Une ministre, Rachida Dati, des secrétaires d’État, Rama Yade, Fadela Amara, deviennent des symboles de la dite « diversité » en politique. Dans les années 2000, aux législatives, régionales, municipales également, chaque parti prête attention à métisser ses listes, au nom d’une meilleure représentativité recherchée des instances politiques. Mais de quelle représentativité parle-t-on ? Marketing politique ? Saine discrimination positive ? Dix ans plus tard, Afriscope a rencontré plusieurs élus dits de la diversité pour décrypter ces questions avec eux. Ils se sont frayés une place dans l’arène : Kamel Hamza, président de l’ANELD et affilié les Républicains, Ali Soumaré, élu socialiste du Val-d’Oise (95), Nadège Abomangoli, élue PS du canton d’Epinay-sur-Seine (93) et Almamy Kanouté, tête d’une liste citoyenne à Fresnes (94) aux législatives de 2012.
Proposée par l’Institut Montaigne suite au rapport de Yazib Sabeg et Laurence Méhaignerie « Les oubliés de l’égalité des chances », La Charte de la Diversité est soumise à la signature des entreprises en 2004, condamnant toutes les discriminations dans le domaine de l’emploi. La même année, la Haute autorité de lutte contre les discriminations est créée. Puis, novembre 2005, des révoltes éclatent en banlieue. À chaud, Jacques Chirac évoque « Le poison des discriminations » et François Hollande « les ratés de notre modèle républicain » (1). Les efforts affichés du CAC 40 irriguent alors la sphère politique, et au lendemain de la présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy nomme Yazib Sabeg commissaire à la Diversité et à l’Egalité des Chances. Aux municipales de 2008, les élus issus de l’immigration extra-européenne dans les conseils municipaux des villes de plus de 9000 habitants sont passés de 1069 à 2343 (2). Dans la foulée, des élus forment l’Association Nationale des Élus Locaux pour la Diversité (ANELD). Six ans plus tard, pourtant, les listes citoyennes fleurissent aux municipales, face à des partis qui semblent ne plus surfer sur la vague « diversité ». Une diversité de faciès markettée qui n’aurait pas résisté aux crispations identitaires de ces dernières années ?
La sociologue Martina Avanza a bien montré comment de manière générale, les élus de la diversité ne sont pas élus de la diversité culturelle ou sociale, mais élus des minorités visibles. Quid de ceux affichés ainsi au début des années 2000 ? Pour Ali Soumaré, conseiller régional socialiste d’Île-de-France, la diversité « doit servir les partis à être plus intelligents dans la construction de leurs politiques publiques. En tant qu’élu issu de banlieue, j’accepte d’être un symbole au même titre que peut l’être Isabelle This Saint-Jean, personnalité d’ouverture issue du monde universitaire. » De même, pour Nadège Abomangoli, élue Parti socialiste (PS), les partis politiques ont besoin d’afficher une certaine modernité en phase avec la société, ce qui peut passer, entre autres, par « colorer la vie politique ». « Mais c’est un terme pernicieux car les élus noirs, arabes ou asiatiques sont souvent là comme caution » déplore cette habituée des congrès du PS depuis 2006. Ali Soumaré pointe aussi cette diversité cosmétique. Engagé à la vie associative de Villiers-le- Bel dans les années 1990, adhérent au PS depuis 2002 puis secrétaire de section, il dit avoir été « estampillé » « de la diversité » à partir des régionales de 2010 seulement, où il était tête de liste. Déjà, une certaine presse l’avait fait naître en politique au moment des émeutes de Villiers-le-Bel en 2007, médiatisé alors comme le porte-parole des familles et des quartiers. « J’étais pourtant déjà un bel apparatchik. Mais une partie de l’establishment préfère expliquer mon parcours par la diversité plutôt que par une ascension naturelle » ironise l’élu, d’autant plus visé qu’il a percé sans le bagage d’études d’excellence attendu dans le milieu. Ce rejet d’une diversité alibi est d’autant plus vif à gauche, où traditionnellement, les questions, les parcours sont pensés en termes sociaux, territoriaux et non ethniques. Rhétorique universaliste où tout citoyen est égal devant la République, sans distinction d’origine, de sexe, de religion etc.
Cet idéal républicain est tout aussi prégnant à droite, mais elle semble pourtant « plus encline à penser le monde social en termes communautaires » (3). L’ANELD est d’ailleurs formée d’élus UMP, et elle apparaît en 2008 après l’élection de Barak Obama. À droite, la diversité est inspirée d’un modèle américain, synonyme de modernité, rassemblant des élites noires comme blanches. Le curseur est moins pointé sur des origines sociales. « C’était clair qu’on parlait de diversité ethnique », lance Kamel Hamza, veillant bien à conjuguer au passé. Car l’ANELD a disparu depuis 2012, et le commissariat à la Diversité et à l’Égalité des Chances est devenu fantôme dès 2009. Et de donner pour exemple marquant selon lui de ce repli identitaire : « On est passé de la diversité républicaine à un débat sur l’Islam, le cultuel. Toutes les chartes et les intentions modernes ont été mises sous carton » fustige-t-il. Il vit particulièrement mal ce glissement, lui qui justement s’est construit sur un modèle républicain refusant les particularismes : « On est parti avec le drapeau français, nos écharpes tricolores et notre langue française. On est revenu, on nous a mis une barbe, une djellaba, des babouches, en nous disant qu’on était des intégristes, » explique-t-il au sujet du Fonds banlieue du Qatar (4).
Nombre d’élus « divers » ont réglé cette question de représentation en constituant des listes indépendantes. Almamy Kanouté est le co-fondateur en 2009 du mouvement Émergence, une organisation politique fédérant des candidatures spontanées d’Ile-de- France. Déjà, en 2008, il avait recueilli 11,11 % des scrutins aux municipales de Fresnes (94) avec sa liste « Fresnes Avenir ». Le militant se joue des codes, misant sa communication politique sur une apparence « jeune de cité » sujette aux clichés. Son inspiration militante, il la puise dans l’histoire du mouvement des droits civiques américains. De cette génération où « soit on subit, soit on agit », il est persuadé que la lutte contre les discriminations ne peut être menée depuis les partis traditionnels, leurs logiques de clientélisme minant la représentation politique dans les quartiers. Se réapproprier la question politique, réservée aux « cols blancs », passe alors par une organisation citoyenne de contre-pouvoir. « Je sais qu’on préférerait me voir évoluer dans le sport et la culture mais j’ai décidé de provoquer un rapport de force là où on ne nous attendait pas ». Même génération, de militants associatifs, Almamy Konaté et Ali Soumaré ne placent pourtant pas le curseur des rapports de force au même endroit. Pour le premier, ils se jouent entre le système politique et la société civile, pour l’autre ils traversent la société dans son ensemble, les partis politiques comme les mouvements associatifs : « Avoir le poing levé ne suffit pas pour faire de la politique. Et je pense que les parcours et les origines des gens ne font pas une histoire politique ». Sa consur Nadège Abomangoli reste aussi « persuadée que ce sont dans les grands partis que se discutent les grands objectifs de transformation sociale ». Si la diversité est cette image : Rama Yade assistant au discours de Dakar (5) prononcé par celui même qui l’a nommé secrétaire d’État, comme se souvient Ali Soumaré, peut-être faut-il se réjouir que ce mot-là soit enterré. Un clivage familier semble se dessiner autour de la diversité en politique, lui qui traverse l’ensemble des mouvements militants, antiracistes et féministes, et qui se dessine à travers un paradoxe décrit ainsi par Éric Fassin : « Naviguer sans cesse entre ces deux directions opposées : prendre la parole en tant que pour ne pas être traité en tant que ».
Kamel Hamza
Age : 43 ans
Né à Aubervilliers (93)
Diplômé du conservatoire national des Arts et Métiers
Encarté : Les Républicains
Parcours : chargé d’études à l’INED, chargé de mission de la permanence UMP de Seine-Saint-Denis (93), président de l’association des élus issus de la diversité d’île-de-France (ANELD) en 2009, collaborateur parlementaire d’Eric Raoult, directeur de cabinet de la ville du Raincy de 2011 à 2012, conseiller municipal à la Courneuve, actuellement directeur de Cabinet à Sens (89).
Ali Soumaré
Age : 35 ans
Né à Montmorency (95)
Diplômé du Brevet d’aptitude aux fonctions de directeur en accueils collectifs de mineurs (BAFD)
Encarté : PS
Parcours : Secrétaire de la section socialiste de Villiers-le-Bel (95) en 2004, animateur au service des enfants puis chef de service municipal, porte-parole des familles et des quartiers lors des révoltes de Villiers-le-Bel en 2007, chef de cabinet du maire de Sarcelles, porte-parole de Manuel Valls pour les primaires socialistes en 2011, élu conseiller régional du Val-d’Oise depuis 2010.
Nadège Abomangoli
Age : 39 ans
Né à Brazzaville (RDC)
Diplômée de la Sorbonne en communication et en Histoire et de Sciences Po Paris
Encarté : PS
Parcours : Militante à SOS Racisme, élue conseillère régionale en 2010, élue depuis avril 2015 du canton d’Épinay, vice-présidente du Conseil Départemental de Seine-Saint-Denis (93) chargée de la politique de l’habitat et de la sécurité.
Almamy Kanouté
Age : 36 ans
Né à Paris 18e
Diplômé d’un BEP en aéronautique
Encarté : Porte-parole et cofondateur du mouvement citoyen
Émergence
Parcours : Éducateur spécialisé, fondateur en 2002 de l’association 83e avenue, élu en 2008 conseiller municipal à Fresnes (94) sur la liste indépendante « Fresnes Avenir », tête de liste du mouvement Émergence en 2010 aux élections régionales. Cofondateur du collectif Rezus (RÉseau des Zones Utiles et Solidaires) en 2015.
(1) Discours de François Hollande au congrès du Mans – Dimanche 20 novembre 2005.
(2) Les élu s issus de l’immigration dan s les conseils régionaux (2004-2010), Haut Conseil à l’Intégration.
(3) Martina Avanza, « Qui représentent les élus de la diversité » ?
(4) L’Aneld est à l’origine de la décision du Qatar d’investir dan s l’économie des banlieues françaises.
Fin 2011, à la suite d’une visite d’une délégation de l’association au Qatar, l’émirat avait annoncé le déblocage de 50 millions d’euros dans ce projet. En 2012 pourtant, le gouvernement français a annoncé la naissance d’un partenariat avec le Qatar, sous la forme d’une fondation cofinancée, reprenant ainsi la main sur le projet.
(5) Le discours de Dakar est une allocution de Nicolas Sarkozy, le 26 juillet 2007, à l’université Cheikh-
Anta -Diop de Dakar (Sénégal), devant des étudiants, des enseignants et des personnalités politiques. L’ancien président a été fortement critiqué pour certaine s de ces déclaration s, notamment que le « drame de l’Afrique » vient du fait que « l’homme africain n’est pa s assez entré dan s l’Histoire ».///Article N° : 13182