Nouvelle scène, nouveau théâtre au Caire

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Les rencontres de Monodrame du centre culturel indépendant Sakia ont été une nouvelle occasion pour les jeunes amateurs de montrer leurs talents au public cairote. Le monodrame proche du one-man-show pour certains, du monologue pour d’autres, est peu pratiqué en France. Il s’avère être un exercice très formateur pour le comédien seul sur scène pendant une durée maximum de 45 minutes.

Art indépendant, Art étatique, la frontière est nettement revendiquée par les protagonistes de l’art indépendant dans le monde arabe. Si l’art est une parole de soi alors la liberté d’expression est une condition sine qua non pour la création. C’est par cette liberté et cette personnalisation de l’expression que les artistes arabes indépendants veulent créer un nouveau mouvement artistique.
Au Caire, producteurs, metteurs en scène, comédiens, revendiquent clairement leur différence.  » La société arabe, l’art, le théâtre ont besoin d’un nouveau sang  » confie une ancienne comédienne, Asmaa reconvertie dans la gestion d’une ONG de ressources culturelles.
 » Le théâtre que produit le gouvernement raconte toujours les mêmes histoires et fait toujours jouer les mêmes personnes. Il y a un élan chez la nouvelle génération qui aspire au changement, à nous de lui donner les moyens de s’exprimer.  »
Une indépendance revendiquée
L’étape primordiale dans cette entreprise du changement est de construire de nouveaux lieux capables d’accueillir toutes les formes d’expression habituellement absentes de la ligne de mire de l’art étatique. Selon cette logique, le premier centre culturel complètement indépendant a ainsi été créé en 2003 au Caire par Mr Mohamed Abd El Monem Sawy, le fils d’un ancien ministre de la culture et de l’information dans les années 70.
Cette plateforme culturelle  » nouvelle génération  » se situe sur l’île de Gezira, entre la rive est et la rive ouest du Nil, comme un carrefour entre l’ancien et le nouveau monde. Aujourd’hui, El Sakia Culture Wheel est littéralement la  » roue culturelle  » du Caire. El Sakia, prononcé El Sa’ia avec l’accent cairote est un complexe de 1500 mètres carrés né il y a quatre ans sur les vestiges d’une ancienne déchèterie. Le concept du centre est d’introduire les créateurs de demain sur la scène artistique égyptienne et arabe en leur fournissant un espace scénique vaste et doté du matériel nécessaire pour leur permettre de s’exercer devant le public. Avec ses trois salles de spectacles, la rivière, la sagesse et le mot, son hall d’exposition et son jardin, ce centre est le plus large espace de diffusion artistique indépendant de l’Egypte, un lieu réservé aux rencontres et aux échanges culturels, un lieu où se créent quotidiennement des évènements artistiques.
Le programme mensuel du Sa’ia est très chargé. À l’origine le centre organisait uniquement des soirées musicales. Désormais il y a, au minimum, un concert par soir, dans tous les genres musicaux, de la musique arabe traditionnelle comme le folklore nubien, au rock oriental et contemporain du groupe Eftekaset. Trois à quatre pièces de théâtre sont programmées tous les mois. Des ateliers de théâtre, de poterie ou d’écriture sont organisés toutes les semaines par des professionnels pour les habitués du centre et pour les amateurs désirant améliorer leurs compétences dans un domaine artistique particulier.
Le centre Sa’ia ne s’en tient pas aux seules manifestations culturelles et c’est ce qui fait son dynamisme : le directeur Mr Sawy veut donner la possibilité aux habitués du lieu de devenir des citoyens actif du changement. Quatre fois par semaines, Madame Nesrine organise des séminaires publics portant sur des sujets de société tels que les droits des hommes des femmes et des enfants. Durant ces minis assemblées, le  » peuple  » comme elle aime dire, peut venir poser les questions et demander conseils aux docteurs pour trouver des solutions aux problèmes du quotidien.
Les défis du changement
En plus des concerts journaliers et des expositions hebdomadaires, le centre organise de nombreux festivals sous forme de challenge. Par exemple, El Sa’ia est la première structure arabe en Egypte à organiser un festival de mime chaque mois de juillet. Chaque festival est une nouvelle compétition pour les artistes, une nouvelle occasion de jouer puis de recevoir les conseils des juges, académiques ou professionnels du spectacle, invités pour l’occasion. Ce dernier mois de mars, le centre organisa pour la deuxième fois  » les rencontres de Monodrames « . Pendant trois jours, dix neufs groupes composés d’un acteur, d’un directeur d’un scénographe, se sont succédés sur la scène de la sagesse devant les yeux de Bruno Otten docteur hollandais en art dramatique, Ahmed el Attar, producteur égyptien indépendant et Dr Hussein el Azari docteur égyptien en scénographie à l’Université d’Helwan. Le festival a réservé au public quelques très bonnes surprises comme cette performance qui remporta le premier prix,  » le trente deuxième ruban rose « . La comédienne Samaa Ibrahim interpréta en interaction avec le public, une femme de trente ans qui tarde à se marier et que la société fait culpabiliser. Elle cherche donc vainement, tous les soirs à grand renfort de pop-corn, une consolation parmi les images violentes du petit écran. Une autre création très remarquée pour sa scénographie, une adaptation de Dracula en arabe, ou plus proche des réalités égyptiennes, une grande parodie du dictateur Moubarak, interprétée par le jeune et très prometteur Tamer el Kady.
Les sujets des monodrames en majorité idéologiques,  » trop idéologiques  » remarque le producteur Ahmed el Attar, prouvent que cette nouvelle conquête de la scène par les indépendants ne peut se passer pour l’instant d’une lutte politique. Le théâtre dans le monde arabe se restreint souvent à des slogans ou des messages surannés que les acteurs et le public ne peuvent plus investir d’émotions ou de réflexions personnelles. Pourtant la création de la pièce franco algérienne  » El machina  » prouve que l’alliance entre une culture populaire et subversive avec des modes d’expression théâtraux modernes est possible mais néanmoins dangereuse. Cette pièce, en tournée en France en novembre dernier, fut adaptée par Ziani Chérif Ayad à partir de  » Zenouba « , 3e tableau  » Les Dires  » de l’algérien Abdelkader Alloula. Ce dernier, auteur et réalisateur de nombreuses pièces engagées, directeur du théâtre national d’Alger fut assassiné en 1994 par des terroristes à Oran. Abdel Kader Alloula s’était fait le défenseur d’un théâtre et d’une littérature proche des aspirations sociales des gens et loin du paternalisme abscons et de la culture des chefs. Avec lui nous ne nous échappons pas du théâtre idéologique pourrait dire Ahmed el Attar, mais nous intégrons le théâtre militant, le théâtre avant-gardiste du monde arabe.

///Article N° : 5947

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