« Les Prisonniers » d’Etienne Minoungou et Alexis Guiengani.
Mise en scène d’Etiene Minonungou
Comment ce texte a-t-il émergé ?
D’habitude nos représentations sont plus lourdes, avec plus d’acteurs. Le ministre de la Culture m’avait sollicité pour la création de pièces pour la télévision, ce qui manquait. C’est dans ce cadre de faibles moyens que l’on a initié la création d’une série de petites pièces de 2 à 3 personnages. Il s’agit d’une création collective ; l’idée a été arrêtée avec tous les acteurs. A partir d’anecdotes, nous avons construit de petites histoires que nous avons travaillées pour en faire un texte dramatique. Le texte final a aboutit en même temps que la mise en scène.
Le rire prend une grande place dans la pièce. Il me faisait penser à la phrase de Genette : « le rire est un tragique vu de dos ».
C’est notre culture africaine. Les plus belles histoires, les plus rigolotes, c’est lorsqu’on creuse une tombe ! C’est notre manière de prendre la distance avec la mort ou de ne pas lui donner l’importance qu’elle voudrait avoir. Les sujets les plus graves, nous préférons en rire. Et chacun sait que c’est sérieux. La plupart des textes que nous avons créés par l’improvisation, c’est toujours pour rire de nos problèmes. Du moment on l’on arrive à en rire, on l’a pratiquement solutionné.
Vous soulevez quand même une notion grave : est-on finalement tous prisonniers même en liberté ?
Chacun est prisonnier dans sa situation. La question est de savoir si on en a conscience ou pas. C’est celui qui a conscience de la liberté qui souffrira le plus de sa privation. Par exemple, au niveau de la santé, le paysan qui meurt de son cancer sans le savoir, souffre moins qu’un autre malade qui est conscient de sa maladie et qui ne peut pas se faire soigner. Dans nos pays, avoir conscience qu’au niveau sanitaire n’importe quoi peut t’emporter, cela revient à être en prison.
La pièce se déroule dans un espace extrêmement réduit. D’où vient cette volonté ?
La réduction de l’espace amène à la confrontation. L’espace autorise l’hypocrisie, on peut s’y cacher, tricher. L’espace réduit est le test de vérité. Il y a obligation de négocier son bonheur avec la présence de l’autre. De ce non-choix découle une redéfinition de l’environnement, le plus proche devient mon prochain. Nous voulions aussi montrer que n’importe où l’amitié peut naître. La promiscuité de ces deux personnages les a révélés chacun comme « un autre moi-même » au yeux de l’autre. C’est une amitié très forte.
L’un organise l’autre en permanence, du théâtre dans le théâtre.
L’un est condamné à perpétuité, l’autre est condamné à mort. Le condamné à perpétuité manifeste sa supériorité, tel un grand philosophe, car lui ne va pas mourir. Il cherche à affirmer sa domination en essayant de provoquer la peur de la mort chez l’autre. Finalement, il ne réussit pas. Car lorsque l’on n’a plus peur de la mort, on acquiert cette force extraordinaire.
On constate que celui qui s’est battu pour ses idées s’est finalement fait avoir : il a appris la Marseillaise au lieu d’apprendre l’Internationale ! Est-ce une volonté de rappeler un contexte politique ?
C’était une manière de dire en rigolant qu’au lieu des idéologies extérieures, nous aurions intérêt à interroger nos cultures traditionnelles, ce qui nous donnera certainement plus de leçons. C’est aussi une façon de s’interroger sur l’objectif de son combat : il défend quelque chose qu’il n’a même pas assimilé, il se croit le révolutionnaire qu’il n’est pas.
Comment s’organise ce travail collectif ?
Nous travaillons intensivement durant un mois. Ensuite c’est à force de le jouer, de le répéter qu’on trouve la bonne formule.
Quelle continuité y a-t-il dans votre travail ?
Notre vocation théâtrale peut se présenter ainsi : c’est comme si la société est malade et nous sommes à son chevet. Ce que nous faisons s’inscrit dans cette optique, le théâtre est un outil. A partir d’un thème, nous cherchons à amener une réflexion de la collectivité. Nos spectacles sensibilisent au vote, au paiement d’impôt ou encore à la question de l’agression des journalistes. Nous avons fait un spectacle sur la démocratie avec un organisme qui travaille à l’implantation de la culture démocratique en Afrique : nous l’avons promené dans toutes les provinces du Burkina Faso, dans toutes les mairies, pratiquement dans tout le pays et il a dernièrement été diffusé à la télévision sénégalaise.
Comment vous situez-vous en tant que citoyen burkinabé aujourd’hui en Côte d’Ivoire ?
Depuis que je suis ici, je ne l’est pas ressenti. Il semble qu’en raison du festival des instructions ont été données pour que des barrières soient levées. On nous a dit qu’il n’y avait pas de peur à avoir pour notre sécurité, qu’elle était garantie. Nous souhaitons que ce pays qui a été un havre de paix et de rencontres de toutes les populations, le redevienne. Les problèmes sont nés d’un contexte politique, d’un désir de conquête de pouvoir. Chacun utilise ce qu’il croit être l’arme qui va lui permettre d’y accéder, alors que les populations étrangères ne sont pas une gêne dans leur politique.
Avec 26 ans d’existence de la troupe, la direction du FITMO, ous avez acquis un véritable rôle de représentation du Burkina.
D’autres compagnie tournent, comme par exemple les danseurs Salia ni Seydou. On essaie d’occuper la place qui est la notre. Mais il est toujours compliqué de faire tourner un spectacle en Afrique, nous manquons de moyens. Sur l’Europe, il faut trouver un acheteur ou un programmateur, puis viennent les problèmes de visa, d’autorisation de travail, surtout s’il s’agit de la France. Sans compter le fait que seules des salles spécialisées accueillent les spectacles africains, comme si ce n’était pas une préoccupation majeure chez le public.
///Article N° : 1957