Nigeria : coups de crayons… sous surveillance

Print Friendly, PDF & Email

Face à un pouvoir politique à la tolérance relative, à des communautés irascibles et à des patrons ingrats, les caricaturistes et dessinateurs de presse vivent avec peine (de) leur art.

Pierre Barrot, ancien attaché culturel de l’ambassade de France au Nigeria, disait qu' »il est plus facile d’extraire de l’eau d’un caillou que d’obtenir des données fiables » sur Nollywood, l’équivalent nigérian d’Hollywood. Il en va de même pour la caricature et le dessin de presse, dans un pays réputé pour la versatilité de ses chiffres et de ses informations.
Dans les années 1980, de fait, seule la bande dessinée connaît une petite activité, tout de même marquée par le succès fulgurant de Super Story de Wale Adenuga, récemment adaptée au petit écran en un feuilleton qui, depuis plus de cinq ans, bat des records d’audience tous les jeudis soirs sur la chaîne nationale NTA.
C’est entre 1999 et 2007, avec le retour de la démocratie et de la liberté d’expression et sous les deux mandats d’Olusegun Obasanjo, que les caricaturistes et dessinateurs de presse trouveront leur juste place dans le paysage médiatique : au Nigeria, on sait faire contre mauvaise fortune bon cœur. Mieux, peu de peuples en Afrique ont autant le sens de l’autodérision que les Nigérians.
Ainsi, en octobre 2004 paraissait TGIF (Thank God It’s Friday), le premier magazine consacré à l’humour, à la caricature et aux bandes dessinées. Malgré une couverture engageante et un contenu intéressant, les lecteurs s’en détourneront, préférant la régularité des planches publiées dans les quotidiens à la périodicité erratique de TGIF, qui finira par mourir de sa belle mort quelques mois plus tard.
La tentative aura eu le mérite d’habituer définitivement le pouvoir et la population à la présence de ces croqueurs d’actualité, aussi insolents que… discrets ! Car, hormis les pionniers tels que Cliff Oguigo et Boye Gbenro, la plupart des caricaturistes nigérians »opère » sous des pseudonymes, malgré la liberté d’expression dont ils jouissent. « Liberté relative », temporise Aliyou Daouda, correspondant de presse à Lagos qui rappelle « la fausse note venue de Temipre Sylva, gouverneur de l’État de Bayelsa (Sud). Ce dernier a fait arrêter en avril 2009, un caricaturiste du quotidien, qui l’avait dessiné en boxeur donnant des coups de poing au drapeau du parti au pouvoir, le PDP. Les journalistes, l’opposition et toute la classe politique sont montés en première ligne pour dénoncer cette arrestation, contraignant le gouverneur à retirer sa plainte et à faire libérer le dessinateur ». Là même réside la peur des caricaturistes et dessinateurs de presse : malgré la liberté de d’expression, l’information et ses commentaires restent très orientés par un pouvoir qui, en sous-main, tient tous les leviers et peine à se dissocier des règlements de compte mystérieux dont ont souvent été victimes les hommes de média.
En mars 2008, Reporters Sans Frontières dénonçait l’agression d’Obe Ess, un caricaturiste du quotidien The Guardian. Il avait été sévèrement bastonné à son domicile, sous les yeux de sa famille, sans explications, par des hommes armés non identifiés. L’enquête qui a suivi n’a jamais abouti, comme beaucoup d’autres.
L’autre épouvantail des caricaturistes s’appelle Religion. Au Nigeria, où toutes les obédiences (musulmanes, chrétiennes et même animistes) ont leurs extrémistes, certains sujets sont à aborder avec délicatesse, sinon pas du tout. La violence des réactions qui a suivi la publication des caricatures du prophète Mahomet au (lointain) Danemark est éloquente : 16 morts (bilan officiel) dans des manifestations qui ont dégénéré en affrontements intercommunautaires. Sur place, black out total dans la presse, les crayons sont restés couchés !
Enfin, il faut noter que les caricaturistes ont en pratique, un réel statut d’éditorialistes (Cheche Egbune, Dada Adekola, Obe Ess, Ade Babalola, Femora, Kaycee, etc.), sans la considération professionnelle et financière qui devraient suivre – avec tous les dangers que cette position implique. Payés au lance-pierres (des salaires dont on parle à peine), assimilés à aucun statut juridique, considérés comme des saltimbanques, ils s’organisent progressivement et fédèrent leurs initiatives.
Ainsi, après une brillante et mémorable exposition à l’Alliance Française de Lagos en septembre 2005, est né le Lagos Comics & Cartoons Carnival (LC3), porté depuis par la Cartoonist Association of Nigeria. Cette rencontre annuelle faite d’ateliers de formation, de séances de dédicaces et de présentation de planches (au cours desquelles les pseudonymes tombent) sensibilise le public, les plus jeunes en particulier, à la lecture, au 9ème art à son importance dans la construction de la culture nigériane.

Un panorama du 9ème art nigérian est disponible sur www.agidi.net/cartoons.///Article N° : 9088

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire