Poèmes des bouts de la langue

De Facinet

Dans Poèmes des bouts de la langue ou Opéra-slam, les mots de Facinet "traversent toutes les frontières sans passeport"…
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La dédicace « A Lucas :/ Nous serons les derniers poètes/ car après nous on ne sera plus que langage » est porte et passage possible vers ce recueil de poèmes de 83 pages. D’entrée de jeu, la poésie entre en dialogue avec les arts visuels et le cinéma. Ils sont ordonnés en neuf séquences, appelées chacune « photo », renvoyant à un clin d’œil spécifique : « Coloris », « Tableaux neutres », « Seine du soir », « Contre-plongée », « Figures de femmes », « Montages », « Optiques sonores », « Numériques ».
Il y a quelque chose d’absolument fascinant dans ces Poèmes des bouts de la langue de Facinet, jeune poète guinéen vivant à Paris depuis 2000.
…Cheese/et cheeseburger pour le touriste naïf/le poème ressemble alors à une photo comme/la photo à un fragment de poème slamique que/le flot flotte sur nos fléaux infligés/par-delà bien et mal/flow jazzmatazz (1)
Le poète se fait donc photographe et cameraman pendant que l’image capte les coloris du temps qu’il fait, les scènes ordinaires de la vie urbaine, le paysage et le temps intérieurs ; pendant que de lointains souvenirs affleurent comme celles de la mère, parmi les impressions du jour. Dans le poème « N’nha » (2), la « femme noir de lumière« , n’est pas la « femme nue » de Senghor, mais le « don de mon enfance/comme la nostalgie d’un oiseau/dans les matins de l’absence/ L’intertextualité se donne tous les droits car des fragments de titres et de textes aimés ne quittent pas la mémoire de Facinet poète : « jazz et vin de palme pour tous (3) ». Des écrivains et des chanteurs comme Yambo Ouologuem et Mc Solaar inscrivent leurs mots parmi ceux qui dansent ici même, en pleine poésie urbaine.
Et le rythme prend la relève comme si le poème n’était jamais, du jeu au sérieux, qu’invention perpétuelle de soi …
Car ici tout est rythme et musique, art de l’intériorité ; scansion de la vie où se bousculent les mots se promenant allègrement d’une langue à l’autre – français, anglais, espagnol….Ces mots traversant toutes les frontières sans passeport, sans déclarer leur raison d’être ; ils se contentent d’être là, en mouvement comme ces néologismes qui nous font signe. Les poèmes respirent à plein poumon, tissés de mots connus, reconnus ou non. Ils expriment les points d’orgue, les strates neutres, les figures familières, les angoisses urbaines qui forment l’univers du poète qui se donne le droit de vivre en accord (ou en désaccord) avec son temps en inventant « Un verbe contemporain et cosmopolitain qui parle les langues technicolores de bout en bout du bout qui ne fait pas le tout au tout » (4).
Car la langue de Facinet porte sa propre marque de fabrique, débordant d’appels de voyelles et de consonnes se répondant en écho. Oui, dans cette poésie qui colle à la peau du poète, le lecteur est entraîné progressivement vers une piste de danse où les mots ne restent pas figés, glissant d’un lieu à l’autre. Une poésie à l’écoute du corps et des cinq sens. On comprend donc pourquoi ces poèmes se proclament d’emblée « opéra-slam ».

1. « Photo », p.10.
2. P. 12-13
3. P.17
4. « poème pour ne pas mourir jeune », p. 9
Facinet, Poèmes des bouts de la langue ou Opéra-slam, Paris, L’Harmattan (Poètes des cinq continents, Espace expérimental), 2007, 83 pages.///Article N° : 7368

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