Auteur d’une dizaine de romans et de livres pour la jeunesse (1), plusieurs fois primée, Gisèle Pineau est l’une des voix majeure de la littérature d’Outre Mer. Dans son dernier roman, » Mes quatre femmes « , elle évoque celles qui l’ont construite : Angélique, l’ancêtre esclave ; Julia, sa grand-mère, Gisèle, sa grand-tante, et enfin Daisy, sa mère. Lors d’une rencontre à son domicile parisien, l’écrivain revient sur l’acte d’écrire, ses implications et ses conséquences.
On sent dans votre façon d’écrire un véritable amour des mots. Travaillez-vous beaucoup vos textes ?
C’est vrai que j’ai une passion pour les mots, ce sont des trésors. Petite déjà, je voulais toujours en apprendre plus, je passais mon temps à lire des dictionnaires et des encyclopédies. Je lisais aussi des romans, comme » Black Boy « , de Richard Wright. Ma mère, Daisy, m’a transmis son amour des livres, de la langue française. J’ai la chance d’écrire en français, qui est une langue magnifique. Je laisse les mots venir à moi, je m’en imprègne, je me relis, à voix basse, à voix haute, j’aime la musicalité des mots, j’aime en jouer. L’acte d’écrire est parfois un acte douloureux, mais c’est aussi pour moi un réel plaisir.
Est-ce pour que l’écriture reste un plaisir que vous n’avez jamais cessé d’exercer votre profession d’infirmière en hôpital psychiatrique ?
Oui, tout à fait, je n’envisage pas de vivre de ma plume. Je ne veux pas faire de l’écriture un gagne-pain. Elle est pour moi à la fois un besoin et un combat, un engagement. C’est à travers elle que je me construis, que je défends mes idées, que je lutte contre le racisme et l’intolérance aussi.
Par ailleurs, le fait d’avoir une activité professionnelle m’aide à garder un pied dans le réel. Le matin, lorsque j’écris, je suis entourée de personnages imaginaires, je vis dans un monde virtuel. A l’hôpital, je retrouve des personnes bien vivantes. Cela créé un équilibre.
Sachant que vous travaillez, combien de temps vous a-t-il fallu pour écrire votre dernier roman par exemple ?
Un an, mais j’avais ce livre en moi depuis très longtemps. Je dirais même qu’il a toujours été là. Je l’ai écrit pour me libérer de mon passé. Pour avancer, il faut savoir d’où l’on vient.
A quel âge avez-vous commencé à écrire ?
Lorsque j’avais une dizaine d’années. Je me souviens même de la » parution » de mon premier livre. C’était un roman, que j’avais recopié plusieurs fois, et dont j’avais cousu les pages (à l’époque les photocopieuses n’existaient pas). J’avais chargé mon frère de le vendre dans la cité du Kremlin-Bicêtre où nous vivions : il avait trouvé trois acheteurs. Déjà à cette époque-là, il était important pour moi que les autres lisent mes textes. Je vivais ça comme un témoignage. Je voulais que les gens réalisent ce que c’était qu’être une petite fille noire, se faire insulter, être constamment mise à l’écart. Ce sont des choses dures à vivre pour une enfant. Quand j’étais petite, on ne voyait pas de noirs à la télévision, à part Joséphine Baker ou Henri Salvador. Comme si les noirs ne pouvaient être que des artistes. Ou des sportifs. Les choses n’ont pas beaucoup évolué aujourd’hui, pour preuve la polémique engendrée l’été dernier par l’arrivée d’Harry Roselmack au journal de 20 heures sur TF1.
Dans » Mes quatre femmes « , le passé rejoint le présent, puisque les protagonistes sont vos proches, encore vivants pour la plupart. N’est-ce pas difficile d’écrire des histoires dans » lesquelles les gens se reconnaîtront » ?
Non, c’est mon histoire, une histoire que j’avais envie de partager avec mes lecteurs. On m’a parfois demandé pourquoi j’avais gardé le nom, » Pineau » : comment aurais-je pu le changer ? C’est mon nom, celui que l’esclave Angélique m’a légué, pour lequel elle s’est battue, tout comme ma grand-tante Gisèle m’a légué son prénom. Ce roman est le livre de la construction, il est une fiche d’identité. Je n’y juge personne, je ne porte pas d’accusations. Je relate des faits, tels qu’ils se sont déroulés, ou tels qu’on me les a racontés. Il est un moyen pour moi de me relever d’une enfance que je ne peux pas changer. Il reprend un thème présent dans tous mes livres, celui du combat contre la domination, quelle qu’elle soit.
Pourquoi avoir choisi ces quatre femmes-là ?
D’une manière générale, je suis très inspirée par les femmes. Celles du livre, mes ancêtres, rêvent leur vie avant de la bâtir. Ce sont des femmes qui me hantent. C’est aussi pour cela que je les ai placées dans une geôle, qui est une sublimation de la mémoire.
Ma grand-tante Gisèle est morte de chagrin à vingt-sept ans après avoir perdu son époux. Ma mère Daisy m’a donné le prénom de sa sur décédée. Pendant longtemps, lorsque j’entendais ce prénom, » Gisèle « , je ne savais pas si c’était d’elle ou de moi dont on parlait. J’ai voulu dans mon livre évoquer la violence de ce prénom, que je portais comme une robe trop grande pour moi.
Ma grand-mère Julia tient également une place très importante dans ma vie. A travers elle, j’ai vécu un exil par procuration. Je le raconte dans » L’exil selon Julia « .
Quant à Angélique, elle fait référence à l’esclavage, à toute cette période où les Noirs n’étaient pas considérés comme des êtres humains.
Avez-vous effectué beaucoup de recherches par rapport au contexte historique ?
En fait c’est mon père, il y a très longtemps, qui a découvert l’existence d’Angélique, à travers une page de journal datée du 18 mai 1831, aux archives départementales, en Guadeloupe. Je suis allée faire quelques recherches là-bas pour préparer le livre, mais j’ai surtout écouté. Je viens d’un endroit où nous avons une forte tradition orale. Les conteurs sont nombreux aujourd’hui encore aux Antilles, comme les griots en Afrique.
L’Afrique, la terre des ancêtres où vous avez vécu étant enfant : y retournez-vous régulièrement ?
Une partie de ma famille vit là-bas, au Sénégal. J’y suis aussi souvent invitée pour parler de mes livres. Je m’y sens chez moi. Comme je me suis sentie chez moi en Inde il y a quelques temps, lors d’un voyage pendant lequel je présentais mon uvre. Je me considère vraiment comme une » citoyenne du monde « . J’ai besoin d’aller vers les autres, de provoquer des rencontres. Je suis curieuse de tout, du monde et des autres. Je me nourris d’échanges. Je suis née de la diversité.
Cette notion de diversité est très présente dans vos romans pour la jeunesse. Est-ce important pour vous ?
Bien sûr, c’est notamment le sujet du livre » Un papillon dans la cité « . Les jeunes avec lesquels Félicie, la guadeloupéenne, se lie d’amitié en France viennent, eux aussi, d’ailleurs. J’écris contre les préjugés. Il faut aller au-delà des différences. Lorsque j’interviens dans les collèges, c’est le message que je tente de faire passer aux adolescents, qui sont les adultes de demain.
Félicie est » Un papillon dans la cité « , et la Guadeloupe était le papillon de votre grand-mère, Julia ?
Ma grand-mère a vécu avec nous en France de 1960 à 1967. C’est elle qui m’a transmis son amour pour cette île, où je n’étais jamais allée. Pendant toute la durée de son séjour en France, nous avons prié toutes les deux le soir pour rentrer en Guadeloupe. Elle y est finalement retournée, et j’y suis allée moi aussi. J’y ai vécu longtemps, puis j’ai décidé de revenir en Métropole.
Qu’est-ce qui a motivé cette décision ?
La plupart des gens comparent les Antilles au Paradis lorsqu’ils n’y sont jamais allés. Si le Paradis existait sur Terre, cela se saurait. La Guadeloupe est une terre violente, non seulement du fait des hommes qui y vivent, mais aussi du fait du climat. Tous les ans on y attend le retour des Cyclones, qui dévastent parfois tout sur leur passage, comme je l’évoque dans mon roman » L’Espérance-macadam « . Nous vivons à l’ombre du volcan
le quotidien là-bas est loin d’être simple. Je suis parfois lasse d’être folklorisée en tant qu’Antillaise.
Les rapports entre les Français de Métropole et les Antillais n’ont jamais été simples, notamment en raison d’une méconnaissance de l’histoire. Est-ce pour cela que vous avez choisi d’insérer des extraits du code noir dans votre dernier roman ?
On m’a parfois reproché d’avoir recopié des passages du code noir, mais si tout le monde connaît son existence, peu de personnes l’ont lu. Cela me paraissait important que ces textes soient là. Angélique se bat pour être affranchie, pour que ses enfants le soient. C’est ce que l’on retrouve également dans le feuilleton » Tropiques amers » qui est diffusé en ce moment sur France 3, cette volonté d’être libre. L’histoire de l’esclavage, c’est notre histoire. Il faut que les gens comprennent ce que cela implique. J’essaie à travers mes livres d’expliquer d’où je viens, de transformer mes douleurs. J’y donne ma vision du monde, mais je dis aussi mon impuissance.
1. Fleur de Barbarie, Mercure de France, Paris, 2005
Guadeloupe d’antan : La Guadeloupe au début du siècle, HC Editions, Paris, 2005
Chair Piment, ed. Gallimard, Paris, 2002 – prix des Hémisphères – Chantal Lapicque 2002
L’Âme prêtée aux oiseaux ed. Stock, Paris, 1998
L’Exil selon Julia, ed. Stock, Paris, 1996
L’Espérance-macadam, ed. Stock, Paris, 1995 – prix RFO pour L’Espérance en 1996
La Grande drive des esprits, ed. Serpent à plumes, Paris, 1993 – prix Carbet de la Caraïbe et Grand Prix des lectrices de Elle en 1994
Jeunesse :
Les colères du Volcan, Dapper, Paris, 2004
Case mensonge, numéro 153, ed.Bayard, Paris, 2004
Caraïbes sur Seine, ed. Dapper, Paris1999
Un papillon dans la cité, ed Sépia, Paris, 1992Gisèle Pineau, » Mes quatre femmes « , Editions Philippe Rey, Paris, 2007 185 p, 17///Article N° : 5946