Nicol / Dangor : vérités et réconciliations

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Deux romans sud-africains explorent la mémoire de l’apartheid

Pour beaucoup d’auteurs sud-africains, tel J. M. Coetzee dans Disgrâce, l’après-apartheid semble renvoyer vers un travail de mémoire, vers la question de la transmission et d’une identité à reconstruire. Littérairement, cela donne des romans qui en permanence chancellent et interrogent, une écriture de l’hésitation, loin des certitudes du bien et du mal. Humainement, les histoires mises en scène sont extrêmement douloureuses. L’angoisse des secrets mis à nu et des traumatismes anciens étalés au grand jour taraude ainsi les personnages romanesques de Mike Nicol et d’Achmat Dangor. On est très loin de la catharsis suggérée par la commission Vérité et réconciliation : quand les choses sont dites, elles peuvent être pardonnées. Oui, mais quand les choses sont tues depuis trop longtemps, les dire à haute voix revient à ébranler toute une existence construite sur le silence.
La vérité qui divise
Achmat Dangor a choisi de mettre en scène cet effondrement à travers la destinée d’une famille, dans cette écriture  » écorchée vive  » que l’on avait déjà pu apprécier avec En attendant Leïla (2003, Dapper). Violée par un policier en présence de son mari, enceinte à la suite de l’agression, Lydia a donné naissance à un fils, son unique enfant. Les traces et le souvenir de l’agression sont enfouis au plus profond d’elle-même – sinon, comment supporter la présence de cet enfant, s’autoriser à le choyer, à l’aimer ? Son mari, Silas, en fait abstraction aussi, jusqu’au jour où, vingt ans plus tard, par hasard, il croise le violeur au détour d’un centre commercial.
Et tout bascule. Impossible de continuer à faire semblant – les mots prononcés entre Silas et Lydia provoquent des éclats insoupçonnés, puis les plongent dans un mutisme encore plus profond. L’enfant du viol, Mikey, 19 ans, suit ce théâtre conjugal de loin, d’un œil ironique, presque condescendant. Mais lui aussi perd pied, en découvrant la vérité de ses origines dans le journal intime de sa mère.
Le silence du viol apparaît alors comme le ciment de cette famille qui, une fois confrontée à la vérité dévoilée, se retrouve désemparée et sans défense. D’ailleurs, de quelle vérité parle-t-on ? De celle de Lydia qui accuse son mari de jouer au héros, alors qu’il s’est révélé lâche au moment du viol ? De celle de Silas qui reproche à Lydia son silence ? De celle de Mikey qui ne trouvera d’autre solution que la vengeance pour exorciser le mal ?
Au moment même où Silas, haut fonctionnaire en charge de la commission Vérité et réconciliation, remet son rapport final au gouvernement, la famille explose, chacun ayant trouvé sa vérité – mais pas de réconciliation possible.
La tapisserie du roman
 » Vérité  » et  » Réconciliation  » sont les deux derniers chapitres du roman de Mike Nicol. La tapisserie à l’ibis fouille aussi la mémoire, mais sur le mode de l’enquête journalistique et non du drame psychologique. Robert Poley, auteur de polars à succès, commence à enquêter sur Christo Mercer, homme d’affaires sud-africain, fournisseur d’armes des seigneurs de guerre du Sahara africain. Des documents ayant appartenu à Mercer, envoyés par un mystérieux N.S., arrivent régulièrement chez Poley. Le personnage qu’il y découvre est déroutant : marchand d’armes au regard cynique, poète romantique, auteur d’un roman inachevé, père de famille modèle, rêveur fasciné par les cauchemars qu’il fait au point de les consigner méthodiquement dans un cahier. Le roman se tisse comme cette tapisserie à l’ibis confectionné par Sarra, un personnage du roman de Mercer : des fragments mis bout à bout, des anecdotes qui s’enchevêtrent, des informations vérifiées et d’autres fausses. Comme les perles de la tapisserie de Sarra qui valsent par terre dans un accès de colère, le récit s’embrouille parfois, reprend à zéro, revient en arrière. La vérité, livrée à l’état brut par les notes de Poley, n’est pas une mais multiple et ressemble plus à un ensemble  » de faits et de théories  » qu’à une affirmation. La réconciliation, elle, n’arrive qu’une fois que Poley accepte cette multiplicité.
Dans les années 1970, Excelsior, petite bourgade de l’Etat libre d’Orange en Afrique du Sud, fut secouée par un scandale sexuel : les notables de la ville participaient à des orgies sexuelles avec leurs domestiques noires. Or, à l’époque, ces parties de débauche tombaient sous le coup de l‘Immorality Act de l’apartheid. Zakes Mda revient dans son dernier roman sur cet épisode noir et nous donne à lire un beau texte. Comme dans Le Pleureur, il se sert d’un fait divers pour construire un récit envoûtant et sensuel, une méditation poétique sur la difficile naissance d’une nouvelle Afrique du Sud. B. M.-M.
L’auteur est, certes, Sud-Africaine, mais l’action se déroule à l’île Maurice. Trois femmes se retrouvent avec un paquet encombrant : le fœtus que l’une d’entre elles a perdu et dont elles cherchent, en vain, à se débarrasser. Face à une société hypocrite qui pénalise l’avortement tout en désignant une aile d’hôpital uniquement réservée aux femmes  » qui sont tombées en glissant « , elles ne savent que faire pour ne pas éveiller les soupçons. A travers leur errance dans la ville, leurs souvenirs racontés pour faire passer le temps, c’est toute la violence de la société qui se trouve dévoilée. T. T.
Un roman facile à lire qui relate la trajectoire incroyable d’un jeune garçon des townships, des planches du théâtre local à la gloire de Broadway. A mettre également entre les mains de jeunes lecteurs. T. T.

Fruit amer, d’Achmat Dangor. Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Pierre-Marie Finkelstein, éd. Mercure de France, 384 p., 26 euros.
La tapisserie à l’ibis, de Mike Nicol. Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Catherine Lauga du Plessis, éd. Seuil, 270 p., 20 euros.
A lire aussi :
La madone d’Excelsior, de Zakes Mda. Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Catherine Lauga du Plessis. Ed. Seuil, 284p., 19 €.
Une affaire de femmes, de Lindsey Collen. Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Pascale Blanchard, éd. Dapper littérature, 224 p., 13 euros.
Le ventre du crocodile, de Michael Williams. Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Valérie Morlot, éd. Dapper littérature, 288 p., 13 euros.///Article N° : 3647

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