Mustapha Alassane, cinéaste du possible

De Maria Silvia Bazzoli et Christian Lelong

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A l’heure où le cinéma a du mal à sortir des sentiers battus et qu’une inquiétante copie des formatages dominants marque les productions populaires émergeant à la faveur de la révolution numérique, il est plus que salutaire de rappeler l’incroyable parcours du pionnier nigérien Mustapha Alassane. Maria Silvia Bazzoli et Christian Lelong le font de façon plutôt chronologique, partant de sa rencontre avec Rouch pour terminer par la période actuelle. L’originalité du film est davantage à chercher dans leur mode de relation au personnage, le laissant maître du rythme lorsqu’il présente son travail et son combat dans sa tanière de Tahoua, à 550 km au nord-est de Niamey.
Bricolage, improvisation et liberté : le cinéma d’Alassane tient en trois mots. Comme pour Jacques Demy qu’Agnès Varda évoquait de si émouvante façon dans Jacquot de Nantes, cela commence par les ombres chinoises et les lanternes magiques : un enfant rêve de cinéma. Il est d’autant plus saisissant de le trouver à confectionner pareillement à 67 ans des marionnettes pour ses animations actuelles ! Sa rencontre avec Claude Jutra lui permettra de faire l’apprentissage de l’animation à Montréal en 1962 avec Norman McLaren. Il a vingt ans et dessine déjà les crapauds qu’il reprendra durant toute sa carrière. La Mort de Gandji sera le premier film d’animation africain, primé au Festival mondial des Arts nègres de 1966 à Dakar. Oumarou Ganda, Inoussa Ousseini, Djingarey Maïga seront ses compagnons à l’Institut de Recherche et de Sciences humaines dirigé par Jean Rouch où l’on considère que le cinéma est à réinventer. Le Retour d’un aventurier (1966), dont Serge Moati documente le tournage dans Les Cow-boys sont noirs, combine une approche ethnographique à une fantastique créativité. Mais, prudence oblige, lorsqu’Alassane réalise son court métrage d’animation Bon voyage Sim, il coupera lui-même la scène finale où le chef d’Etat tout puissant revient au pays et doit faire face à un coup d’Etat…
Jamais il ne délaissera son inventivité. Le film le montre aussi bien à bricoler des personnages à animer qu’à développer un logiciel avec des animaux pour faciliter l’apprentissage de l’animation par les jeunes. Sans trop multiplier les interviews, il donne la parole à ceux qui l’on accompagné. Achille Kouamo, critique de cinéma nigérien, rappelle combien les cinéastes ont dû se battre pour faire exister leurs films mais aussi l’absence actuelle de relève et de filiation. « On cultive d’abord les oignons et on fait des films quand on a du fric », rappelle le vieux sage Alassane qui gère l’hôtel de l’Amitié à Tahoua.
Témoignage essentiel, ce film participe de l’histoire des cinémas d’Afrique et offre une approche proprement humaine et respectueuse d’un grand combattant.

///Article N° : 8945

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avec Jean Rouch





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