Nouveautés du livre

Print Friendly, PDF & Email

Séduire, Cinq leçons sénégalaises, Sokhna Fall (100 photos de Fabien de Cugnac), Ed. Alternatives, 1999, 145 p., 250 FF.
Une femme ne peut pas laisser sa vie au hasard. Vous, les disquettes, vous croyez que montrer la jeunesse de votre corps suffit. Mais quand vos seins ne seront plus oranges vertes mais papayes mûres, c’est le goût et le parfum de leur chair qui fera la différence. » C’est la première leçon que Coumba, femme dans la plénitude de son art, donne à la jeune étudiante encore naïve en matière de séduction. Des leçons pour devenir une vraie « dirianké » (Elégante) Montrer ou cacher ? Toute la différence entre les pratiques des jeunes filles modernes et des femmes installées dans la vie est là : comme la jeunesse ne dure pas, une fille intelligente doit savoir que ce n’est pas « ce qu’elle montre qui est important, mais ce qu’elle cache. » La séduction doit donc tenir compte de l’âge. Une mère sénégalaise ne doit pas s’habiller avec les mêmes vêtements que sa fille quelle que soit sa beauté et son éventuelle fraîcheur. En outre, la femme doit absolument se distinguer de l’homme par son comportement, ses attitudes :  » L’homme n’a pas besoin d’un deuxième homme sous son toit. Deux longs nez ne peuvent pas s’embrasser… » Et puis Sohkna décrit en prenant pour prétexte Maty la jeune servante, l’accueil qu’une épouse sénégalaise sait mijoter à son mari lorsqu’il revient de son « dur labeur ». Un vrai régal. Autres descriptions étonnantes. Celle du boubou d’abord, vêtement féminin séculaire dont la diversité n’a d’égale que sa beauté, fait avec des tissus qui portent des noms qui sentent la vie : « Front populaire »,  » Opération coup de poing », « Gifler son beau-parent » et qui impose aux femmes ses propres manières de marcher. Puis celle du pagne, un vêtement d’apparence si simple, mais indémodable, et qui exige le respect de tant de symboles : porter son boubou très court, peut signifier que l’on est pingre ; se draper de la main gauche que l’on est guignarde ; faire keufeulou, c’est porter plusieurs pagnes « pour augmenter les fesses« … Le grand pagne est un véritable élément de séduction qui « rappelle toujours à la femme la vie de son corps », alors que le petit pagne dit « béthio » que la femme porte au moment de rejoindre le lit conjugal est brodé de dessins coquins voire érotiques… Les leçons de séduction au Sénégal à travers les manières de porter le vêtement, « de le froisser, le parfumer ou l’enlever« , enseignées par Sokhna Fall sont une découverte étonnante, proposées dans un style et une écriture chatoyantes et argumentées par une belle iconographie signée Fabien de Cugnac. F.C.
Boumekoeur, de Rachid Djaïdani, Ed. du Seuil, 1999, 159 p., 45 FF.
Yazad, ou Yaz pour les potes, vit dans une triste cité où ça craint et où il accumule tous les handicaps. Une famille nombreuse dans un appartement minuscule, un père (dixit le Daron ou le reup) au chômedu depuis cinq ans ; une mère aimante et plutôt maltraitée par le Daron qui n’accepte pas « qu’elle mène la danse dans la Casbah » depuis qu’il ne va plus au turbin ; une frangine « jument en rut » ; un big brother qui deale après avoir été gigolo et des copains de hall qui n’en mènent pas large eux aussi. Bref, un décor qui n’aide guère à dresser des plans sur la comète. Pourtant, Yaz qui rêve seulement d’ « exister » et son meilleur pote Grézi qui rêve d’Amérique et d’argent qui coule à flot, vont décider de se lancer dans une entreprise passionnante : mettre noir sur blanc les petites et grandes histoires de leur univers banlieusard. A Yaz l’écriture et à Grezi l’alimentation en nouvelles croustillantes. Puisque la Banlieue et ses occupants font continuellement la Une des journaux, des radios et des télévisions, histoire d’entretenir de nouveaux fantasmes et de vieilles peurs, au moins que les enfants de la racaille soient les premiers à en profiter. Le dérapage n’est pourtant pas loin. Grézi, « le reporter », se laisse griser par son imagination et provoque le « faux enlèvement » de son ami « rédacteur » pour soutirer une rançon de quelques milliers de francs aux crédules parents de Yaz. Bilan de l’initiative : deux ans de prison ferme pour Grézi, une hospitalisation urgente de Yaz pour empoisonnement « par un sirop de fraise blindé de produit vaisselle mélangé à de grosses gouttes de somnifères.. » Et, pour les lecteurs… un attachant premier roman. Un roman écrit avec les tripes et un coeur gros comme ça ! Rachid Djaïdani est un écrivain français d’origine algéro-soudanaise. F.C.
Matin de roses, de Naguib Mahfouz, Ed. Actes Sud, 1998, 175 p., 108 FF.
Matin de roses est constitué de trois nouvelles où l’auteur fait appel à ses souvenirs qui prennent leurs racines à la fin de la première guerre mondiale pour atteindre les années quatre-vingt. Soixante ans de la vie d’un quartier du Caire que le narrateur a tant aimé. Un texte d’une mélancolie douce où défilent des personnages, des familles entières dont le destin suit des chemins de traverse parsemés de petits et grands bonheurs où saupoudrés de douleurs. Les Ismaïl, européanisés à l’extrême, dont les deux filles s’enfuient aux bras d’un jeune avocat et d’un jeune officier et dont le fils Osman finit sa vie dans la prison de l’Île du Diable pour avoir usé d’une arme à feu dans une salle de jeu. Les Mourad, dont le fils Abdel Khâleq, poursuivi par la malchance jusqu’à la tombe, se contentera de vivre « une vie de désirs, de regrets et de frustrations… », lui qui avait pourtant accordé tellement de temps au Ciel. Et les Sennâwi qui eurent un fils unique dont la laideur n’avait d’égale que sa vantardise. Parfois, Naguib Mahfouz réussit le tour de force de résumer à travers le parcours d’un homme et en trois pages seulement toutes les questions profondément existentielles : l’amour, la générosité, l’indifférence, l’égoïsme. Comme lorsqu’il nous introduit dans la vie du fils Dorgham, ce prêteur sur gages impitoyable que rien d’autre n’intéressait que sa personne et qui n’a jamais nourri le moindre regret ni le moindre doute quant à la justesse de ses choix. Comme lorsque il raconte Oumm Ahmad, femme de coeur qui fut si généreuse avec le narrateur et qui partit elle aussi dans la douleur : « Voilà la conteuse d’histoires, le médecin de l’amour, du sexe et du bonheur, allongée sur un vieux lit, et devenue un fardeau quotidien pour la personne la plus proche à son coeur. Que valent les histoires, Oumm Ahmad, s’interroge l’auteur, puisqu’elles ne font que se répéter, d’une manière ou d’une autre ? ». Oui, que valent les histoires ? F.C.
Confession d’un émir du GIA, de Patrick Forestier, Ed. Grasset, 1999, 280 p., 125 FF.
Patrick Forestier, baroudeur expérimenté et grand reporter a couvert de nombreux conflits à travers le monde ces quinze dernières années (Liban, Afghanistan, Soudan…). Ses voyages en Algérie lui ont permis d’avoir une bonne connaissance de la nature des événements qui bouleversent ce pays depuis 1992. Puis, le journaliste rencontra en Europe un ancien repenti qui accepta de livrer son témoignage. D’abord sur sa propre dérive commencée à Oran dès 1988 et puis sur la vie dans les maquis et l’organisation des « Fous de Dieu ». Kakar, c’est le pseudonyme du « repenti », décrit avec minutie et froideur les différents assassinats de personnalités de la seconde ville du pays, les complicités dont ont pu disposer les tueurs à tous les niveaux, notamment de la part de notabilités, les moeurs prévalant dans les maquis, la fuite en avant des « émirs et de leurs sbires » qui n’avaient qu’une connaissance sommaire de la religion et dont le combat s’éloignait chaque jour un peu plus de l’objectif avoué : l’édification d’une République islamique. Le livre est une descente aux enfers terrible et les propos de Kakar confirment ce que tous les Algériens lucides connaissaient depuis le début : à savoir que la grande tuerie était planifiée par les islamistes depuis le milieu des années quatre-vingt. L’interruption du processus électoral ne fut qu’un prétexte. Les intégristes auraient de toute manière « purifié » la société algérienne à leur façon et dans la « légalité » que leur aurait conféré leur « victoire » démocratique. « Ce qu’on voulait (en 1991), c’était le parlement et la présidence. Makhloufi (un des premiers dirigeants du FIS) représentait l’aile dure du FIS. Le chef de guerre, c’était lui. Il nous avait avertis que le combat était proche. » Le témoignage recueilli par Patrick Forestier, en dépit de ses limites, est une grande première qui peut et doit ouvrir la porte à d’autres travaux, d’autres écrits, d’autres recoupements pour éclairer encore plus les événements récents d’Algérie. F.C.
Les blancs s’en vont – récits de décolonisation, de Pierre Mesmer, Ed. Albin Michel, 1999, 301 p., 120 FF.
La décolonisation française en Indochine et surtout en Afrique vue par un homme de terrain qui porta plusieurs casquettes notamment celle de ministre des Armées et surtout celle de Premier ministre. Mesmer avait surtout commencé à servir la République française au sein de l’Administration coloniale et a fait connaissance avec les Africains en juin 1938 alors qu’il venait d’être affecté au…12e régiment de tirailleurs sénégalais à La Rochelle. Mais le conflit mondial lui donna d’emblée l’occasion d’aller en mission en Afrique (Sénégal, Cameroun, Gabon, Erythrée, Égypte…). Durant toutes ces péripéties, il se rend compte ici ou là que le sentiment national pointait le bout du nez et que la politique coloniale la plus brillante ne pourrait éternellement le repousser. On découvre dans ce document à l’écriture sobrement militaire, un étonnant portrait de Félix Houphouët Boigny que Messmer avait rencontré pour la première fois lors d’un voyage en train qui dura quatre jours entre Bamako et Dakar. Un Houphouët décrit comme un grand homme d’État qui aurait laissé derrière lui, selon l’auteur, un bilan où le positif l’emporte sur le négatif : stabilité politique, développement économique équilibré, pacifisme, formation d’une vraie nation ivoirienne malgré les oppositions tribales, religieuses ou sociales. Mesmer s’attarde également sur la difficile décolonisation du Cameroun où se posait le problème de la réunification entre la partie francophone et la partie anglophone que le gouvernement britannique souhaitait rattacher au Nigeria…L’Algérie et sa guerre de libération est également au coeur du livre de Pierre Mesmer. L’homme d’État semble avoir été marqué de façon indélébile par la tournure des événements et sans doute aussi par ses propres manquements, particulièrement sur la question des Harkis dont il n’a pas facilité l’arrivée en France. La preuve de l’épine algérienne dans le coeur du chef militaire, cette dernière phrase radicale : « Je ne suis jamais retourné en Algérie et je n’y retournerai jamais. Ce pays sanguinaire me fait horreur… » Les conclusions de l’auteur sur l’avenir de l’Afrique et sur la relation que la France doit avoir avec les Africains sont heureusement plus modérées, voire plus ouvertes et pertinentes que celles avancées parfois par des « experts » « amis du continent noir ». F.C.

///Article N° : 2043

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article
Naguib Mahfouz © DR





Laisser un commentaire