Bintou

De Koffi Kwahulé

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La pièce de Koffi Kwahulé, dont Gabriel Garran avait proposé en juin dernier une mise en espace avec les stagiaires de l’Atelier Afrique noire et blanche, sera reprise au Théâtre international de Langue française (Paris – La Villette) à l’occasion des Rencontres des Cultures Urbaines du 6 au 9 novembre, puis en création du 12 au 30. Cette pièce audacieuse traite d’un sujet encore tabou, surtout au théâtre: l’excision. En fait, le dramaturge d’origine ivoirienne met en scène dans ce texte les violences de la cité, celles d’une jeunesse délinquante qui laisse ses cadavres au coin de la rue, mais aussi la violence privée qui enterre les siens à la cave, l’une explose, l’autre étouffe, et quand ces deux violences se rencontrent, c’est une tragédie antique qui se dresse, une tragédie qui, au cœur de la modernité, va chercher le nerf de l’archaïsme pour mieux le mettre à vif et nous emporter dans un tourbillon bouleversant d’émotions.
Bintou a treize ans, elle est chef de gang, le nombril à l’air et le couteau au poing. « Poussée envers et contre tous sur le froid béton d’une cité », elle rêve des ondulations de Samia Gamal: devenir danseuse du ventre. Elle est noire, fille d’immigration, fille du mouvement et de l’instabilité, ses repères ont volé en éclats; petite anguille qui glisse entre un père démissionnaire qui a perdu la face en perdant son emploi et qu’on ne voit jamais, une mère épuisée par les ménages, un oncle empli de désirs refoulés et tout raidi sous les préceptes d’une morale hypocrite; elle glisse entre Manu l’Européen, Kelkhal le Maghrébin, Blackout l’Africain, les trois jeunes mages qui suivent son étoile et sont prêts à toutes les offrandes, même si l’étoile file à contre sens dans la nuit, à 200 à l’heure, à bord d’une tire volée, même si son scintillement a la fulgurance d’un AK47 qui fait feu. Mais on ne domestique pas une anguille, même une fois la grande résolution prise, même une fois le voyage ancestral accompli sur la lame du couteau de Moussoba, elle file encore entre les doigts: « Que la nuit seule soit témoin de ce drame. Lavez le sang et creusez la tombe ici. Personne n’aura l’idée de fouiller à l’intérieur même de la maison. Et n’oubliez pas que tant que le mur ne se fend pas, le cancrelat ne parvient pas à s’y loger ».

Bintou, de Koffi Kwahulé, éditions Lansman, 1997///Article N° : 178

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