseille et Jean-Christophe Lanquetin se structurent eux aussi en collectif : ScUr&°K, devenu depuis mars 2007 (Scu)² (Scénographies Urbaines)². Après quatre années de travail en commun, la première résidence des Scénographies Urbaines se déroule à Douala, dans le quartier de NewBell, en décembre 2002. Elle rassemble 26 artistes d’Afrique, du monde arabe et d’Europe.
Le principe de ces résidences est simple : inviter des artistes d’horizons très différents et leur demander de vivre et de travailler dans le quartier du collectif hôte, en lien avec le lieu et les habitants. La résidence dure entre trois et cinq semaines. À l’issue du séjour, les artistes sont invités à faire une proposition artistique in situ, inscrite dans l’espace urbain et présentée à tous lors d’un festival.
En septembre 2004, une seconde résidence se tient à Alexandrie, rassemblant 17 artistes, dans le quartier de pêcheurs d’El Max, en partenariat avec le collectif égyptien Gudran (voir www.gudran.com).
La troisième résidence se déroule à Kinshasa en décembre 2006, en compagnonnage avec le collectif congolais Eza Possibles, composé de Kennedy Dinanga, Eddy Ekete, Mega Mingiedi, Freddy Mutombo, Kura Shomali et Pathy Tshindele (1).
Au total donc, trois éditions qui ont impliqué 81 artistes – sans compter toutes les âmes créatrices et autres assistants ayant gravité autour des projets présentés – originaires de quatorze pays : Cameroun, République démocratique du Congo, Egypte, France, mais aussi Mozambique, Congo Brazzaville, Afrique du Sud, Autriche, Espagne, Bénin, Maroc, Suisse, Kenya et Sénégal.
Lingwala : quartier populaire dans l’est de l’immense mégapole kinoise qui abrite plus de dix millions d’âmes. Quartier où vit le jeune collectif de plasticiens Eza Possibles. Si tous sont passés par les bancs de l’Académie des Beaux-Arts, située à Lingwala, ils développent aujourd’hui des approches singulières, résolument contemporaines. Depuis juin 2005, Eza Possibles dispose d’un lieu de travail et de stockage, à Lingwala, l’espace Pamba Pamba Te sur Bukama, et réalise des projets soit collectifs, soit individuels. La relation entre (ScU)² et Eza Possibles débute en 2004 avec des allers et retours des artistes entre le Congo et la France. Dans les années qui suivent, Kura Shomali, Mega Mingiedi, Eddy Ekete et Pathy Tshindele sont acueilllis en résidence à l’École supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg (ESAD) où enseignent Jean-Christophe Lanquetin et François Duconseille. La régularité des allers-retours permet d’inventer un compagnonnage, condition sine qua non à la mise en place de l’événement à Kinshasa.
Cette troisième résidence est initialement programmée pour le mois de septembre 2006, mais le processus électoral en République démocratique du Congo (RDC) perturbe ce planning. À la demande de l’Ambassade de France à Kinshasa, elle est reportée au mois de décembre 2006. Entre septembre et décembre, dans un contexte de fin du processus électoral particulièrement tendu et inquiet (second tour des élections présidentielles), Eza Possibles organise et structure la résidence dans le quartier. Travail de communication auprès des habitants, repérages et aménagement de maisons où résideront les artistes, recherche de sponsors locaux, obtentions de soutiens officiels, notamment le patronage du Ministère de la Culture. Le collectif (ScU)², de son coté, s’occupe des recherches de financements et des billets d’avion…
La sélection des artistes invités se fait conjointement par les deux collectifs partenaires. La philosophie des Scénographies donne à cette sélection des couleurs arc-en-ciel, dont la richesse, le métissage et la diversité sont pour beaucoup dans l’intérêt des propositions présentées.
La particularité de cette troisième édition est la présence de l’Académie des Beaux-Arts au coeur même de la zone d’action des « Scénographies Urbaines » mais aussi au cur des propositions artistiques. En effet, non seulement les membres du collectif « Eza Possibles » sont tous issus de cette école, mais l’institut est partenaire de la manifestation. Durant la résidence, trois des artistes invités (professeurs de l’École supérieur des Arts décoratifs de Strasbourg, également partenaire de la manifestation) animent des workshops avec des étudiants.
Enfin, les Scénographies urbaines établissent leur bureau administratif dans l’enceinte de l’École et chaque artiste étranger est accompagné par un étudiant assistant. Loin de rester observateurs, ces artistes en herbes saisissent la moindre occasion de présenter l’étendue de leurs talents et leur inventivité. Performances, propositions plastiques ou scéniques foisonnent dans les jardins de l’École mais également dans les rues, les bars et même les marchés de Lingwala.
La confrontation entre les pratiques artistiques congolaises et d’autres venues notamment d’Afrique du Sud ou du Cameroun provoquent un choc culturel pour tous et toutes. L’intérêt est qu’il se produit sous les yeux novices et ébahis des habitants du quartier, avides de connaître et de comprendre. C’est pourquoi les soirées de projection des travaux des artistes invités, dans des lieux publics, restent parmi les événements les plus marquants des résidences. Six soirées de présentation ont été organisées. Sur un écran de tissu, au bord de l’avenue du 24 Novembre, à la terrasse du bar de Bijou, parmi les habitués étonnés et les passants curieux, les artistes présentent leur travail : des photos d’autres espaces : la violence de Johannesburg, le scandale du travail des enfants dans les mines du Katanga, l’histoire coloniale du Zaïre vue, à travers l’architecture, par un jeune artiste de Lubumbashi. Toutes ces images soulèvent une foule de questions parmi le public…
1. Plus d’information sur ce collectif, voir le site des Scénographies urbaines : www.eternalnetwork.orgMélinée Kambilo est diplomée de l’École supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg, option scénographie et communication événementielle. À la suite de son diplôme, elle anime durant quatre mois des ateliers de scénographie à l’Académie des Beaux Arts de Kinshasa. Durant trois ans, Mélinée Kambilo partage son temps entre la France et la République démocratique du Congo où elle travaille avec des comédiens, des circassiens et des plasticiens. Elle participe comme artiste invitée à la troisième édition des Scénographies Urbaines à Kinshasa et assiste le collectif Eza Possibles dans la préparation et l’organisation de cette résidence.///Article N° : 6729